L'expulsion coûterait plus de 968 milliards de dollars et aurait des conséquences désastreuses.
Donald Trump proclame à tout vent son projet d'expulser toutes les personnes se trouvant aux États-Unis de façon illégale. S’il est élu le 5 novembre, ce sera sa priorité. Toutes les ressources de l’État seront mises à contribution, a-t-il annoncé. Mais est-ce réalisable? Les impacts d'une telle opération seraient désastreux.
1. Qui serait visé?
Les millions d'étrangers en situation irrégulière qui ont envahi le pays sous la présidence de M. Biden nécessitent un nombre record d'expulsions, a écrit le candidat républicain dans un éditorial publié dans le journal Des Moines Register.
Il a répété cette promesse phare tout au long de la campagne, notamment lors d'un grand rassemblement au Madison Square Garden, à New York, où il a parlé du 5 novembre comme du jour de la libération et promis la plus grande opération d'expulsion de l'histoire américaine.
Personne ne s’en tirera, a déclaré Tom Homan, ancien directeur par intérim du service de l'immigration et des douanes des États-Unis (ICE) dans l’administration Trump, à Fox News. Si vous êtes dans le pays illégalement, vous serez ciblé.
Il y avait, en 2022, environ 11 millions de personnes vivant aux États-Unis sans en avoir l’autorisation, selon les estimations officielles les plus récentes.
Depuis, ce nombre a certainement augmenté, étant donné que les interceptions aux frontières ont explosé.
Seraient également visés les trois millions de migrants qui jouissent d’une protection temporaire parce qu’ils attendent une décision sur leur demande d’asile, ceux qui bénéficient d’un statut temporaire protégé parce que leur pays est jugé trop dangereux pour les y renvoyer (Venezuela, Haïti) et ceux qu’on appelle les Dreamers, c’est-à-dire des migrants sans papiers arrivés aux États-Unis alors qu’ils étaient enfants, avant 2007.
Quelque 80 % des migrants sans papiers vivent aux États-Unis depuis plus de dix ans. Près de la moitié d’entre eux sont originaires du Mexique.
2. Comment procéderait-il?
Donald Trump compte avoir recours à une mesure du 18e siècle, la Loi sur les ennemis étrangers (Alien Enemies Act), qui permet au président d'expulser les citoyens d'une nation contre laquelle il est en guerre, sans avoir besoin de l’aval du Congrès.
Il ne peut l’utiliser, toutefois, qu’en cas de guerre déclarée ou lorsqu’un gouvernement étranger menace le territoire américain, notent les experts du Centre Brennan pour la justice (une organisation non partisane) dans une analyse publiée sur son site web.
La Loi sur les ennemis étrangers a été adoptée en temps de guerre. L'invoquer en temps de paix pour contourner la législation conventionnelle en matière d'immigration constituerait un abus stupéfiant.
Une citation deCentre Brennan pour la justice
Comment Donald Trump pourrait-il alors parvenir à ses fins? Selon divers médias, une administration Trump pourrait soutenir que les cartels et les trafiquants de drogue latino-américains ont corrompu leurs gouvernements à un point tel qu’ils peuvent être considérés comme des acteurs étatiques. Ils participent maintenant à une invasion des États-Unis au nom de narco-États étrangers et à ce titre on pourrait invoquer la loi contre eux.
J’invoquerai également la Loi sur les ennemis étrangers pour expulser des États-Unis les membres de gangs, les trafiquants de drogue ou les membres de cartels connus ou suspectés, écrit d’ailleurs Donald Trump dans le Des Moines Register.
Cela ouvrirait la porte à toutes sortes de contestations judiciaires, estiment néanmoins les experts, puisque la loi est censée cibler les actions des gouvernements et des régimes étrangers en temps de guerre, et non les organisations non étatiques.
3. Quels sont les obstacles?
Du point de vue logistique, pour identifier et appréhender des millions de sans-papiers éparpillés un peu partout au pays, il faudrait, selon les experts, tripler le personnel affecté à cette tâche. L’équipe Trump pense utiliser les agents du service de l'immigration et des douanes, les gardes nationaux et la police locale.
Pour atteindre cet objectif, j'indiquerai clairement à chaque ministère, aux gouverneurs des États et aux municipalités que nous devons utiliser toutes les ressources et tous les pouvoirs disponibles, a déclaré M. Trump. Nous allons réorienter des pans entiers de la police fédérale vers le contrôle de l'immigration.
Les personnes arrêtées devraient être détenues en attendant leur expulsion. Pour cela, il faudrait des capacités plus de 20 fois supérieures à celles d'aujourd’hui, estime l’American Immigration Council (AIC), un groupe de défense des immigrants. Le gouvernement serait également tenu de créer et de maintenir plus d’un millier de nouvelles salles d’audience en matière d’immigration.
Et c’est sans compter les enjeux juridiques.
Les migrants sans papiers qui vivent aux États-Unis depuis des années ont une protection légale. Ils ne peuvent être expulsés sans respecter la procédure, rappellent les experts.
Ceux qui sont entrés dernièrement et ont demandé l’asile ont le droit de rester sur le sol américain pendant que leur dossier est révisé par les cours d’immigration.
De plus, un nombre important de nouveaux arrivants viennent de pays qui restreignent fortement, voire interdisent carrément, les vols de rapatriement américains. C’est le cas du Venezuela, de la Mauritanie, de la Chine et de l'Inde, par exemple. Ils ne peuvent donc être rapatriés, mais ne peuvent pas non plus être détenus indéfiniment.
