Iran

Israël-Iran : les trois conséquences majeures des raids américains

Auteur: Yves Bourdillon Source: Les Echos:::
Juin 22, 2025 at 20:26
Donald Trump s'adresse à la nation depuis la Maison-Blanche, Washington, le 21 juin 2025. Les frappes sur les sites nucléaires iraniens marquent un tournant géopolitique majeur. (Kevin Mohatt/Reuters) Par Yves Bourdillon
Donald Trump s'adresse à la nation depuis la Maison-Blanche, Washington, le 21 juin 2025. Les frappes sur les sites nucléaires iraniens marquent un tournant géopolitique majeur. (Kevin Mohatt/Reuters) Par Yves Bourdillon

L'impact des raids américains sur les sites nucléaires iraniens sera énorme. Mais provoqueront-ils l'embrasement régional tant redouté ? Washington affirme que Téhéran n'est plus le caïd de la région.


L'impact des bombes GBU-57 américaines se fera sentir bien au-delà des sites de Natanz, Ispahan et, surtout, Fordo, dont Donald Trump a estimé ce dimanche matin qu'il « n'est plus ». C'est un véritable séisme, qui couvait depuis le début du siècle avec la découverte de sites iraniens clandestins d'enrichissement d'uranium, qui a frappé le Proche-Orient ce dimanche matin à 1 h 57, heure de Paris.

Et si Téhéran a fait, comme d'habitude, dans l'emphase, en prévenant que ces raids auront des « conséquences éternelles », force est de reconnaître que les répercussions de cet événement seront lourdes et durables.

Jusqu'à bouleverser l'équilibre géopolitique de cette région stratégique de la planète, tant sur le plan pétrolier que religieux, l'Iran étant le berceau d'un islamisme conquérant relancé, précisément, à Téhéran en 1979. Il est trop tôt pour l'évaluer, mais d'ores et déjà, ces raids (la première intervention militaire décidée par Donald Trump hormis celui ayant éliminé en janvier 2020 en Irak le chef des Gardiens de la Révolution de l'Iran, Qassem Soleimani, suivi de quelques ripostes aux ripostes) auront trois conséquences majeures.

Le régime des mollahs menacé

La première est que le programme nucléaire iranien semble être sinon anéanti, du moins renvoyé des années, peut-être même des décennies en arrière. « Les installations essentielles d'enrichissement nucléaire de l'Iran ont été intégralement et totalement détruites », s'est même targué Donald Trump. Les images satellites du site le plus profondément enterré et le plus précieux, celui de Fordo, montrent des dégâts considérables.

 

 

Il est vraisemblable que les bombes américaines de 13,6 tonnes ont perforé 60 m de terre et de béton pour détruire les cascades de milliers de centrifugeuses ayant permis de produire de l'uranium enrichi à 60 % en isotope 235, celui qui, à la teneur de 90 %, permet d'obtenir une bombe atomique (pour produire de l'électricité, 3,6 % suffisent).

Un « détail » qui n'en est pas un, toutefois : le stock de 408 kg d'uranium hautement enrichi était-il dans les sites frappés, ou avait-il été déménagé discrètement ces derniers jours ?

 

La chute du caïd

Deuxième conséquence : face à l'entrée en lice de ce nouveau protagoniste, la plus puissante armée du monde, l'Iran a le choix entre surenchérir par des attaques sur les bases américaines dans la région (si tant est que ses drones et ce qui reste de ses missiles balistiques puissent traverser les défenses aériennes des Etats-Unis et des pays hôtes), ou signer un cessez-le-feu aux conditions de Washington et de l'Etat hébreu.

Aussi agréable que « boire un calice de poison », selon la formule de l'ayatollah Khomeyni se résignant à signer la paix avec l'Irak en 1988.

« L'Iran, le caïd du Moyen-Orient, doit maintenant faire la paix », a d'ailleurs estimé Donald Trump. « S'ils ne le font pas, les prochaines attaques seront bien plus importantes », a ajouté le président américain, estimant que le pays a le choix entre « la paix ou la tragédie ».

Mais en perdant ainsi la face, le régime des mollahs risquerait de s'exposer à la révolte d'un peuple iranien constatant que le régime, en plus de les isoler, appauvrir et opprimer depuis quarante-six ans, n'arrive même pas à protéger le pays.

Mécanisme classique quand une dictature subit un désastre militaire, le roi est nu. Une situation vécue, par exemple, en Argentine après la défaite des Malouines en 1982, ou par le régime serbe de Milosevic après le Kosovo en 1999. Mais pas automatique : grâce au mécanisme, relativement classique, de ralliement autour du drapeau dans un pays bombardé et à la puissance de son appareil répressif, Saddam Hussein avait survécu à sa déroute, en 1991, au Koweït. La chance du régime est qu'il n'existe aucune alternative politique crédible, les opposants étant tous en exil, en prison, ou au cimetière.

D'ores et déjà, toutefois l'Iran n'est plus le « caïd » du Proche-Orient. Depuis l'attaque historique du 7 octobre 2023 en Israël menée par son partenaire du Hamas, il avait déjà perdu, peu ou prou, ce dernier, en grande partie détruit par l'armée israélienne, puis le Hezbollah, ainsi que son allié syrien, en décembre.

 

 

Son armée, pourtant réputée, au moins en effectifs, une des plus puissantes du Proche-Orient, est ridiculisée par l'aviation israélienne. Elle a perdu la moitié des rampes de lancement de missiles balistiques, sa composante de loin la plus redoutable.

Quant à son programme nucléaire, pour lequel le régime était prêt à endurer isolement et sanctions, il n'en reste peut-être plus grand-chose. Son isolement est flagrant, puisqu'au-delà des communiqués convenus, aucun Etat n'a volé à son secours : personne n'est prêt à mourir pour les mollahs.

Même la Russie, qui avait pourtant signé en janvier un partenariat stratégique, n'a pas bougé, conduisant un dirigeant iranien à déclarer, amer : « Nous nous souviendrons de ceux qui nous ont fait quelque chose, mais aussi de ceux qui n'ont rien fait. »

Risque d'embrasement ?

Un isolement qui laisse présager, troisième impact, ou plutôt absence probable d'impact, un risque faible d'embrasement. Pour ce dernier, il faudrait en effet que le Proche-Orient soit structuré en deux camps antagonistes, Israël/Etats-Unis d'un côté, et Iran et ses alliés étatiques de l'autre.

Le chef du gouvernement israélien va peut-être un peu vite en besogne en estimant que Donald Trump impose ainsi un « tournant historique qui peut aider à conduire le Moyen-Orient et au-delà vers un avenir de prospérité et de paix ». Mais on peut attendre quelques réalignements des alliances de la Turquie, la Syrie, l'Arabie saoudite, l'Egypte et les monarchies du Golfe, avec des Etats-Unis redevenus le « taulier », paradoxe pour une administration se disant non-interventionniste. La situation demeure toutefois très volatile: après un vote-posture du Parlement, qui n'a pas grand pouvoir en Iran, le Conseil national de sécurité devait plancher en soirée sur un projet de fermeture du détroit d'Ormuz, par lequel transite un cinquième du commerce mondial de pétrolier. Opération techniquement plus complexe qu'elle n'en a l'air et qui serait assimilable à un acte de guerre contre les pays riverains, notamment Arabie saoudite...

Yves Bourdillo

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