À l’heure actuelle, Mark Zuckerberg s’efforce de s’attirer les bonnes grâces de Donald Trump. Mais il y a une dizaine d’années, le p.-d.g. de Meta voulait châtier le politicien.
À la fin de l’année 2015, M. Trump avait appelé à interdire d’entrée aux États-Unis les musulmans dans un message enflammé publié sur Facebook, suscitant un tollé parmi les employés de la société. M. Zuckerberg et d’autres hauts cadres de Meta avaient alors estimé que le message du milliardaire était odieux et devait être retiré en vertu des règles interdisant les discours haineux sur la plateforme.
Le principal lobbyiste républicain de l’entreprise, Joel Kaplan, n’était pas de cet avis. Ancien membre du gouvernement de George W. Bush, M. Kaplan avait donc exhorté le fondateur de Facebook, alors âgé de 31 ans, à laisser le message litigieux en place.
Une décision a alors été prise : les politiciens seraient dorénavant exemptés de la plupart des règles de Meta en matière de contenu, permettant ainsi à M. Trump et à ses émules de publier pratiquement n’importe quoi sur Facebook, même si Mark Zuckerberg condamnait publiquement « la haine ».
Pendant le premier mandat de M. Trump, Meta et son p.-d.g., alors de tendance progressiste, s’en sont fréquemment remis à M. Kaplan à huis clos, instituant des politiques de contenu, de promotion et de vérification des faits favorables aux républicains. Mais cette stratégie n’a guère contribué à cultiver un amour pour Mark Zuckerberg chez les conservateurs américains.
Aujourd’hui, le fondateur de Meta ne veut plus jouer dans les deux camps.
Repositionnement
Avec le retour de Trump au Bureau ovale, Mark Zuckerberg est en train de repositionner son entreprise pour s’engager à fond dans des États-Unis aux couleurs du MAGA. Le programme de vérification des faits de Meta, autrefois très apprécié, a été mis au placard. Les efforts de l’entreprise en matière de diversité et d’inclusion ont été freinés. Et Joel Kaplan est dorénavant à la tête des affaires mondiales de l’entreprise, remplaçant l’ancien politicien britannique Nick Clegg, de tendance progressiste.
Après s’être engagé à rester neutre lors de la dernière campagne présidentielle, M. Zuckerberg a renforcé ses relations avec Donald Trump : il est allé à Mar-a-Lago pour le rencontrer en privé ; il a autorisé un don de 1 million de dollars de Meta au fonds d’intronisation du nouveau président américain ; il a ajouté une voix trumpiste, celle du p.-d.g. de l’Ultimate Fighting Championship, Dana White, au conseil d’administration de sa société.
Dans une démonstration éclatante de cette nouvelle alliance, Mark Zuckerberg a rejoint la famille de Trump, les membres du cabinet présidentiel et ses alliés milliardaires sur la scène lors de la cérémonie d’assermentation.
Si la nouvelle stratégie politique de Meta fonctionne, elle pourrait éviter l’ire d’un président belliqueux et gagner un allié dans sa lutte contre un nombre croissant de lois visant sa position dominante à travers le monde — au risque de se mettre à dos plusieurs de ses employés et de ses utilisateurs, irrités par la transformation spectaculaire de l’entreprise. Meta a renoncé à tout commentaire.
« Facebook a fait des concessions pendant le premier mandat de Trump, mais il l’a fait discrètement », explique Nu Wexler, consultant en relations publiques, qui a autrefois travaillé pour Meta. « Je pense que la différence par rapport à ce que vous voyez maintenant […], c’est que ces changements sont davantage mis avant. »
Tordre les règles
Après la victoire de Donald Trump en 2016, c’est en grande partie à Joel Kaplan qu’il est revenu de se faire des amis au sein du gouvernement. Le républicain avait rejoint Meta en 2011, après avoir passé huit ans à la Maison-Blanche sous George W. Bush en tant que chef de cabinet adjoint. Ex-officier du corps des marines, M. Kaplan a notamment été l’assistant du juge Antonin Scalia, de la Cour suprême des États-Unis, et a travaillé comme lobbyiste dans le secteur de l’énergie.
Son appartenance au camp républicaine était incontestable, mais ce traditionaliste de l’ère Bush s’est trouvé confronté au défi que posait l’anticonformiste Trump. Il n’avait d’ailleurs pas soutenu le milliardaire lors des primaires de 2016, lui préférant l’ancien gouverneur de Floride Jeb Bush et le sénateur floridien Marco Rubio. Le diplômé de l’Université Harvard s’était toutefois rapidement rapproché du gouvernement Trump, faisant un pèlerinage au gratte-ciel du milliardaire en décembre 2016 dans l’espoir de décrocher un poste de responsable, selon deux sources familières avec le dossier qui ont parlé sous le couvert de l’anonymat.
Ses opinions politiques sortaient du lot chez Meta (alors simplement nommée Facebook), une entreprise qui était connue pour ses employés progressistes et ses relations étroites avec le gouvernement Obama. La présence de M. Kaplan à la controversée audience de confirmation de Brett M. Kavanaugh à la Cour suprême, en 2018, avait d’ailleurs suscité la colère du personnel de l’entreprise. Lors d’une grande réunion avec les employés de Facebook, il avait expliqué soutenir un ami de longue date, sans s’excuser, selon deux autres sources qui ont parlé sous le couvert de l’anonymat.
