À deux jours de l’entrée en vigueur possible d’une nouvelle vague de tarifs, le gouvernement canadien ne semble pas s’empresser de parvenir à une entente commerciale avec l’administration Trump, comme l’ont fait d’autres pays dans les derniers jours.
Nous ne signerons qu’un accord qui soit bon pour le Canada, a réitéré le premier ministre Mark Carney en conférence de presse lundi.
On ne va pas se presser pour signer une mauvaise entente. [...] La date du 1er août, c’est la date de M. Trump, affirmait pour sa part le ministre responsable du Commerce Canada–États-Unis, Dominic LeBlanc, en entrevue vendredi à l’émission Midi Info.
Pourtant, depuis son élection, Mark Carney ne cesse d’évoquer la menace existentielle que posent les tarifs de Donald Trump pour justifier son empressement à adopter des mesures pour redynamiser l’économie canadienne, ou encore les concessions accordées à son homologue américain, dont l’annulation de la taxe sur les services numériques.
Alors, qu’est-ce qui explique ce soudain changement de ton en faveur du statu quo dans les négociations commerciales avec les Américains? Pistes de réflexion.
Un niveau de tarifs parmi les plus bas
Le secrétaire américain au Commerce, Howard Lutnick, a lui-même évoqué un élément de réponse il y a quelques jours. Presque 75 % de toutes les marchandises en provenance du Mexique et du Canada entrent déjà sans tarifs, a-t-il déclaré en entrevue à l’émission Face the Nation, du réseau CBS.
Selon les données publiques les plus récentes, environ 90 % des produits canadiens ont traversé la frontière, en mai, sans être sujets à des droits de douane. Résultat : les importateurs n’ont eu qu’à payer 567 millions de dollars en tarifs, sur plus de 30 milliards de dollars de marchandises.
Ce taux de tarif de 1,9 % est l’un des plus bas parmi ceux des principaux partenaires économiques des États-Unis.
De nombreux observateurs attribuent la situation à l’exemption accordée aux produits conformes à l’Accord de libre-échange Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM).
En mai, la proportion des importations canadiennes qui tombaient sous les dispositions de l’ACEUM a atteint 58 %, selon les données du Bureau du recensement des États-Unis (U.S. Census Bureau).
L'hypothèse générale était que tout ce qui se trouve en dehors de l’accord serait frappé de droits de douane, en l'absence d’exclusions spécifiques. Ça ne s'est pas passé comme ça, soutient Olu Sonola, responsable de la recherche économique pour Fitch Ratings et concepteur de l’outil de suivi des tarifs de l’agence de notation.
Pas moins d’une dizaine de classifications tarifaires ont permis aux marchandises canadiennes de ne pas être taxées en mai, toujours selon les données de l’agence statistique américaine.
C'est très, très complexe. Je pense que la plupart des gens ne se rendent pas compte des multiples exemptions qui s’appliquent aux tarifs perçus.
Une citation deOlu Sonola, responsable de la recherche économique pour Fitch Ratings
Cependant, un flou important persiste quant à ce qui adviendra de ces traitements favorables pour les produits canadiens qui ne sont pas mentionnés dans les décrets présidentiels.
Dans la confusion des nombreuses nouvelles règles tarifaires adoptées à la hâte par l’administration Trump, certaines exemptions pourraient avoir été attribuées par erreur, estime l’économiste de Fitch Ratings qui fait l’hypothèse qu’une portion d’entre elles pourraient avoir été abolies depuis le mois de mai.
Les changements qui ont été imposés [aux douaniers américains] dans les trois derniers mois sont probablement équivalents à ce qu’ils ont reçu dans la dernière décennie.
Une citation deOlu Sonola, responsable de la recherche économique pour Fitch Ratings
La fin de certaines exemptions pourrait avoir fait grimper substantiellement le niveau de tarifs sur les produits canadiens, mais personne ne semble en mesure de le confirmer.
