Des réseaux illicites d'immigration visant la jeunesse africaine sont dans la mire du Commissaire à la lutte contre la corruption.
Radio-Canada a appris que l’Unité permanente anticorruption (UPAC) enquête depuis deux mois sur des organisations malveillantes qui ont orchestré la venue d’étudiants africains au pays. Ces escrocs ont fraudé l'État et poussé des immigrants temporaires à faire des demandes d’asile.
Selon nos sources, l’investigation criminelle a été déclenchée à la suite des révélations de Radio-Canada sur des réseaux illégaux qui ont utilisé différents stratagèmes frauduleux en ciblant notamment l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC).
« C’est une bonne nouvelle que l’UPAC se penche sur les réseaux de fraudeurs qui affectent non seulement les victimes, mais également la réputation de nos institutions. Au besoin, nous collaborerons pour que ce genre de pratiques frauduleuses cesse », indique la directrice des communications et des relations publiques de l’UQAC, Marie-France Audet.
Dans une série de reportages d'enquête depuis avril, Radio-Canada a dévoilé comment des arnaqueurs ont berné des étudiants africains, des universités canadiennes et même les gouvernements du Québec et du Canada, grâce à des diplômes falsifiés, des lettres d’acceptation contrefaites, des preuves bancaires truquées et des promesses mensongères de bourses d’études.
Produire un faux document, c’est illégal. Pour nous c’est très sérieux, ça fait partie de notre mandat de protéger l’intégrité de l’État
Une citation deMathieu Galarneau, porte-parole du Commissaire à la lutte contre la corruption
Le rêve canadien est un marché lucratif en Afrique. Des dizaines d’agences et de consultants en immigration sans scrupule font fortune en promettant aux étudiants d’entrer facilement au pays.
Des victimes de ces fraudeurs se sont fait soutirer des milliers de dollars pour finalement découvrir, une fois en sol canadien, que leur admission à l’université était bidon. Plusieurs vivent dans la clandestinité et espèrent pouvoir régulariser leur situation.
Or, d’autres ressortissants ont aussi recours aux services de ces organisations illicites pour passer sciemment entre les mailles du filet. Les arnaqueurs incitent les jeunes à émigrer au Canada grâce à un permis d’études puis à réclamer un statut de réfugié.
Ces manœuvres frauduleuses, qui utilisent les écoles comme tremplins d’immigration, expliquent en partie pourquoi le nombre de demandes d’asile a explosé au Québec depuis 2020. Presque 12 000 étudiants ont requis un statut de réfugié en cinq ans.
L’UQAC, l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR) et le Collège Ellis du campus de Trois-Rivières trônent d'ailleurs au sommet des établissements d’enseignement à ce chapitre, une situation qui inquiète l’Université du Québec.
Les cégeps ont aussi pâti du recrutement d’étudiants africains par des agences malveillantes. Dans certains cas, la détresse des cégépiens floués était telle qu'ils ont été forcés de rentrer au bercail faute de moyens financiers.
L’UPAC bien au fait des stratagèmes de fraude
L’UPAC ne donne aucune information concernant la tenue d’une enquête criminelle. Elle affirme néanmoins être bien au fait de stratagèmes de fraude ainsi que de production et d’usage de faux documents visant à la fois des étudiants étrangers et des établissements d’enseignement supérieur québécois.
« Toute personne qui produit et utilise de faux documents afin de berner l’État peut faire face à des accusations criminelles », indique le porte-parole du commissaire à la lutte contre la corruption, Mathieu Galarneau.
L’UPAC invite d'ailleurs toute personne victime d’un tel stratagème à remplir le formulaire de dénonciation disponible sur son site web (nouvelle fenêtre) ou encore à contacter ses enquêteurs au 1-844-541-UPAC.
Des efforts restent à faire
Mathieu Galarneau souligne qu'il y a beaucoup d'efforts de prévention dans le secteur public.
« Nous invitons toute organisation publique à entrer en contact avec nous pour obtenir des outils de sensibilisation à la corruption et à la fraude, de façon à identifier les situations problématiques et à les dénoncer rapidement. Lorsque nous constatons qu’une organisation publique présente des failles où de possibles fraudeurs ou corrupteurs pourraient s’introduire, nous pouvons émettre des recommandations sur toute mesure visant à favoriser la prévention et la lutte contre la corruption. »
Rappelons que l’UQAC a été montrée du doigt concernant son laxisme dans la sélection de la clientèle internationale. Des sources ont indiqué à Radio-Canada qu’il s’agissait d’une « passoire » et que l’établissement a été aveuglé par l’appât du gain, ce qui l’aurait rendu plus vulnérable.
À ce jour, l’université reçoit d’ailleurs encore des passeports provenant de l’étranger qui pourraient être liés à des réseaux de fraude à l’identité, selon nos informations.
Un ancien étudiant de l’UQAC dans la mire
Nos sources indiquent qu’un ancien étudiant de l’UQAC originaire du Bénin qui se présentait comme un consultant en immigration est visé par l’enquête de l’UPAC.
L’arnaqueur, qui a opéré à la fois en Afrique et au Canada, aurait falsifié des documents de l’université pour faire croire à ses clients qu’ils immigraient en toute légitimité. Il aurait aussi fourni de faux diplômes et preuves bancaires aux autorités, ce qui laisse présager que des complices seraient impliqués dans ses manœuvres outre-mer. Quand l’UQAC a compris son stratagème à la fin 2023, elle l’a expulsé.
Cet escroc vit toujours en toute impunité au Québec. Nous avons tenté de le joindre à plusieurs reprises. Lors d’un bref entretien avec CBC, il a tout nié. Depuis, ses numéros de téléphone ne sont plus en service et il a bloqué nos messages sur les réseaux sociaux.
L’homme aurait fait plusieurs victimes, dont Aminata et Fatim (noms fictifs) qui ont dû se résoudre à vivre dans l’illégalité à Montréal et à Saguenay, plutôt que d’étudier à l’université.
Les Béninoises sont soulagées que les autorités veuillent enfin coincer l’artisan de leur malheur. Elles entendent collaborer pleinement avec l’UPAC pour qu’il soit arrêté et traduit en justice.
C’est la lueur d’espoir que j’attendais. Il ne faut plus qu’il fasse d’autres victimes.
Une citation deAminata (nom fictif)
Aminata, qui a avait porté plainte à la police, aux ministères provincial et fédéral de l’Immigration ainsi qu’au Centre antifraude du Canada, dit enfin voir la lumière au bout du tunnel.
Mais après des mois à se cacher et à craindre d’être déportée, Fatim, elle, vient de prendre un vol de retour pour le Bénin. Elle n’en pouvait plus de cette situation intenable, mais elle veut encore tout faire pour « éviter que ce pseudo-consultant fasse du mal à quelqu’un d’autre ».
07/07/2025