Turquie

En Turquie, le chef du PKK kurde appelle à rendre les armes

Auteur: admin, Killian Cogan Source: Les Echos:::
Février 27, 2025 at 21:52
Manifestation à Diyarbakir, dans le sud-est de la Turquie, en soutien à Abdullah Ocalan, le leader du PKK emprisonné. (Yasin AKGUL/AFP)
Manifestation à Diyarbakir, dans le sud-est de la Turquie, en soutien à Abdullah Ocalan, le leader du PKK emprisonné. (Yasin AKGUL/AFP)

Abdullah Ocalan, leader du groupe insurgé kurde, a appelé jeudi ses partisans à dissoudre l'organisation, mettant fin à quarante ans de lutte armée contre l'Etat turc. Cet appel enclenche un processus de paix, alors que le président Erdogan initie un nouveau tournant autoritaire.


C'est une annonce historique. Jeudi après-midi, le leader du groupe insurgé du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), Abdullah Öcalan, a appelé l'organisation à « rendre les armes » et à se « dissoudre ». Öcalan est incarcéré sur l'île-prison d'Imrali, dans la mer de Marmara, depuis 1999. Sa déclaration a été relayée par une délégation du parti pro-Kurde DEM, qui a lu une lettre de sa part lors d'une conférence de presse à Istanbul.

Il s'agit là de l'aboutissement de plusieurs mois de tractations qui ont commencé en octobre dernier. Le chef du parti ultranationaliste turc Devlet Bahçeli, allié gouvernemental du président Erdogan, avait alors appelé le chef du PKK à déposer les armes, en échange de sa libération. Dès lors, des délégations du parti DEM et des proches d'Abdullah Ocalan ont été autorisés à lui rendre visite à plusieurs reprises, rompant ainsi l'isolement quasi-total qui lui était imposé depuis près de quatre ans. A l'issue de ces rencontres, le chef du PKK avait fait part de sa volonté « d'en finir avec la lutte armée ».

« Une influence considérable »

Si l'appel de jeudi est suivi par l'organisation, Ocalan mettrait ainsi fin à plus de quarante ans de lutte armée contre l'Etat turc. Autant dire qu'il s'agit là d'une étape majeure, même si elle n'est pas sans précédent : en 2015, déjà, le chef insurgé avait enjoint à l'organisation de déposer les armes, dans une lettre lue par un député devant 200.000 personnes à Diyarbakir, la capitale de fait du Kurdistan turc. Les affrontements avaient cependant très vite repris, le PKK entamant une insurrection urbaine dans les villes du sud-est de la Turquie, laquelle s'était soldée par un l'échec cuisant face à la contre-offensive de l'armée turque.

« Ocalan exerce une influence considérable au sein du mouvement kurde. Cet appel va trouver un écho important au sein de l'organisation, affirme Roj Girasun, un politologue spécialiste des Kurdes en Turquie. Reste à voir comment les différentes branches du PKK y réagiront. Il est possible que certains groupes se divisent ou refusent de déposer les armes, car l'organisation n'est pas une structure homogène », prévient-il.

Au-delà de sa présence en Turquie, le groupe armé, qui revendique une autonomie de la région kurde ainsi que des droits culturels et linguistiques, est implanté dans les montagnes du Qandil, dans le nord de l'Irak, au sein de la diaspora kurde en Europe (en Allemagne et en France notamment), mais surtout dans le nord-est de la Syrie, où le projet idéologique d'Abdullah Ocalan a été mis en oeuvre par la branche locale du parti, le PYD, à partir de 2012.

L'enjeu syrien

Jeudi après-midi, le chef du PYD, Salih Muslim, a d'ailleurs réagi à l'appel d'Ocalan, lui apportant son soutien. « Si nous pouvions travailler politiquement, nous n'aurions plus besoin d'armes. Si les raisons de porter des armes disparaissaient, nous les déposerions », a-t-il déclaré. A l'heure des reconfigurations politiques en Syrie depuis la chute du régime de Bachar Al-Assad, ces territoires contrôlés par le PKK seraient « le principal enjeu » des négociations actuelles entre Ocalan et l'Etat turc, selon l'historien spécialiste des Kurdes Hamit Bozarslan.

Pourtant, on est frappé par l'aspect quelque peu laconique de la déclaration en question. Car Ocalan n'a évoqué ni l'avenir des enclaves kurdes en Syrie, ni les concessions que le mouvement kurde obtiendrait de la part des autorités turques en échange d'une dissolution du PKK. De quoi laisser pantois. D'autant que cet appel intervient dans un contexte de durcissement autoritaire de la part du président Recep Tayyip Erdogan.

Arrestations et destitutions

Au cours des deux derniers mois, le pouvoir turc a multiplié les arrestations dans les cercles d'opposition. Une dizaine d'élus locaux ont été destitués, dont huit maires liés au parti pro-kurde DEM, que les autorités accusent justement « d'appartenance à l'organisation terroriste PKK ».

Le maire d'Istanbu, Ekrem Imamoglu, rattaché au parti kémaliste CHP, fait quant à lui l'objet de plusieurs enquêtes judiciaires. Au-delà des cercles politiques, les coups de filets se sont par ailleurs étendus aux domaines culturels et médiatiques. Ce jeudi, la journaliste d'opposition très suivie, Nevsin Mengü, a été condamnée à un an et trois mois de prison pour avoir accordé une interview à Salih Muslim, le leader du PYD.

Ainsi, on se garderait à ce stade de voir dans ce processus de paix un progrès pour la démocratie turque. Pour la politologue Gönül Tol, rattaché au Middle East Institute de Washington, il s'agirait là d'une « stratégie de la part d'Erdogan visant à coopter le mouvement kurde en vue d'amender la Constitution, et s'octroyer un énième mandat présidentiel » à l'issue des prochaines élections en 2028.
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