Pologne

Le bouclier de l’Est, symbole d’une Pologne plus armée que jamais

Auteur: Tamara Altéresco Source: Radio Canada
Février 6, 2025 at 05:55
Un soldat polonais à la frontière. PHOTO : RADIO-CANADA / GUILLAUME PARENT
Un soldat polonais à la frontière. PHOTO : RADIO-CANADA / GUILLAUME PARENT

La Pologne, qui se présente de plus en plus comme la première puissance militaire d'Europe, a entrepris la construction d’un bouclier pour fortifier ses frontières avec la Russie et le Bélarus.


DĄBRÓWKA, Pologne - Si on avait dit au major Michal Bednarko, il y 20 ans, quand il s’est joint à l'armée polonaise, qu’il serait un des ingénieurs responsables du mégaprojet de défense stratégique qui se trame à la frontière de la Pologne, il ne l’aurait jamais cru.

Jamais. C'est vous dire à quel point notre perception de notre sécurité a changé en quelques années, dit le militaire en marchant droit vers la forêt qui sépare la Pologne de la Russie.

L’enclave russe de Kaliningrad est à 200 mètres seulement et c’est en avançant vers le boisé qu’on aperçoit les premiers signes de ce vaste bouclier qui traverse le territoire sur des kilomètres et des kilomètres de champs.

C'est notre première ligne de défense en cas d’une attaque de la Russie, explique le major Bednarko, de la 15e Brigade mécanisée.

L’infrastructure est imposante avec ses deux rangées de blocs de hérissons antichars méticuleusement alignés et rattachés les uns aux autres avec des câbles d'acier.

Si le but premier de cette nouvelle forteresse est de dissuader l'adversaire, toute son infrastructure a été conçue pour permettre à la Pologne de gagner du temps en cas d'agression.

Vue aérienne des hérissons disposés le long de la frontière par l'armée polonaise.
Vue aérienne des hérissons disposés le long de la frontière par l'armée polonaise. PHOTO : RADIO-CANADA  

 

C’est comme un mur, dit Michal. En effet, outre les blocs de béton, les rangées de blocs et les mines seraient dispersées si nécessaire.

Ce bouclier a d'ailleurs été inspiré du théâtre des opérations militaires en Ukraine, là où Kiev a réussi à maintenir le front, explique le major. La guerre en Ukraine est l'élément déclencheur qui nous a obligés à passer à l'action et à revoir nos capacités défensives.

Le projet est aussi ambitieux qu'il est audacieux, car une fois qu’il sera complété, en 2028, le bouclier va longer plus de 800 kilomètres de la frontière polonaise avec la Russie et le Bélarus, un pays allié de la Russie et tout autant redouté par les membres de l’OTAN. (6000 soldats polonais sont d’ailleurs déployés à la frontière du Belarus depuis 2021, quand Moscou et Minsk ont envoyé des dizaines de milliers de migrants aux portes de la Pologne, bien avant la guerre en Ukraine.)

Le coût du bouclier s'élèvera à près de deux milliards d’euros et c’est la Pologne qui assume les frais pour l’instant.

Il s’agit du plus gros projet de la sorte depuis la Seconde Guerre mondiale, a déclaré le premier ministre polonais Donald Tusk quand il est venu inaugurer les travaux à Dąbrówka, au mois de novembre dernier.

Élu en 2023 à la tête du gouvernement polonais, Donald Tusk a fait de la défense de la Pologne sa priorité absolue et mène désormais une véritable croisade pour que ses alliés européens lui emboîtent le pas.

 

Le premier ministre de la Pologne, grand défenseur de l’Ukraine, a reçu le président Zelensky à Varsovie le 15 janvier dernier.
Le premier ministre de la Pologne, grand défenseur de l’Ukraine, a reçu le président Zelensky à Varsovie le 15 janvier dernier. PHOTO : REUTERS / ALEKSANDRA SZMIGIEL

 

Je vous parle en tant que premier ministre d'un pays qui dépense aujourd'hui déjà presque 5 % de son PIB pour sa sécurité. Et j'aimerais vous dire que ces 5 % ne sont pas dépensés uniquement pour notre propre sécurité mais aussi pour celle de l'Europe, a dit Donald Tusk aux dirigeants de l'Union européenne au mois de janvier, quand il a occupé la présidence tournante du Conseil de l’UE.