« À cette époque, la Silicon Valley était très à gauche », explique Katie Harbath, ancienne responsable chez Meta et ex-stratège numérique en chef du Comité sénatorial national républicain (National Republican Senatorial Committee). « La réaction [à l’élection de Donald Trump] et le contrecoup, en particulier chez Facebook, ont fortement influencé ce qu’ils ont fait. »
Néanmoins, M. Kaplan avait essayé d’approfondir les relations entre le monde de Meta et celui de Donald Trump. Il avait ainsi organisé un dîner privé pour Zuckerberg et Chan à la Maison-Blanche. Le bureau de Meta à Washington avait aussi interviewé l’ancien directeur de campagne de M. Trump, Corey Lewandowski, pour un poste de lobbyiste — c’est finalement Sandra Luff, ancienne directrice parlementaire du sénateur Jeff Sessions, procureur général sous M. Trump, qui avait été embauchée. Il avait créé un groupe de lobbyisme anti-chinois, American Edge, afin d’harmoniser les messages de Facebook à ceux de la Maison-Blanche.
Mais gagner la confiance de Donald Trump s’est avéré difficile pour lui. Les influenceurs de droite accusaient depuis longtemps les algorithmes de Facebook de censurer les voix conservatrices, et M. Trump s’était rangé dans leur camp. Le président avait alors lancé une série d’attaques contre les géants de la techno, les accusant d’avoir un parti pris contre lui.
Face à ces attaques, M. Kaplan a contribué à minimiser les mesures disciplinaires contre les pages colportant de fausses nouvelles, arguant qu’elles auraient un impact disproportionné sur les gens de droite, et a fait pression pour que l’algorithme de Facebook donne davantage de place aux voix conservatrices.
À l’approche de l’élection présidentielle de 2020, M. Zuckerberg s’était vanté de l’objectif de Meta d’aider plus de quatre millions de personnes à s’inscrire sur les listes électorales et de la mise en place d’un centre d’information. En coulisses, cependant, l’équipe de M. Kaplan a trouvé le moyen de tordre les règles afin d’éviter d’avoir à sévir contre les affirmations trompeuses de Donald Trump.
Ainsi, lorsque M. Trump a prétendu à tort, en mai 2020, que le secrétaire d’État du Michigan avait envoyé illégalement des bulletins de vote par correspondance à certains électeurs, des employés de Meta avaient demandé à M. Kaplan de retirer le message en vertu des règles internes interdisant les affirmations trompeuses sur la manière de voter. Mais ce dernier a soutenu que ces allégations pourraient se révéler vraies plus tard si des tribunaux allaient en ce sens, selon deux personnes au fait de l’affaire et une correspondance interne obtenue par le Washington Post. La publication de Donald Trump — et plusieurs autres — est donc restée en place.
La stratégie de Meta, qui consistait à apaiser Trump en privé, a vacillé après que des émeutiers eurent attaqué le Capitole des États-Unis le 6 janvier 2021, un incident organisé en partie sur les médias sociaux. En réaction, Meta et d’autres entreprises technologiques ont suspendu les comptes de Donald Trump, le privant ainsi de son porte-voix sur les médias sociaux.
Changement de paradigme
Mais la victoire décisive de Trump en 2024 a ouvert la porte à de nombreux changements favorables aux républicains chez Meta. L’entreprise a recruté comme lobbyiste Dustin Carmack, qui a notamment contribué à l’élaboration du programme de la Heritage Foundation, connu sous le nom de Projet 2025.
Alors que de nombreux républicains, y compris M. Trump, ont salué la série de changements mis en œuvre par Meta au début du mois, la plus grande victoire des conservateurs pourrait être les déclarations publiques du p.-d.g. de l’entreprise.
M. Zuckerberg a qualifié de « censure » les efforts déployés depuis des années par sa société afin d’encadrer la liberté d’expression, reprenant ainsi une expression républicaine qui rejette celle qui est préférée par l’industrie, soit la « modération du contenu ». Il a qualifié les grands éditeurs de presse de « médias patrimoniaux » (« legacy media ») en lesquels il n’a plus confiance. Ses nouvelles règles en matière de propos haineux font notamment référence au « transgendérisme », un terme que certains militants LGBTQ + considèrent comme offensant ou dépassé.
Au cours des dernières années, en parallèle, les dirigeants de Meta se sont efforcés d’étouffer tout mécontentement interne. Des règles limitant les discussions sur les sujets litigieux au travail ont été mises en place. Et, dans le contexte économique actuel, les travailleurs de la Silicon Valley ont plus peur de perdre leur emploi qu’avant.
Dans les forums de discussion internes de Facebook, des employés de Meta se sont plaints de voir des messages critiquant l’entreprise disparaître. D’autres ont noté que la nouvelle philosophie de l’entreprise en matière de liberté d’expression ne semblait s’appliquer qu’aux conservateurs sur les réseaux publics, selon des copies des messages consultés par le Post.
Mark Zuckerberg ne montre aucun indice de fléchissement. Dans une vidéo expliquant les changements, il a affirmé que l’abandon de la modération des contenus était nécessaire parce que la victoire de Donald Trump avait montré que le pays avait atteint un « point de basculement culturel vers une nouvelle priorité accordée à la liberté d’expression ».
On ne sait pas encore comment la seconde présidence Trump changera la culture des États-Unis, mais M. Zuckerberg a déjà fait savoir qu’elle définira celle de Meta.
Articles plus récents
<p>Marco Rubio menace le Panama de "mesures" en l'absence de "changements immédiats" sur le canal</p>