Deux semaines après la victoire de justesse du « oui » au référendum sur l'Union européenne (UE), la Moldavie a confirmé dimanche sa trajectoire européenne en reconduisant sa présidente Maia Sandu à l'issue d'une élection tendue sur fond de soupçons d'ingérences russes.
Aujourd'hui, chers Moldaves, vous avez donné une leçon de démocratie digne de figurer dans les livres d'histoire, a-t-elle lancé à son quartier général de campagne, dans une ambiance survoltée.
La candidate de 52 ans a recueilli 54,9 % des voix, contre 45 % pour Alexandr Stoianoglo, ex-procureur de 57 ans soutenu par les socialistes prorusses, selon les résultats quasi-définitifs publiés par la Commission électorale.
Si ce dernier a mené dans un premier temps, la tendance s'est inversée au fur et à mesure du comptage des voix. Celui que ses adversaires traitent d'homme de Moscou ne s'est pas exprimé dans la nuit, mais avait appelé un peu plus tôt au calme.
Comme lors des récentes législatives en Géorgie, autre ex-république soviétique, la Russie a été accusée d'ingérence dans le processus électoral, des allégations catégoriquement rejetées par le Kremlin.
Le dénouement a cette fois été favorable au camp pro-UE. Bruxelles a réagi très vite, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, se disant heureuse de continuer à travailler avec Maia Sandu pour un avenir européen.
Le président français Emmanuel Macron s'est lui réjoui que la démocratie ait triomphé de toutes les interférences et de toutes les manoeuvres.
Première femme à occuper, à partir de 2020, les plus hautes fonctions dans cet État situé entre l'OTAN et la sphère d'influence russe, Mme Sandu a tourné le dos à Vladimir Poutine après l'invasion russe de l'Ukraine voisine et opéré un net virage vers l'Ouest.
Elle était arrivée largement en tête du premier tour le 20 octobre, mais son rival a pu compter sur le soutien de plusieurs petits candidats pour resserrer l'écart.
Il s'est même imposé sur le seul territoire de la Moldavie, mais la mobilisation de l'importante diaspora a fait basculer l'élection, a commenté le politologue français Florent Parmentier, spécialiste de la région.
Maia Sandu doit sa survie à la diaspora. C'est un résultat qui révèle une dépendance vis-à-vis de l'extérieur pour cette cheffe d'État qui a sillonné les capitales européennes ces derniers mois, ajoute-t-il.
Dans son discours de victoire, elle a salué un pays qui s'est uni face à une attaque sans précédent de forces hostiles et criminelles, avant de conclure par des mots en russe en signe d'ouverture envers ceux qui ne l'ont pas choisie.
Cyberattaques, alertes à la bombe et déstabilisation
Tout au long de la journée, les autorités ont fait état de tentatives de déstabilisation.
La police a dit enquêter sur la mise en place présumée par la Russie de transports organisés vers le Bélarus, l'Azerbaïdjan et la Turquie pour permettre aux électeurs résidant sur son sol d'aller voter dans les consulats ou ambassades moldaves de ces pays. Des cyberattaques et de fausses alertes à la bombe ont également été signalées.
En votant avec son épouse et ses deux filles, Alexandr Stoianoglo a nié avoir des liens avec le Kremlin et toute implication dans des fraudes électorales.
Il a défendu une Moldavie qui ne demande pas l'aumône, mais développe des relations harmonieuses avec à la fois l'Est et l'Ouest.
Dans ce pays pauvre extrêmement polarisé, les électeurs interrogés par l'AFPoffrent un tableau contrasté.
Nous sommes un petit pays avec un grand cœur et nous voulons que l'Europe soit notre maison, résume Natalia Grajdeanu, organisatrice de mariages, âgée de 45 ans, venue d'Irlande pour voter.
Mais d'autres, comme Grigore Gritcan, retraité originaire de la région séparatiste de Transdniestrie, sont réticents. Il plaide pour plus de liberté et une vraie paix, alors qu'actuellement les gens n'ont rien à manger et pas de travail.
La Moldavie a subi de plein fouet les conséquences de la guerre en Ukraine, de l'afflux de réfugiés à l'explosion des coûts de l'énergie.