Personne ne peut l'expliquer de manière convaincante. Nous avons essayé du côté canadien. Ils ne nous ont pas donné de réponse convaincante. Du côté américain, nous avons également essayé d'obtenir une clarification et nous n'avons pas réussi, soutient M. Sonola.
Signe de l’incertitude qu'entretient l’administration Trump, rien n’indique officiellement que les produits qui respectent l’ACEUM seront exemptés des tarifs de 35 % que le président américain menace d’imposer sur les importations canadiennes à partir du 1er août.
La lettre envoyée au Canada n’en fait pas mention et le gouvernement fédéral n’a jamais confirmé cette information. Elle provient plutôt de hauts responsables de la Maison-Blanche qui se sont confiés sous le couvert de l’anonymat à certains grands médias.
Les entreprises s’adaptent aux tarifs et à l’incertitude
Les entrepreneurs et les consommateurs canadiens semblent toutefois avoir apprivoisé les changements de discours incessants du président américain et se concentrent maintenant davantage sur les effets concrets de ses politiques.
Le consommateur canadien moyen ne voit pas [les effets]. L'entreprise canadienne moyenne n’a pas vraiment eu d'impact non plus. [...] Pour le moment, l'impact demeure encore assez théorique, note Sébastien McMahon, stratège en chef et économiste principal pour iA Groupe financier.
Selon la plus récente enquête sur les perspectives des entreprises de la Banque du Canada, seul un tiers des compagnies canadiennes s’attendaient à une hausse des coûts liés aux droits de douane au deuxième trimestre de l’année, contre les deux tiers au trimestre précédent.
La confiance des entreprises, bien qu’encore modérée, s’est améliorée par rapport aux fortes baisses enregistrées en mars et en avril 2025, remarque la banque centrale.
Bien que certains employeurs ont reporté des projets, ils n’ont généralement pas cessé d’embaucher des travailleurs et n’ont pas procédé à d’importantes mises à pied. Le taux de chômage a d’ailleurs reculé légèrement en juin, à 6,9 %.
Les probabilités de récession canadienne, je vous dirais qu’elles sont quand même relativement basses en ce moment, résume M. Mc Mahon.
Même les industries qui sont le plus touchées par les tarifs semblent se tirer d'affaire, pour l’instant.
En mai, les secteurs de l’acier et de l’aluminium subissaient de loin le niveau de tarifs le plus élevé.
Depuis, l’administration américaine a doublé ses droits de douane sur l’acier et sur l’aluminium, pour les porter à 50 %, une mesure redoutée par les producteurs canadiens.
Néanmoins, pour l’instant, ce sont surtout les importateurs américains qui en font les frais.
Les PDG des grandes sociétés d’aluminium nous ont dit que l'aluminium a monté de presque 40 à 50 % aux États-Unis depuis les deux, trois derniers mois, a indiqué le ministre Dominic LeBlanc.
Le gouvernement fédéral a par ailleurs annoncé récemment une mise à jour de son Crédit pour les grandes entreprises touchées par les droits de douane, afin d’accroître l’accès des producteurs d’acier à de l’aide financière.
L’épée de Damoclès
Le fragile équilibre actuel tient surtout aux exemptions tarifaires accordées à la majorité des produits canadiens.
Si leur portée venait à être réduite de manière importante, les décideurs canadiens seraient rapidement appelés à changer leur stratégie.
C'est vraiment le sujet le plus important, juge Sébastien Mc Mahon d’iA Groupe financier. Si jamais ces exemptions-là disparaissaient, on pourrait se retrouver avec une économie canadienne qui tombe en récession. Ça pourrait être assez fort.
Donald Trump a d’ailleurs suggéré vendredi dernier qu’il pourrait couper court aux négociations avec le Canada et imposer un seul tarif qui s’appliquerait à l'ensemble des produits canadiens.
Appelé à commenter cette déclaration, Mark Carney a indiqué lundi n’y voir qu’une tactique de négociations.