4. Combien coûterait une telle opération?
Il en coûterait, selon les estimations de l’AIC, au moins 315 milliards de dollars pour expulser tous les migrants sans papiers d’un seul coup, une opération d’une telle envergure qu’elle serait impossible en pratique.
Étaler le processus sur dix ans, en expulsant un million de personnes par année, ce qui est plus réaliste, coûterait annuellement 88 milliards de dollars, pour un total de 968 milliards sur 10 ans (en prenant en compte l'inflation), ajoute l'AIC.
Cela inclut le coût des arrestations, de la détention, des procédures légales et l’expulsion physique.
Ces calculs supposent qu’environ 20 % des personnes expulsables choisiraient de partir par leurs propres moyens.
En plus des coûts directs, une expulsion massive aurait des coûts indirects considérables sur l’économie américaine, estime Marcus Noland, vice-président du Peterson Institute for International Economics, un institut indépendant et non partisan.
Les 8,3 millions de migrants sans papiers qui occupent un emploi aux États-Unis représentent environ 5,1 % de la population active. Leur départ ne passerait pas inaperçu, souligne M. Noland.
Si vous retirez brutalement un grand nombre de personnes de la population active, cela aura un impact immédiat sur la production dans les secteurs où elles sont employées, explique-t-il. Mais cela ne se limitera pas à ce secteur; ces perturbations se feront sentir dans l'ensemble de l'économie.
La disparition d'un si grand nombre de travailleurs entraînerait une augmentation des coûts dans les principaux secteurs où ils sont employés, soit la construction, l’agriculture, le tourisme et l’industrie manufacturière.
Il s'agit d'un choc d'offre classique, où la production diminue et les prix augmentent.
Une citation deMarcus Noland, vice-président du Peterson Institute for International Economics
Qui plus est, et contrairement à ce qu’on pourrait croire, l'expulsion de migrants réduirait les emplois disponibles pour les autres travailleurs, explique M. Noland. Les migrants sont embauchés pour effectuer certaines tâches qui exigent peu de qualifications et les travailleurs nés dans le pays, qui étaient déjà là, accèdent à des fonctions rendues possibles par l'afflux de main-d'œuvre, affirme-t-il. Ainsi, au lieu d'occuper des postes de débutants, les travailleurs nés au pays occuperont des postes plus élevés.
Il semble que ces travailleurs non autorisés soient des compléments plutôt que des substituts à la main-d'œuvre née au pays.
Une citation deMarcus Noland, vice-président du Peterson Institute for International Economics
Par ailleurs, certaines entreprises ne pourraient tout simplement pas fonctionner sans cette main-d'œuvre. Et si elles devaient fermer, des Américains perdraient également leur emploi.
Les États les plus touchés seraient la Californie, le Texas et la Floride, où résident près de la moitié des travailleurs sans papiers. C'est un résident sur 20 qui pourrait être expulsé, estime l’AIC.
L’institut a élaboré deux scénarios dans lesquels 1,3 million ou 8,3 millions de personnes seraient expulsées. Dans un cas comme dans l’autre, cela entraînerait une baisse du taux d'emploi et du PIB réel aux États-Unis jusqu'en 2040. Ce choc pousserait l'inflation américaine à la hausse pendant plusieurs années.
C’est sans compter les coûts sociaux d’une telle opération. Plus d’un million d’Américains sont mariés à un migrant sans papiers et 5,1 millions d’enfants ont un parent qui pourrait être expulsé. Les expulserait-on quand même, au risque de déchirer des familles?
5. Quel calcul politique?
Ces coûts ne semblent toutefois pas faire partie de l’équation pour la campagne Trump, qui cherche d’abord et avant tout à fouetter ses troupes.
Peut-être qu'une fois qu'ils iront de l’avant, ces coûts deviendront plus réels et cela pourrait mettre un frein au projet, précise M. Noland. Mais pour l'instant, ce qui les anime est un engagement idéologique : débarrasser le pays des migrants.
Cette fixation sur les étrangers sans papiers n’est pas nouvelle, rappelle Torrie Hester, professeure adjointe au Département d’histoire de l’Université Saint-Louis, au Missouri.
Chaque cycle électoral donne lieu à un déchaînement de haine, qui vise en particulier les personnes de couleur, habituellement celles qui sont originaires du Mexique, soutient-elle.
Les propos de Donald Trump ciblant les étrangers en situation irrégulière sont attrayants pour une classe ouvrière blanche qui se sent menacée, note Mme Hester. Lorsque l'on vit des difficultés économiques, on cherche ce qui pourrait nous aider, affirme-t-elle.
Les énormes montants qui seraient engloutis dans ce projet pourraient être employés à bien meilleur escient afin d'aider ces personnes qui s’inquiètent pour leur avenir, souligne l'experte. Toutefois, les dépenses publiques et les programmes sociaux ne font pas partie des priorités de l’ancien homme d’affaires. Sa base électorale rejette aussi fortement tout ce qui ressemble à l’État-providence, note Mme Hester.
Il n'y a pas un seul cas où les restrictions à l'immigration et les expulsions ont résolu les problèmes économiques, conclut celle qui a étudié l’histoire des expulsions.
Selon les calculs de l’AIC, avec les milliards que coûterait une stratégie d'expulsions massives, on pourrait construire plus de 40 450 nouvelles écoles primaires, plus de 2,9 millions de logements, ou payer les droits de scolarité de 8,9 millions de personnes pour leur permettre de fréquenter un établissement d'enseignement supérieur public pendant quatre ans.
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