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1 year oldL’élève a fait la fierté du maître. Dimanche soir, le nouveau président élu de l’Argentine, l’anarcho-capitaliste autoproclamé et libertarien Javier Milei, a reçu sans surprise les félicitations de l’ex-président américain Donald Trump, avec qui il partage les mêmes colères et la même radicalité.
« Le monde entier regarde. Je suis très fier de toi. Tu vas transformer ton pays et redonner à l’Argentine sa grandeur passée », a écrit le milliardaire sur son réseau social, tout en teintant sa déclaration d’un « Make Argentina Great Again », que Milei a fait sien durant sa campagne, copiant ainsi le nom du mouvement politique de son idole américaine.
À 53 ans, le candidat de l’extrême droite et démagogue notoire a finalement fait entrer dimanche l’Argentine en « terra incognita », comme l’a écrit le chroniqueur politique Carlos Pagni dans les pages du quotidien de Buenos Aires La Nación, et ce, en remportant une victoire convaincante au deuxième tour de la présidentielle sur son opposant, le ministre de l’Économie et péroniste, Sergio Massa.
« Tout sauf une surprise »
Dans un pays en crise, affligé par une inflation qui devrait atteindre les 185 % en 2023, selon les dernières estimations de la banque centrale, le politicien « antisystème » a décroché 55,69 % des suffrages, devançant de 11,39 points le candidat des libéraux au pouvoir depuis plus de 20 ans en Argentine.
Une victoire qui est « tout sauf une surprise », commente en entrevue au Devoir, Ernesto Semán, auteur de plusieurs essais sur le populisme et la démocratie en Argentine. Elle vient mettre en lumière « les limites de quatre décennies de gouvernements démocratiques sur la prospérité économique, mais également le fait que les Argentins ne disposaient pas d’autres options pour exprimer leur frustration », dit-il depuis l’Université de Bergen en Norvège, où il enseigne.
« C’est une nuit historique pour l’Argentine », a clamé le nouveau président devant des milliers de partisans réunis devant le siège de son équipe de campagne à Buenos Aires. « Nous sommes confrontés à des problèmes monumentaux : l’inflation, la stagnation, l’absence de véritables emplois, l’insécurité, la pauvreté et la misère », a-t-il énuméré avant de promettre de « remettre en ordre les budgets et [de] régler les problèmes de la banque centrale », sans « tiédeur » ni « demi-mesures ».
« Je suis si heureux, maintenant je retrouve l’espoir, a commenté Nicolas Paez, jeune architecte de 34 ans, cité par l’Agence France-Presse. C’est la jeunesse qui a fait la différence. Un changement était nécessaire, et à présent je ne veux plus quitter le pays. »
De la théorie à la pratique
L’arrivée au plus haut sommet de l’État de Javier Milei, figure médiatique dont le fonds de commerce repose autant sur les formules à l’emporte-pièce ne craignant ni les excès ni la vulgarité que sur les attaques systématiques contre « la caste » politique qui « désormais a peur », selon le nouveau président, fait naître espoirs et craintes en Argentine.
Le nouveau président s’est illustré dans les derniers mois par la violence de ses discours appelant à « dynamiter » la banque centrale, qui, affirme-t-il, « vole » les Argentins, à privatiser le régime public de retraite et à couper dans les fonds publics. Dans des vidéos largement diffusées durant sa campagne, il s’est montré tantôt brandissant une tronçonneuse en marche pour résumer son programme économique et ailleurs en train de faire disparaître le nom de plusieurs ministères sur un tableau blanc — dont ceux de la Culture, du Travail, de l’Environnement, de la Diversité sociale, de l’Éducation (qu’il qualifie d’endoctrinement)… — pour illustrer son plan de réforme des institutions démocratiques. « La politique du vol est terminée, longue vie à la putain de liberté », a-t-il annoncé dans les jours précédant sa victoire.
Lundi, en entrevue sur les ondes de Radio Continental, le nouveau président a confirmé son intention de « dollariser » l’économie de l’Argentine, une mesure qui a pourtant plongé le pays dans une crise économique et sociale majeure à la fin du siècle dernier. Il a promis que ses plans de privatisation seront d’une « grande portée » et annoncé qu’il lui faudrait sans doute « de 18 à 24 mois » pour parvenir à réduire l’inflation.
La semaine dernière, une centaine d’économistes à travers le monde — dont le Français Thomas Piketty, l’Indienne Jayati Ghosh, l’Américain Branko Milanović et le Colombien José Antonio Ocampo, entre autres —, se sont dit « préoccupés » par le programme politique de Javier Milei, qui risque selon eux d’être plus néfaste à l’Argentine que l’inverse.
« Étant donné les fréquentes crises financières et les poussées récurrentes d’inflation vertigineuse que connaît l’Argentine, un désir profond de stabilité économique est légitime », ont-ils écrit dans une lettre ouverte publiée dans le quotidien espagnol El País. « Cependant, même si des solutions en apparence simples peuvent être attrayantes, elles risquent de causer davantage de dégâts à court terme, tout en réduisant la marge de manoeuvre des politiques à long terme », poursuivent-ils.
Javier Milei va prendre ses fonctions le 10 décembre prochain, amenant avec lui ses doutes sur les changements climatiques — qui ne sont pas le fait de l’activité humaine, prétend-il —, ses discours anti-féministes et sa remise en question de la loi autorisant l’avortement à laquelle il a promis de s’attaquer, en tant que « guerrier culturel » ayant pour mission de bouleverser la société argentine. « Il y a un véritable éveil aux idées de liberté », a dit le nouveau président lundi matin à la radio argentine. « Heureusement, l’espoir a vaincu la peur », a-t-il ajouté pour commenter sa victoire.
« Bien sûr, il ne va pas être en mesure de tenir ses promesses », assure Ernesto Semán, et ce, à l’image de plusieurs populistes avant lui, dont Jair Bolsonaro au Brésil voisin — autre idole du nouveau président — qui a nourri une crise économique et sociale dans son pays au terme de son unique et chaotique mandat.
« Sa victoire montre que la vision progressiste du monde a été délogée par les attaques agressives contre l’ancien régime. Elle confirme aussi qu’il n’y a pas de coût politique à affronter les institutions démocratiques. Cette victoire pourrait faire entrer le pays dans une période difficile en matière de redistribution de la richesse et de stabilité politique, en plus d’attiser une plus forte violence étatique », conclut M. Semán.
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