De petits gangs du milieu criminel ont pu s'improviser importateurs de cocaïne pour faire de l'argent au même titre que les organisations mieux structurées, affirment des responsables policiers.
Des criminels locaux, tels que All Boivin, au Saguenay, et Dave « Pic » Turmel, à Québec, n'auraient jamais pu tenir tête aux Hells Angels sans que les cartels mexicains leur donnent accès à leur production pour importer de la cocaïne, estiment les hauts responsables en matière de crime organisé à la Sûreté du Québec (SQ) et au Service de police de la Ville de Montréal (SPVM).
Les cartels [mexicains] ont en quelque sorte démocratisé l'importation de la cocaïne en la rendant plus accessible. Avant, une organisation devait avoir un expert pour établir un contact avec eux pour faire importer un kilo [de cocaïne]. Ce que les cartels mexicains sont venus changer dans les dernières années, c'est de choisir de faire affaire avec de plus petits clients et fournir le plus de personnes à la fois, affirme l'inspecteur-chef Michel Patenaude, directeur des enquêtes criminelles à la SQ.
C’est seulement en se déplaçant par avion au Mexique que les gangs criminels québécois peuvent entrer en contact avec des membres des cartels.
Il y a des [gens sur lesquels la police enquête à Montréal et qui sont peu influents dans le milieu] qui ont aujourd'hui des liens avec ces cartels-là. Les cartels mexicains vont dealer avec n'importe qui ayant les moyens de leur rapporter de l'argent, corrobore le commandant Francis Renaud, responsable de la section du crime organisé au SPVM.
Au cours des dernières années, les cartels de Sinaloa et de Jalisco Nueva Generación (Nouvelle Génération), les deux principaux cartels qui ont des liens au Québec, ont mis fin au monopole exclusif qu'y exerçaient les motards criminels et la mafia italienne.
Les cartels mexicains ne veulent pas le contrôle de la province et tasser les organisations criminelles. Ils veulent faire ce qu'ils ont accompli aux États-Unis, c'est-à-dire dominer le marché en étant le fournisseur numéro 1, en faisant des affaires avec tout le monde, explique l'inspecteur-chef Michel Patenaude.
Ce modèle d'affaires des cartels mexicains a permis à des gars comme All Boivin et Dave Turmel d'être capables de tasser les motards criminels en disant : "Moi aussi, je l'ai, la substance. Puis je vais la vendre bien moins cher. Puis je vais aller chercher votre clientèle."
Une citation de Michel Patenaude, inspecteur-chef et directeur des enquêtes criminelles à la SQ
La plus grande disponibilité de la cocaïne sur le marché noir a plombé la valeur au kilo, évaluée présentement à un prix plancher jamais vu de 20 000 $. Au début des années 2000, quand la mafia sicilienne et les motards criminels détenaient l'exclusivité du marché, le prix médian du kilo se situait autour de 45 000 $.
Ça fait en sorte qu'un membre de gang de rue qui s'est enrichi dans les dernières années peut acheter autant de quantité que les grosses organisations, souligne le commandant Francis Renaud.
À titre d'exemple, Dave « Pic » Turmel payait ses soldats de la rue avec de la cocaïne qui provenait, au départ, d'une cargaison volée aux Hells Angels. Il a ainsi pu faire la guerre à ces derniers avant de développer ses propres contacts.
Des Québécois tués au Mexique
Le SPVM affirme qu'il répertorie de plus en plus de criminels, dans la grande région de Montréal, qui ont établi des liens au Mexique.
Le commandant Renaud les qualifie d'agents de liaison puisque le nombre de clients potentiels au Québec pour les cartels mexicains s'est multiplié avec l'arrivée de gangs de rue intéressés à acheter la marchandise.
Au cours des deux dernières années, certains de ces « agents de liaison » qui avaient élu domicile au Mexique sont tombés sous les balles.
En décembre 2023, Samy Tamouro a été abattu à bout portant, sous les yeux de sa femme, dans un centre d'entraînement physique de Cancun. Proche du tueur à gages Frederick Silva, devenu délateur pour la police, Tamouro avait été arrêté dans la foulée de l’enquête Magot-Mastiff qui avait permis à la SQ de décapiter, en novembre 2015, une alliance mafia-motards-gangs qui dirigeait le crime organisé montréalais.
Depuis, on le soupçonnait d'agir pour le compte de plusieurs organisations criminelles à Montréal, à partir du Mexique, affirme le commandant Renaud.
Un an plus tard, en décembre 2024, un individu de Repentigny lié aux Hells Angels, Mathieu Bélanger, a subi le même sort. Avant son meurtre par balles à Playa del Carmen, il faisait l’objet d’un mandat international lancé par la SQ après avoir échappé à une rafle de l'Escouade nationale de répression du crime organisé (ENRCO), deux ans plus tôt.
À l'instar de Tamouro, il habitait aussi au Mexique pour agir comme intermédiaire entre des cartels et des organisations criminelles du Québec.
Mathieu Bélanger avait été arrêté par la police à Playa del Carmen pour possession d'armes à feu en mars 2024, neuf mois avant qu'il ne soit assassiné par balles derrière le volant de son véhicule.
PHOTO : SSC SOLIDARIDAD
Or, la mort de ces deux Québécois n'a pas refroidi l'intérêt des gangs criminels.
Maintenant, le renseignement nous indique, grâce à nos échanges de renseignements policiers entre les pays, qu'il y a de plus en plus de gens de Montréal là-bas [au Mexique] qui sont présentement en train de faire le party avec les cartels. Le but est de bâtir des liens en personne, décrit le commandant Renaud.
À lire aussi :
Toronto, la porte d'entrée principale
Tant la SQ que le SPVM indiquent que la drogue achetée aux cartels mexicains est livrée aux États-Unis, puis entre au Canada par la ville de Toronto.
Montréal est une métropole et son emplacement devient attrayant pour les cartels. Mais, d'après tous nos dossiers d'enquête faits par l'antigang dans les trois ou quatre dernières années, toute la cocaïne suisse à Montréal avait passé par Toronto. C’est la porte d’entrée majeure. Ce qui est importé va transiter par les États-Unis dans des villes comme Los Angeles et Phoenix ou par l'État du Texas, explique le commandant Renaud.
La SQ corrobore aussi la thèse de la porte d'entrée de Toronto.
Principalement, le transport de la drogue va se faire par voie terrestre dans des tracteurs routiers qui arrivent en Ontario en provenance des États-Unis. Ce seront plusieurs petites quantités, cachées dans plusieurs camions, qui vont approvisionner les groupes criminels. Ils ne vont pas risquer de grosses quantités, comme 1000 kilos de cocaïne, dans un seul transport, explique l'inspecteur-chef Patenaude.
Cocaïne saisie par l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) en 2024
Au Québec : 39,97 kg, d'une valeur estimée à 800 000 $
Dans l'ensemble du Canada : 4589 kg, d'une valeur estimée à 91,8 millions $ (augmentation de 156 % par rapport à 2023)
Source : ASFC
17/04/2025
<p>Washington (AFP) – Le gouvernement américain a annoncé qu'il allait commencer dès le mois prochain à recouvrer les dettes...