Cette semaine, M. Tusk en a rajouté lors d'une réunion spéciale des États membres en les incitant à partager la facture du grand bouclier, devenu le symbole d’une Pologne qui s'impose aujourd'hui comme le rempart de l'Europe, explique l’analyste politique Wojciech Przybylski.

Le bouclier oriental est un appel à l’éveil de l'Union européenne au fait qu’il y a de nouveau des frontières qui doivent être protégées, dit-il. Et surtout, il s'agit d'une invitation sans détour à investir dans la défense, comme le fait la Pologne à un rythme sans précédent.

Il suffit de visiter les villes du nord, comme Gizycko, où les brigades sont devenues des régiments, et de parler aux militaires pour constater à quel point l'armée est en pleine métamorphose.

Je le vois tous les jours avec le nombre de jeunes qui s'enrôlent dans l'armée et aussi dans le regard de la population, qui a changé à notre égard, dit le commandant Kamil Miasco.

Les rangs ne cessent de croître et sont passés de 100 000 à plus de 200 000 militaires en moins de dix ans, ce qui fait de l'armée polonaise la plus grande armée d'Europe et la troisième de l’OTAN après celles des États-Unis et de la Turquie.

 

Une pancarte des forces armées polonaises dans la ville de Gizycko.
Une pancarte des forces armées polonaises dans la ville de Gizycko. PHOTO : RADIO-CANADA / GUILLAUME PARENT  

 

Les dépenses militaires, quant à elles, ont plus que triplé avec l'achat d'équipements américains et coréens. La Pologne sera d’ailleurs le seul pays d'Europe à dépenser à la hauteur de ce qu'exige le président américain Donald Trump, qui a déjà menacé de quitter l’OTAN en raison de son sous-financement par ses membres.

Donald Trump est peut-être direct, nous ne l'aimons peut-être pas, mais le message qu'il envoie à l'Europe correspond tout à fait à notre perception de ce qui doit être fait, selon la majorité des Polonais, explique l’analyste politique Wojciech Przybylski. Et cela vient de l'expérience historique, lorsque nous nous sommes sentis abandonnés pendant la Seconde Guerre mondiale, lorsque l'envahisseur nous a tout simplement démantelés et que nos alliés n'en ont pas fait assez.

Ce sentiment perdure aujourd'hui alors que les grandes capitales d'Europe, de Paris à Berlin en passant par Londres, tardent à augmenter leurs dépenses en matière de défense ou peinent à convaincre leurs citoyens que la douleur budgétaire en vaut la peine.

Vivre en Pologne offre une perspective complètement différente, surtout dans les tout petits villages qui longent la frontière russe.

Le bouclier de béton tranche avec la douceur de la campagne. Les villageois, qui l'ont vu se développer au début sans jamais avoir été consultés, se demandaient ce qu'il pourrait bien changer aux ambitions russes, explique Grazyna Matis, la mairesse du village de Rudzinski.

On se disait que les roquettes nous passeraient par-dessus la tête, explique Mme Matis.

Cependant, quand on pense à ce qui s’est passé en Ukraine, ça nous terrorise, cette guerre à l'ancienne avec l'infanterie qui marche sur les villages, tue les civils et viole les femmes. Après tout, nous sommes en première ligne.

 

 Grazyna Matis, mairesse du village de Rudzinski.
Grazyna Matis, mairesse du village de Rudzinski. PHOTO : RADIO-CANADA / GUILLAUME PARENT  

 

Malgré sa nouvelle posture, la priorité de la Pologne consiste à garder les États-Unis engagés, surtout dans la perspective d'un cessez-le-feu en Ukraine.

En effet, du point de vue de la Pologne, tout cessez-le-feu sera simplement une occasion pour la Russie de recharger ses batteries pour attaquer à nouveau. Et cela a été confirmé par un cycle d'agressions de Moscou contre ses voisins depuis plus d'un demi-siècle, dit l'analyste Wojciech Przybylski.

Dans son paisible petit jardin, d'où elle voit la Russie au loin, Grazyna se sent en sécurité, certes, et dort bien la nuit. Toutefois, même si elle n'exagère pas la menace d’une attaque russe, elle ne pourra jamais en écarter la possibilité.

La vérité, c'est que si nous croyions à la paix, nous ne serions pas en train d'ériger une forteresse aux frontières de la Pologne en 2025.

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