C'est la première cible de la guerre hybride menée par la Russie, estime Andrei Curararu, du groupe de réflexion WatchDog.
Malgré tout, la Moldavie a démontré à deux reprises que sa volonté d'intégrer l'UE était plus forte que la pression de Moscou, a-t-il ajouté, soulignant que pour garder ce cap, le pays aura besoin d'aide. Avec en ligne de mire, des législatives cruciales à l'été 2025.
Qui est Maia Sandu?
Première femme à occuper les plus hautes fonctions dans cet État situé entre l'OTAN et la sphère d'influence russe, Maia Sandu a longtemps cherché à ménager le président russe Vladimir Poutine tout en normalisant ses relations à l'Ouest.
Mais depuis que l'Ukraine voisine vit sous les bombes du Kremlin, elle martèle que les 2,6 millions de Moldaves doivent intégrer au plus vite la famille européenne.
Sa personnalité discrète et son sourire timide contrastent avec son courage et sa détermination – le mot est de son homologue français Emmanuel Macron – à défendre un cap clair pour son pays face aux ingérences de Moscou, qui goûte peu ses désirs d'indépendance.
Née sous l'URSS dans le village de Risipeni, à la frontière roumaine, elle est à peine majeure quand son pays accède à l'indépendance en 1991.
Diplômée en gestion et relations internationales, elle débute sa carrière dans les coulisses du ministère de l'Économie mais, déçue par les travers de son pays, part travailler pour la Banque mondiale, d'abord à Chisinau puis à Washington.
Jusqu'au tourbillon qui l'a amenée à la présidence : elle reçoit en 2012 une offre inattendue et accepte de diviser ses revenus par 15 pour occuper un portefeuille ministériel, celui de l'Éducation.
Je n'avais pas prévu de devenir une femme politique, a-t-elle avoué lors d'un discours en 2022 aux étudiants de l'université Harvard, où elle a étudié. Mais j'ai décidé que ne pas vouloir vivre dans un pays dirigé par des gens corrompus ne signifiait par forcément devoir changer de pays.
Face aux difficultés et aux discours de haine, elle dit apprendre la résilience. Et ne lâche pas.
Plaçant des caméras de surveillance dans les salles d'examen, elle fait passer le taux de réussite du baccalauréat de 95 % à 59 %. De quoi faire passer le message : on ne paye plus pour les diplômes.
Au pouvoir, Maia Sandu comprend que dans un système gangréné par les oligarques, il lui faut fonder sa propre écurie. En 2016, elle crée le Parti de l'action et de la solidarité (PAS) grâce à ses économies, mais perd à la présidentielle.
Elle entre au Parlement avant d'être brièvement nommée première ministre et, à la suite d'un scandale de corruption spectaculaire – 12 % du PIB disparaissent en quelques mois –, elle remporte l'élection suprême en 2020 avec 57,7 % des voix.
Jugeant avoir été sous-estimée par ses adversaires qui voyaient en elle et son équipe une bande d'intellos, elle chasse la corruption et lance un vaste programme de réformes dans la justice, qui reste inachevé. Il faut aller plus vite, a-t-elle reconnu dimanche soir.
Dès que les premières bombes retentissent en Ukraine, Maia Sandu coupe les ponts avec Moscou, accueille des dizaines de milliers de réfugiés et frappe à la porte de l'Union européenne, son plan Marshall.
En juin 2023, elle marque les esprits en conviant 46 chefs d'États et de gouvernement pour le sommet de la Communauté politique européenne, du jamais vu dans ce pays peu habitué aux honneurs.
Un an plus tard, les négociations d'adhésion avec l'UE sont formellement ouvertes.
Parlant couramment le roumain, l'anglais et le russe, Mme Sandu jouit du respect et de la reconnaissance des dirigeants occidentaux, commente Armand Gosu, historien roumain spécialiste des anciens pays soviétiques et de la Russie.
Elle représente une grande chance pour la Moldavie, estime-t-il, soulignant qu'elle est probablement la première dirigeante du pays d'une telle stature internationale.
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