Malgré un démarrage laborieux, l'audience de cette première semaine d'interrogatoire a réservé quelques surprises. Les questions faussement naïves du tribunal ont amené les prévenus à se dévoiler.
Rarement une audience aura mis autant de temps à réellement démarrer. Depuis le 6 janvier, le tribunal judiciaire de Paris examine l'affaire du supposé financement libyen de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2007.
Après l'examen des nullités, les juges sont entrés dans le fond du dossier ce 13 janvier mais l'audience a eu du mal à prendre son rythme, provoquant parfois une ambiance électrique. Ainsi, le parquet national financier (PNF), en version « good cop/bad cop », hésite entre questions à rallonge et haussement de ton, qui donnent l'occasion à Nicolas Sarkozy et à ses avocats de manier ironie et effets de manches colériques.
Course à la présidentielle
L'ex-président de la République est le premier à être interrogé. Pendant trois heures, il va à nouveau clamer son innocence. De l'argent libyen ? Il « n'en avait pas besoin ». « A partir du moment où je suis devenu président de l'UMP, j'avais le vent en poupe, j'étais le président du premier parti de France, 335.000 adhérents, les soutiens se pressaient, le financement de la campagne n'a jamais été un sujet », affirme-t-il.
Le parquet insiste et revient sur le volet financier de l'affaire Karachi et le présumé financement illégal de la campagne d'Edouard Balladur, dans laquelle ont été condamnés Ziad Takieddine et Thierry Gaubert (la décision en appel devrait intervenir dans les prochains jours), tous les deux prévenus dans ce dossier. On se perd un peu sur les liens de cette affaire vieille de 25 ans, dans laquelle Nicolas Sarkozy n'a pas été mis en cause, avec le présent dossier.
Il faut faire un effort de mémoire pour décrypter qu'il s'agit, en fait, d'interroger les réseaux de financement de l'ex-RPR, que Nicolas Sarkozy aurait voulu mettre à son service pour sa campagne de 2007 malgré, ou à cause de sa rivalité avec Dominique de Villepin dans la course à la présidentielle.
Séquence un peu floue
La séquence un peu floue permet d'ailleurs à Nicolas Sarkozy d'évacuer d'un revers de main le sujet par un trait d'humour. « Vous (ne) croyez pas que j'ai suffisamment à m'occuper de mes procès sans m'occuper de ceux des autres », ironise, sûr de lui, l'ancien président. D'ailleurs, pour Nathalie Gavarino, la présidente de l'audience, « ce n'est pas le moment », répond-elle aussi sèchement au PNF qui veut encore poser des questions.
S'ensuit une certaine confusion car on a encore du mal à appréhender le plan d'audience de ce dossier à tiroirs que la magistrate tente, tant bien que mal, de découper en mini-dossiers sans ordre apparent - la situation de la Libye, les liens entre les personnes, etc. Mais il faut se méfier du ton presque monocorde que Nathalie Gavarino emploie dans ses questions aux prévenus. Elle sait où elle va.
Vous (ne) croyez pas que j'ai suffisamment à m'occuper de mes procès sans m'occuper de ceux des autres.
Nicolas Sarkozy face au tribunal
Ainsi quand il s'agit de questionner Nicolas Sarkozy sur son parcours politique. L'ancien président de la République s'engouffre sans crainte dans ce sujet. « Depuis mes seize ans, j'avais un rêve, faire de la politique au plus haut niveau, j'ai eu beaucoup de chance, les observateurs ont dit que j'étais un peu différent des autres… alors que ma pauvre mère aurait préféré que je reste maire de Neuilly et que je sois avocat dans l'immeuble d'à côté. »
Ambition politique
Mais, les questions anodines voire faussement naïves de la présidente vont bien plus loin : jusqu'où Nicolas Sarkozy aurait-il pu aller par ambition politique ? « Vous n'avez eu aucune tentation de demander des fonds à l'étranger ? » demande-t-elle plus frontalement.
« Non, la réponse est claire. Un, je n'en avais pas l'idée, je ne suis pas fou. Deux, je n'en avais pas besoin. Trois, j'étais un ministre de l'Intérieur qui n'a cessé de voyager, il y a des tas de chefs d'Etats que je connaissais », tranche l'ancien président.
Quand vient enfin l'interrogatoire des autres prévenus, chacun a trouvé sa place. Les prévenus d'abord, qui depuis le début de l'audience, se tiennent côte à côte dans un ordre précis : Nicolas Sarkozy au plus près du tribunal, Brice Hortefeuxet Claude Guéant. Les autres prévenus, Thierry Gaubert, Alexandre Djouhri…. se tenant prudemment sur un banc, loin du trio.
L'audience a trouvé son ton. Et là où Nicolas Sarkozy avait traversé sans trop d'encombre les salves de questions, Brice Hortefeux et Claude Guéant peinent un peu plus. Avec leur aide, l'ancien chef de l'Etat est soupçonné d'avoir passé en 2005 un « pacte de corruption » secret avec Mouammar Kadhafi, pour qu'il finance sa campagne victorieuse à la présidentielle de 2007.
