Au lendemain de l’accord de cessez-le-feu entre Israël et le Hamas, le président américain sortant, Joe Biden, et Donald Trump, qui revient au pouvoir lundi, veulent s’attribuer les mérites de ce qu'ils espèrent être un succès diplomatique majeur. Au risque d’oublier que ce cessez-le-feu, qui n'est pas encore entré en vigueur, peut voler en éclats à tout moment?
"C’est une blague ?" Le président américain Joe Biden a peu goûté, mercredi 15 janvier, qu’une journaliste lui demande à qui revient le mérite, à lui ou à Donald Trump, d’avoir obtenu un accord de cessez-le-feu entre Israël et le Hamas à Gaza.
Pour le président élu Donald Trump, s’attribuer la conclusion de cet accord est une affaire très sérieuse. "Sans notre victoire en novembre [à la présidentielle américaine, NDLR], ça n’aurait pas été possible", a-t-il écrit sur Truth Social, son réseau social. Il s’en est réjoui avant même que la Maison Blanche n'annonce la conclusion de cet accord mettant un terme provisoire à la guerre sanglante qui agite le Proche-Orient depuis les attaques terroristes du Hamas contre Israël le 7 octobre 2023.
Comme Ronald Reagan et Jimmy Carter ?
La situation politique particulière aux États-Unis – en pleine période de transition entre deux administrations – a donné une saveur inédite à la dernière ligne droite des négociations pour un cessez-le-feu.
La collaboration entre les négociateurs de Joe Biden et l’équipe de transition de Donald Trump représente donc un événement rare. Surtout "dans le contexte de polarisation très forte du paysage politique américain ne favorisant pas l’approche bipartisane", souligne René Lindstädt, spécialiste de la politique américaine à l’université de Birmingham.
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À cet égard, "le fait que l’équipe de Joe Biden ait accepté l’envoyé de Donald Trump pour le Moyen-Orient à la table de négociation prouve que c’était une opération gagnant-gagnant pour les deux camps", ajoute René Lindstädt.
Pour ce politologue, "Joe Biden sait que le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu cherche à rester en odeur de sainteté auprès de Donald Trump. La présence du représentant du président élu à la table des négociations pouvait faire pencher la balance et pousser Benjamin Netanyahu à signer un accord de paix pourtant très similaire à celui qu’il avait rejeté au printemps." Fin mai, Washington avait déjà soumis un plan de cessez-le-feu en trois phases.
Donald Trump veut le beurre et l'argent du beurre
Donald Trump, quant à lui, a toujours clamé vouloir un arrêt des combats entre Israël et le Hamas avant son entrée en fonction. Il aurait pu marcher dans les pas de Ronald Reagan et tout faire pour que l’accord soit signé après son arrivée à la Maison Blanche afin d’en récolter les bénéfices. Mais il veut avoir les mains libres pour s’atteler à ses autres priorités nationales et internationales. Ainsi, au Moyen-Orient, "il veut pouvoir se concentrer sur l’Iran et ne pas avoir à allouer trop de ressources aux tensions israélo-palestiniennes", estime Shahin Modarres, spécialiste du Moyen-Orient à l’International Team for the Study of Security (ITSS) Verona.
"Donald Trump veut aussi pouvoir s’attaquer dès son arrivée au pouvoir à son agenda interne, que ce soit les 'déportations de masse' d’immigrés ou la finalisation de son cabinet, sans avoir une crise régionale toujours en cours au Moyen-Orient", note René Lindstädt.
Pour autant, le président élu ne veut pas se satisfaire de la signature du cessez-le-feu entre Israël et le Hamas avant son arrivée au pouvoir. Il souhaite pouvoir s’en attribuer le crédit.
À cet égard, l’action de Steve Witkoff, son émissaire pour le Moyen-Orient, a été soulignée par des médias comme le quotidien israélien Haaretz ou le journal britannique The Guardian, qui se situent plutôt à la gauche de l’échiquier politique.
"On savait que le Hamas était plutôt ouvert à l’idée d’un cessez-le-feu avec Israël dès ce printemps, donc il fallait surtout convaincre le gouvernement de Netanyahu. Et la seule nouveauté dans les négociations depuis l’échec des précédents pourparlers, c’est le rendez-vous entre Steve Witkoff et le Premier ministre israélien le 11 janvier. De là, il est en effet tentant de conclure que c’est grâce à Donald Trump que l’accord a pu être finalisé", note Anurag Mishra, spécialiste de la politique américaine à l’ITSS Verona.
C’est d’ailleurs Donald Trump que Benjamin Netanyahu a appelé en premier pour le remercier de ses efforts. Dans son communiqué, le Premier ministre nomme aussi le 47e président américain dès le début et "n’évoque Joe Biden qu’au quatrième paragraphe", souligne le Wall Street Journal. "L’image qui en ressort, c’est que Donald Trump a réussi là où Joe Biden a échoué", résume Shahin Modarres.
Le cessez-le-feu, un point de départ
"C’est sûr que la pression exercée par Donald Trump et son émissaire ont permis de mettre la touche finale à ces négociations", confirme Amnon Aran, spécialiste du conflit israélo-palestinien à la City, University of London. Mais faire de Donald Trump l’unique "héros" américain de cet accord serait ignorer tout le travail accompli auparavant et d’autres facteurs ayant pu influencer la décision de Benjamin Netanyahu.
Ainsi, "le texte signé est très proche de celui élaboré par les équipes de Joe Biden. Sans ce travail en amont, il n’y aurait pas eu d’accord", affirme René Lindstädt.
Le Premier ministre israélien était aussi prêt à être convaincu. "Benjamin Netanyahu est dans une position politique et stratégique beaucoup plus forte qu’au printemps. Le Hezbollah est très affaibli au nord, le régime de Bachar al-Assad a chuté en Syrie, et Israël a mené quelques opérations efficaces contre l’Iran", explique Amnon Aran.
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Pour cet expert, cette multiplication de bonnes nouvelles et de succès tactiques "a permis à Benjamin Netanyahu d’envisager plus sérieusement un cessez-le-feu avec le Hamas. En ce sens, ce contexte me semble plus important que la pression exercée par Donald Trump dans la décision finale de signer l’accord."
Et si Israël a pu réussir à affaiblir le Hezbollah au Liban, détruire une part importante des infrastructures du Hamas à Gaza ou encore mener des opérations contre l’Iran, "c’est en partie grâce au soutien de l’administration américaine depuis le début de cette guerre. On peut donc tout aussi bien dire que Joe Biden a fait bien plus pour rendre cet accord possible que Donald Trump", assure Amnon Aran.
Cette question de la médaille du meilleur négociateur "reste surtout une opération de com’ pour les deux présidents américains, car c’est envisager la situation à très court terme", assure René Lindstädt.
Pour lui, vouloir s’attribuer le mérite de cet accord n’est pas sans risque "car ce cessez-le-feu n’est que le point de départ des négociations à venir pour s’assurer que la fin du conflit soit pérenne".
Le danger serait que Donald Trump estime pouvoir dorénavant passer à complètement autre chose et délaisser le dossier israélo-palestinien. Pour Anurag Mishra, la réalité du terrain ne lui permettra pas de fermer les yeux sur la suite des négociations. "Il ne pourra pas s’occuper de l’Iran si le conflit repart entre Israël et le Hamas, donc il va être obligé de tout faire pour que la paix dure", conclut-il.
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