De notre envoyée spéciale à Springfield – Alors que l'élection présidentielle américaine a lieu mardi, à Springfield, dans le Midwest, la tension reste palpable depuis que Donald Trump a relayé, en plein débat contre Kamala Harris, une rumeur accusant les immigrés haïtiens de cette ville de "manger" des chats et des chiens. "La peur est toujours là", confie l'un d'entre eux.
Dans un petit restaurant créole du sud de Springfield, dans l’État de l’Ohio, aux États-Unis, l’atmosphère est à la fois chaleureuse et chargée de tension. Attablé avec un ami, Nadhens Joseph évoque l’incident qui a bouleversé son quotidien il y a quelques semaines.
"Une cliente a commencé à me dire des horreurs, que les Haïtiens [comme lui, NDLR] mangeaient les chats et les chiens", raconte-t-il en français.
Suite à cet incident, cet homme de 25 ans a récemment décidé d'abandonner son emploi de chauffeur VTC, par crainte pour sa sécurité. "C’est vraiment stressant. Beaucoup d’amis ont déjà quitté la ville." Désormais, il s’accroche à son travail de photographe pour faire face aux difficultés financières.
Dans cette ville de 60 000 âmes, jadis fleuron industriel du Midwest, une rumeur relayée par Donald Trump a mis le feu aux poudres. Depuis le débat du 10 septembre face à sa rivale démocrate Kamala Harris, l’accusation selon laquelle les Haïtiens "mangent" des animaux de compagnie – écho de préjugés racistes – s'est rapidement propagée.
Depuis, Springfield a été confrontée à une vague de menaces et des alertes à la bombe qui ont provoqué la fermeture de nombreuses écoles, hôpitaux et commerces. La situation s’est envenimée davantage avec l’arrivée de groupuscules d’extrême droite, dont les Proud Boys, des suprémacistes blancs, qui sont venus défiler dans la ville.
En août 2023, une polémique avait déjà visé la communauté haïtienne de l'Ohio lorsqu’un minivan conduit par un Haïtien sans permis de conduire américain avait percuté un bus scolaire. L'accident, qui a coûté la vie à un enfant de 11 ans et blessé une vingtaine d’élèves, a déclenché une libération de la parole raciste, notamment sur les réseaux sociaux.
Aujourd'hui, les Haïtiens vivent dans la crainte d'une nouvelle vague de haine. "Si c’est Trump qui passe, on est tous foutus !", déplore Nadhens, exprimant une anxiété partagée par beaucoup.
Un rêve américain en péril
Pour Ketlie Moïse, la propriétaire du restaurant, cette rumeur toxique a aussi des répercussions concrètes. "Parfois, on m’appelle pour demander si on sert du chat ou du chien", raconte-t-elle, la voix brisée.
"Ça me blesse profondément". Entre tristesse et colère, elle constate la perte de clients effrayés de franchir les portes de son établissement, le Keket Bongout, ouvert en avril. Face à cette montée des discours de haine, son rêve américain s’effrite.
📞 "Parfois, on m’appelle pour demander si on sert du chat ou du chien. Ça me blesse profondément."
— Barbara Gabel (@Barbara_Gbl) November 2, 2024
Ketlie Moïse, restauratrice, raconte l’impact de cette folle rumeur sur son business#F24 #Springfield #Ohio #Haiti #USElection pic.twitter.com/kK4ebwwgyf
Comme Nadhens Joseph et Ketlie Moïse, nombreux sont ceux qui ont fui l’insécurité et le règne ultraviolent des gangs d'Haïti. Entre 10 000 et 12 000 Haïtiens vivent dans le comté de Clark dont fait partie Springfield, rapporte CNN. Attirés par le travail et la sécurité, la plupart d'entre eux vivent sous le Statut de Protection Temporaire (TPS) instauré par l’administration Biden.
Une mesure aujourd’hui menacée, Donald Trump promettant de l’abroger s’il est élu. "Je les ramènerai chez eux", a-t-il asséné sur NewsNation début octobre.
"Comment saura-t-il qui est Haïtien ou non ? Cette menace fait peur et crée un climat délétère !", s'indigne Denise Williams, présidente locale de la National Association for the Advancement of Colored People (NAACP), qui nous reçoit dans sa salle à manger.
La retraitée de 70 ans explique son engagement à protéger le droit de vote de cette communauté vulnérable : "Mardi, nous aurons des observateurs dans les bureaux de vote. Si des problèmes surviennent, la police sera prête à intervenir. Les Haïtiens doivent voter sans intimidation", affirme cette militante.
Pour Denise Williams, la rhétorique de Donald Trump va au-delà d’une simple déclaration de campagne. "Ces vidéos qui reprennent ses propos en plaisantant sont insultantes. Ce n’est rien d’autre que du racisme", dénonce-t-elle. "Donald Trump cherche à diviser par la haine et la violence, là où notre vice-présidente Kamala Harris parle d'unité et de paix".
🗳️ "Mardi, nous aurons des observateurs dans les bureaux de vote. Les Haïtiens doivent voter sans intimidation."
— Barbara Gabel (@Barbara_Gbl) November 2, 2024
Denise Williams, présidente locale de la @NAACP, veille au droit de vote de cette communauté vulnérable#F24 #Springfield #Ohio #Haiti #USElection pic.twitter.com/nthHGoHMEv
Le créole comme symbole de résistance
Non loin de chez elle, le Centre d’aide et de soutien à la communauté haïtienne de Springfield propose un cours de "Kreyol Ayisyen" (créole haïtien, en français) animé par Viles Dorsainvil, président de l’association. Une soixantaine de résidents non-haïtiens de Springfield sont venus y assister pour briser la barrière linguistique avec leurs voisins.
Parmi les participants, Jasmin Gonzalez, employée de Project Woman, une association d’aide aux victimes de violences conjugales. "Comprendre leur culture et leur langue permet d’établir une connexion essentielle, explique la jeune femme. Certains médias ont déformé la réalité et nous voulons montrer que les Haïtiens sont les bienvenus ici."
🇭🇹🗣️ Le créole comme symbole de résistance : au Centre d’aide et de soutien à la communauté haïtienne, des résidents non-haïtiens apprennent la langue de leurs voisins#F24 #Springfield #Ohio #Haiti #USElection pic.twitter.com/QcWYxMwsFy
— Barbara Gabel (@Barbara_Gbl) November 2, 2024
"Tant de gens sont prêts à apprendre de nous, notre culture, notre cuisine, notre musique, et notre histoire", se réjouit Viles Dorsainvil en pointant du doigt la feuille d’émargement où 25 personnes figurent en liste d’attente pour le cours. "Ils veulent savoir qui nous sommes en tant que peuple, en tant que nation."
À quelques jours d’une élection cruciale, ces habitants de Springfield veulent montrer que la cohésion est possible. Dans cette salle où résonne la langue créole, leur message est clair : combattre l’ignorance par la connaissance. "La peur est toujours là. Mais si nous restons solidaires, nous traverserons cette épreuve", conclut Viles Dorsainvil, l’espoir dans la voix.
Articles plus récents
<p>Après la fuite de Bachar al-Assad, l’une des principales questions est de savoir comment mettre la main sur les avoirs et biens mal acquis de l’ex-dictateur...