Partition difficile
Les deux proches de l'ancien chef de l'Etat jouent une partition difficile : il faut expliquer leurs liens avec les « intermédiaires » douteux comme Ziad Takieddine ou Alexandre Djouhri, et les rencontres « fortuites » avec le directeur des renseignements libyens Abdallah Senoussi, personnage peu fréquentable car condamné en 1999 à la réclusion criminelle à perpétuité pour avoir organisé l'attentat contre le vol d'UTA, qui a coûté la vie à 170 passagers… Beau-frère de Mouammar Kadhafi, son amnistie aurait été, selon l'accusation, l'une des conditions au financement de la campagne de Nicolas Sarkozy…
Le tribunal peine en effet à comprendre comment des intermédiaires de cet acabit peuvent entrer en contact avec des « personnages de haut rang » sans que personne ne vérifie leur parcours et leur crédibilité. Et comment en visite dans un pays « aussi peu sûr que la Libye » on peut s'aventurer à tomber « dans un piège » sans se poser de question et sans avertir l'ambassadeur de France.
Tour à tour Brice Hortefeux, conseiller de Nicolas Sarkozy au ministère de l'Intérieur et Claude Guéant, son directeur de cabinet, vont recevoir au début des années 2000 Ziad Takieddine, que Nicolas Sarkozy a traité « d'escroc » et de « menteur » en début d'audience. Il faut maintenant aux deux proches de l'ancien chef de l'Etat faire avec ça.
« Screener »
Pourtant, l'intermédiaire en fuite - également prévenu dans ce dossier - n'a aucun mal à entrer en contact avec eux. Ceci, alors qu'il avait été interpellé en 1994, rappelle le parquet, près de la frontière suisse, en possession d'un sac bourré d'argent liquide. Mais quand il se présente au ministère de l'Intérieur, personne ne pense à « screener » son passé, s'étonne le PNF.
« Je l'ai vu un peu, pas beaucoup, mais à l'époque, il était respecté et respectable, aujourd'hui, je ne le recevrais pas. J'ai dit à mes enfants, 'si un jour, vous entendez le mot intermédiaire, vous partez en courant' », plaide Brice Hortefeux qui va jusqu'à passer une journée d'été chez Ziad Takieddine dans le Sud. « J'étais en vacances chez ma belle-famille et Jean-François Copé m'a invité à venir », plaide Brice Hortefeux pour qui « le Yacht c'est pas (son) milieu ».
La présidente, peu intéressée par ces considérations nautiques, continue son interrogatoire. Les deux assurent qu'il recevait Ziad Takieddine car il promettait de les aider à conclure un contrat qui traînait depuis des années avec l'Arabie saoudite. « Le contrat, c'est 5.000 emplois sur douze ans. J'ai prévenu Claude Guéant, le directeur de cabinet du ministre. Je devais claquer la porte ? » demande l'ancien conseiller. Le contrat ne se fera pas mais personne au ministère de l'Intérieur ne se posera plus de question sur ce personne trouble.
Visite préparatoire
Sur sa chaise, Claude Guéant regarde fixement dans le vide. Quand vient son tour d'être interrogé à la barre, la présidente lui permet d'être interrogé en étant assis. L'ancien haut fonctionnaire qui vient de fêter ses 80 ans est fatigué et malade. Et cela se sent. Au fur et à mesure de l'interrogatoire, acculé, après quelques haussements de ton, sa voix devient un murmure.
Le voilà interrogé sur sa visite « préparatoire » en Libye début octobre 2005 avant la visite officielle de Nicolas Sarkozy quelques jours après. C'est pendant ce séjour que le directeur de cabinet prétend être tombé dans un « piège » quand Ziad Takieddine, un soir, l'invite à « rencontrer un haut personnage de l'Etat libyen ».
« Vous ne lui demandez pas qui ? », s'étonne Nathalie Gavarino. « Non », affirme Claude Guéant. « Et pendant le trajet en voiture jusqu'au restaurant, vous ne l'interrogez pas sur l'endroit où vous devez vous rendre, ni qui vous allez rencontrer ? » insiste la présidente. « Non », répète l'ancien haut fonctionnaire visiblement las. « Et arrivé au restaurant, vous n'interrompez pas l'entretien quand vous vous apercevez que c'est Abdallah Senoussi ? » « Non, je ne voulais pas créer d'incident diplomatique et compromettre la visite de Nicolas Sarkozy. »
« Bavardages »
« Mais alors de quoi parlez-vous ? » s'impatiente Nathalie Gavarino. « Nous avons bavardé, nous avons abordé les relations entre la France et la Libye et leur avenir », bredouille Claude Guéant visiblement mal à l'aise. « Est-ce que vous avez abordé avec lui la question du financement de la campagne de Nicolas Sarkozy ? » demande plus directement Nathalie Gavarino. « Non », répond-il plus clairement.
La situation judiciaire de Senoussi a-t-elle fait partie du « bavardage » ? Le sujet a probablement été abordé. « La seule réponse que j'ai pu apporter c'est : 'Je vais étudier la question' » - mais Claude Guéant assure qu'il n'en fera rien ensuite.
Et alors ? « Vous en parlez à votre retour à votre ministre », interroge la présidente. « Non je ne voulais pas qu'il sache que je m'étais fait berner », murmure l'ancien directeur de cabinet. « Vous le dites à l'ambassadeur [de France à Tripoli, NDLR] », demande-t-elle encore. « Oui… J'ai tenu l'ambassadeur informé », assure Claude Guéant. Problème, l'ex-ambassadeur interrogé auparavant comme témoin assure n'avoir rien su du « piège ».
« J'ai été imprudent », finit par admettre Claude Guéant dans un souffle. Sur son siège, Nicolas Sarkozy le fixe la mâchoire serrée.
L'audience reprend lundi.
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