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Influenceurs, applis : le grand vide laissé par l'interdiction de TikTok en Inde

Auteur: Clément Perruche Source: Les Echos:::
Janvier 18, 2025 at 06:54
Avant son interdiction en 2020, TikTok comptait 200 millions d'utilisateurs en Inde, soit son plus gros marché à l'extérieur à l'époque. (Indranil MUKHERJEE/AFP)
Avant son interdiction en 2020, TikTok comptait 200 millions d'utilisateurs en Inde, soit son plus gros marché à l'extérieur à l'époque. (Indranil MUKHERJEE/AFP)

En 2020, l'Inde a interdit TikTok après un affrontement militaire avec la Chine. Des applications locales comme Josh ont tenté de récupérer les utilisateurs de la plateforme chinoise. Sans succès. La disparition de la plateforme chinoise a eu des conséquences importantes sur l'écosystème.


Que va-t-il se passer après la potentielle interdiction de l'application TikTok aux Etats-Unis ? Le gouvernement américain a obligé le géant chinois ByteDance, la maison mère de l'application, à vendre sa filiale américaine avant le 19 janvier,sous peine d'interdiction pour la plateforme, qui compte 170 millions d'utilisateurs outre-Atlantique. Le groupe pourrait toutefois obtenir un sursis de dernière minute.

En Inde, cela fait déjà quatre ans et demi que l'application chinoise a été bannie des smartphones. Le pays le plus peuplé du monde a interdit TikTok du jour au lendemain en juin 2020, en représailles après un affrontement militaire meurtrier entre Delhi et Pékin dans la région disputée du Ladakh. La plateforme chinoise comptait 200 millions d'utilisateurs en Inde - son plus gros marché à l'extérieur à l'époque.

Josh, le TikTok made in India

« L'interdiction de TikTok a créé une opportunité à plusieurs milliards de dollars, a expliqué à la BBC Nikhil Pahwa, un expert en politiques numériques. Plusieurs start-up indiennes se sont lancées ou ont pivoté pour combler le vide. » C'est le cas de Josh, une copie conforme de TikTok, lancée quatre jours seulement après l'interdiction. Dans un premier temps, les Indiens se sont rués sur ce TikTok made in India. En 2022, Josh comptait 150 millions de membres actifs. L'entreprise avait même réussi à lever plus d'un milliard de dollars auprès d'Alphabet et de Microsoft.

Après des débuts en fanfare, Josh, comme les autres plateformes indiennes, se heurte néanmoins à de sérieux problèmes. La monétisation des vidéos est en effet plus compliquée que prévu. Quant à l'algorithme, il est loin d'être aussi pertinent que celui de TikTok. Plus largement, Josh peine à récréer la culture internet qui s'était développée sur le TikTok indien.

La concurrence américaine

Résultat : les utilisateurs désertent la plateforme. Les téléchargements mensuels de Josh se sont effondrés de 80 % entre juillet 2023 et juin 2024. Le nombre d'utilisateurs actifs mensuels a dégringolé de 50 % sur la même période, passant de 20 millions à moins de 10 millions. Au total, treize applications similaires à TikTok ont été lancées en Inde après l'interdiction de TikTok. Trois seulement ont survécu : Josh, Moj et Glance.

« Les alternatives indiennes à TikTok n'ont pas réussi à attirer une audience globale comme le faisait TikTok », estime Prateek Waghre, de l'ONG Internet Freedom Foundation. Ces plateformes ont aussi subi la concurrence des géants américains. Instagram a lancé ses « reels », une copie quasi conforme de ce que faisait TikTok, quelques semaines seulement après l'interdiction de la plateforme chinoise.

YouTube lui a emboîté le pas avec ses « shorts ». « Il y a eu beaucoup de buzz autour des alternatives à TikTok, mais la plupart ont disparu à long terme. A la fin, c'est Instagram qui a le plus profité de la disparition de TikTok », estime Prateek Waghre.

Des influenceurs laissés sur le carreau

En Inde, la fermeture de l'application chinoise a été un crève-coeur pour beaucoup de créateurs de contenu. Notamment dans les zones rurales et au sein des castes considérées comme « basses », qui s'étaient emparées de TikTok, jugée plus facile d'utilisation. « TikTok est peut-être une entreprise étrangère, mais elle aidait des individus, ici en Inde, qui autrement n'auraient jamais eu la chance de devenir des stars », a expliqué Awal Madaan, un influenceur qui comptait 6 millions d'abonnés sur TikTok au moment de l'interdiction.

Les marques s'étaient ruées sur ces relais pour conquérir de nouveaux marchés. « TikTok a démocratisé la création de contenu et des populations marginalisées ont pu en tirer des revenus », a expliqué Sahil Shah de chez WatConsult, une agence digitale indienne. Des influenceurs vivant en zone rurale pouvaient gagner jusqu'à 2.000 dollars par mois en faisant du placement de produit. Bien plus que le salaire moyen d'un travailleur agricole, lequel dépasse péniblement les 130 dollars.

La déception Instagram

Après l'interdiction de TikTok, les créateurs de contenu ont migré sur Instagram. Mais il a fallu tout rebâtir. « Certains étaient très connus sur TikTok, mais pas du tout sur les autres plateformes. Les réseaux sociaux sont impitoyables. Si vous êtes absent pendant quelques semaines, vous perdez des millions de abonnés », pointe Prateek Waghre de l'Internet Freedom Foundation.

Certains influenceurs ont tout simplement disparu des radars. « Le feed de TikTok fonctionne très différemment de celui d'Instagram. Il était possible, pour des petits comptes, de faire énormément de vues sur TikTok. Ce n'était pas le cas sur Instagram. Par ailleurs, les contenus sur Instagram s'adressent davantage à la classe moyenne indienne. Il y avait donc une inadéquation entre les contenus des influenceurs issus de TikTok et les utilisateurs d'Instagram », estime Prateek Waghre. N'est pas TikTok qui veut.

Clément Perruche (Correspondant à New Delhi)

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