L’interminable feuilleton du nucléaire iranien a connu ces derniers jours un autre rebondissement dans les méandres des Nations unies, à New York.
Devant l’impasse des négociations entre la République islamique d’Iran et les États-Unis, par l’intermédiaire du sultanat d’Oman, les Européens sont entrés en jeu, après avoir été mis à l’écart durant toute la période des pourparlers, entre avril et juin.
Après plusieurs réunions entre les diplomates britanniques, français, allemands et iraniens, les pays européens ont décidé d’activer le mécanisme de snapback (rétablissement), prévu par l’accord de 2015, qui consiste à rétablir les sanctions de l'ONU dans les 30 jours si aucun accord n’est conclu.
Les Européens ont formalisé la procédure de rétablissement le 28 août dernier, au siège des Nations unies, à New York.
Selon une étude publiée par l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) en France, cette procédure de snapback, telle une dernière carte, apparaît comme une manière d’exercer une pression sur l’Iran pour forcer le pays à négocier avec les États-Unis.
Les auteurs de l’étude avancent que les Européens ont demandé à l’Iran de reprendre les négociations avec les États-Unis […], de reprendre le contact avec l’AIEA [Agence internationale de l'énergie atomique] et de donner des éléments précis sur la localisation du stock d’uranium enrichi à 60 %.
À ces conditions, la procédure de rétablissement des sanctions serait suspendue six mois.
Légitimité
Pourquoi les Européens ont-ils agi maintenant? Parce que l’accord de 2015 sur le nucléaire iranien arrive à échéance le 18 octobre 2025.
Selon les termes de l’accord de 2015, les sanctions contre l’Iran devaient être levées progressivement jusqu’à la date d’échéance de l’accord, moment où le Conseil de sécurité clôturerait le dossier nucléaire iranien.
En réaction à cette initiative, les Iraniens ont estimé que les Européens n'avaient pas la légitimité pour recourir à ce mécanisme.
Ce manque de légitimité vient du fait que le snapback, rappelons-le, permet de réimposer des sanctions au terme de l’accord de 2015 si l’Iran n’en a pas respecté les termes. Or, les premiers membres à ne pas avoir respecté l’accord, après les États-Unis, sont les Européens. L’Iran respectait cet accord; les États-Unis en sont sortis en mai 2018 et ont réimposé de manière unilatérale toutes les sanctions américaines, explique l’étude de l’IRIS.
De leur côté, la Chine et la Russie, membres permanents du Conseil de sécurité, cosignataires de l’accord et soutiens de l’Iran, possèdent une marge de manœuvre qu’elles pourraient utiliser au sein de l’ONU pour retarder le processus, jusqu’à un certain point.
Elles ont d’ailleurs soumis, juste après l’initiative européenne, un projet de résolution pour reporter le déclenchement de la procédure de rétablissement jusqu’en avril 2026, ce qui laisserait, selon elles, du temps à la diplomatie pour trouver une issue à cette crise qui risque d’envenimer davantage les relations entre la République islamique d’Iran et les Occidentaux.
L’ambassadeur de Chine à Téhéran, Zhong Pu, a réitéré le soutien de son pays à un règlement par les voies politique et diplomatique de la question nucléaire iranienne. Il a dit considérer que le retrait unilatéral des États-Unis de l’accord [en 2018] et l’agression américaine contre les installations nucléaires iraniennes sont les principales raisons de la montée des tensions dans la région.
Mystère autour de l’uranium enrichi iranien
Où se trouve le stock d’uranium enrichi iranien? C’est cette question que tous les experts se posent depuis l’attaque israélo-américaine de juin contre les installations nucléaires de Natanz, d’Ispahan et de Fordo. Le dernier rapport de l’AIEA affirme que l’Iran détient 9874,9 kilogrammes d’uranium enrichi, dont 440,9 enrichi à 60 %.
Alors que les négociations étaient en cours, Israël et les États-Unis ont mené des attaques massives contre les installations nucléaires iraniennes, ce qui a mis un terme, du moins momentanément, aux discussions. Une période d’incertitude a suivi ces bombardements israélo-américains.
Accusant l’AIEA d’être complice de cette attaque contre l’Iran, le Parlement iranien a décidé de suspendre toute collaboration avec elle, l’empêchant d’avoir accès aux installations nucléaires du pays.
Cependant, le gouvernement iranien et l’AIEA ont entamé des discussions, ces derniers jours, et semblent se diriger vers une entente pour une reprise des inspections de l’agence onusienne en Iran, selon son patron Rafael Grossi, qui s’exprimait lors de la réunion des gouverneurs de l’AIEA, lundi à Vienne.
Par ailleurs, la voie de la diplomatie semble être empruntée par les Américains et les Iraniens de façon discrète.
Le ministre iranien des Affaires étrangères, Abbas Araghchi, a indiqué récemment que les discussions entre Téhéran et Washington se poursuivaient par des intermédiaires, sans donner les détails de ces pourparlers.
Un accord singulier
Signé en 2015 par l’Iran d’un côté et les cinq membres permanents du Conseil de sécurité plus l’Allemagne de l’autre, l’accord visait à encadrer les activités nucléaires de l’Iran avec, en contrepartie, la levée progressive des sanctions bilatérales et multilatérales contre la République islamique.
Ces sanctions avaient été imposées par le Conseil de sécurité de l’ONU entre 2006 et 2010.
L’accord a été appliqué jusqu’en 2018, quand les États-Unis, sous la présidence de Donald Trump, ont décidé unilatéralement de se retirer de l’accord et de réinstaurer les sanctions contre l’Iran.
Les pays européens signataires de l’accord ont de facto suivi la décision américaine en réduisant à néant leurs relations économiques et commerciales avec l’Iran.
Après une année, l’Iran a décidé, de son côté, de ne pas appliquer intégralement les termes de l’accord de 2015, en enrichissant l’uranium jusqu’à 60 %, au-delà de la limite de 3,67 % prévue par l’entente.
Dans les faits, après le retrait des États-Unis en 2018, l’accord était devenu caduc, à l’exception des inspections par l’AIEA des installations nucléaires, qui se sont poursuivies avec, ces dernières années, des restrictions imposées par l’Iran aux missions de l’agence onusienne.
Après le retour de Donald Trump au pouvoir, de nouvelles discussions indirectes ont été entamées en avril. Cinq rencontres ont eu lieu, mais elles n’ont abouti à aucun résultat. Les États-Unis ont voulu imposer à l’Iran l’interdiction totale d’enrichir de l’uranium, ce que Téhéran a catégoriquement rejeté.
Le compte à rebours est commencé depuis le 28 août dernier. Si aucune solution diplomatique et politique n’est trouvée, il y aura de nouveau des risques d’affrontement entre les États-Unis, Israël et l’Iran, avec probablement des conséquences sur toute la région.
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