En nommant, vendredi dernier, un financier de Wall Street comme secrétaire au Trésor, Donald Trump a donné l’impression que sa politique de tarifs douaniers allait s’imposer de façon plus douce qu’attendu afin d’éviter un choc économique. Les investisseurs s’en sont réjouis, le dollar américain et les taux obligataires sont repartis à la baisse, les actions ont poursuivi leur hausse.
L’annonce-choc du président désigné des États-Unis, lundi soir, à propos de tarifs douaniers de 25 % sur les importations en provenance du Canada et du Mexique a jeté une douche d’eau froide sur cet optimisme naissant.
Cette menace d'imposition de barrières tarifaires, lancée sur le réseau Truth Social, a surtout rappelé à tout le monde que Donald Trump est totalement et entièrement imprévisible. Alors qu’il évoquait des tarifs douaniers de 10 % durant la campagne électorale, ce taux de 25 % paraît aujourd'hui étonnant et surprenant.
Toutefois, puisque nous avons déjà connu le régime intempestif de Donald Trump de 2017 à 2021, nous savons déjà qu'il faudra composer avec des menaces qui pourront tomber à toute heure du jour pour toutes les raisons imaginables, sans consultations, sans préavis et sans fondement politique, social, économique ou sécuritaire.
C’est comme ça que ça s’est passé pendant son premier mandat et c’est ainsi que ça va se passer une fois de plus. Nous voici engagés dans un nouveau tour de manège dans l’univers de Donald Trump!
Il y a deux choses importantes à retenir à ce stade-ci. D'abord, nous n’avons pas le choix de prendre au sérieux les menaces du président désigné. Ensuite, il faut aussi comprendre que tout est tactique de négociations.
En faisant sa déclaration lundi soir, Donald Trump a lancé, dans les faits, un vaste chantier de négociations auquel le Canada, peu importe qui sera au pouvoir, devra participer, aux conditions du nouveau locataire de la Maison-Blanche.
Comme lors du premier mandat de Donald Trump, nous n’avons pas le gros bout du bâton. Nous devrons manœuvrer, jouer de l’esquive, prévenir les coups, être agiles et nous adapter continuellement à toutes les situations. Que ce soit Justin Trudeau ou Pierre Poilievre à la tête du gouvernement, nous sommes condamnés à composer avec un mammouth qui s’amuse avec nous comme un chat avec une souris.
Une véritable menace envers notre économie
C’est pour cela que Justin Trudeau, Pierre Poilievre et les premiers ministres des provinces doivent parler d’une seule voix. Sans minimiser nos débats intérieurs, la menace actuelle envers l’économie canadienne doit devenir une priorité pour tous les décideurs du pays.
Comment investir dans les entreprises d’ici, dans nos services sociaux, dans la santé, l’éducation, le logement et la transition énergétique si notre économie plonge dans une profonde récession parce que notre principal partenaire nous assomme avec des tarifs douaniers de 25 %?
Il faut prendre pleinement conscience des conséquences potentielles de cette annonce. Nos échanges commerciaux avec les États-Unis s’élèvent à 3,6 milliards de dollars par jour. Le secteur de l'énergie, pour lequel les exportations vers notre voisin du Sud s'élèvent à près de 200 milliards de dollars par année, serait tout particulièrement frappé.
L’Association des fabricants de pièces d'automobile du Canada affirme qu'un tel tarif provoquerait la faillite pure et simple des industries automobiles, un secteur entrelacé de part et d’autre de la frontière.
Les répercussions sur l’aérospatiale seraient également importantes. L'action de Bombardier a d’ailleurs chuté de 9 % mardi.
D’autres fabricants ont glissé en bourse : GM a perdu 9 % à New York, BRP a cédé 6 % au Canada et l'action du fabricant de pièces d’auto Magna a perdu 4,7 % de sa valeur. Selon l’analyse de la firme Barclays, le dollar canadien pourrait tomber à 61 cents US si ces tarifs étaient appliqués.
Les milieux d’affaires demandent aux leaders canadiens de présenter un front uni face à la future administration américaine. L’incertitude est telle pour les PME et pour l’économie de l’ensemble du pays qu’on ne peut pas imaginer que les dirigeants politiques au pays ne travaillent pas main dans la main pour répondre à la menace du président Trump.
Le chef du Parti conservateur du Canada, Pierre Poilievre, a lancé un appel au premier ministre Trudeau en lui demandant de laisser tomber la partisanerie. Cependant, en retour, il lui demande d’adhérer à sa propre proposition politique – donc partisane – sur les impôts, les taxes et l’approbation plus rapide des projets pétroliers et gaziers.
En retour, dans l’intérêt suprême du pays, Justin Trudeau devrait-il tendre la main à celui qui pourrait devenir le premier ministre du Canada d’ici un an? A-t-on besoin d’expliquer que les chèques de 250 $ et la suspension de la TPS pendant deux mois, des mesures promises par Ottawa, auront bien peu d’effets à côté des répercussions dévastatrices à prévoir de tarifs douaniers de 25 % sur tous les produits canadiens exportés vers les États-Unis?
ACEUM : des négociations qui s’amorcent déjà
Au cœur de la négociation qui s’amorce donc avant même le retour de Donald Trump à Washington, il y aura l’accord commercial entre le Canada, les États-Unis et le Mexique (ACEUM). Toutefois, les discussions seront franchement plus larges.
Donald Trump voudra obtenir des engagements de la part de ses partenaires sur le contrôle des frontières, sur le passage de migrants irréguliers et sur le trafic de drogue. Ne soyez pas surpris, d’ailleurs, s’il réclame une refonte de l’entente sur les tiers pays sûrs, qui a été revue en mars 2023.
À l'heure actuelle, une personne qui franchit la frontière canado-américaine de façon irrégulière (entre les points d’entrée officiels) est renvoyée aux États-Unis si elle dépose une demande d'asile avant l'expiration d'un délai de 14 jours suivant son arrivée en sol canadien. Sachant que nombre de migrants voudront fuir la politique de Donald Trump, qui a promis d’expulser des millions d’immigrants qu’il juge illégaux, que feront les États-Unis avec cette entente si un nombre grandissant de personnes sont refoulées en sol américain?
Les échanges économiques entre les deux pays sont évalués à 1200 milliards de dollars par année. Le Canada et les États-Unis sont les plus grands alliés du monde. Venant d'un pays ami, c'est comme un coup de poignard, a déclaré le premier ministre de l’Ontario, Doug Ford. Il est donc urgent de se mettre au service de la stratégie à adopter pour affronter le nouveau président des États-Unis, qui annonce un mandat de grandes perturbations.
Les leaders canadiens doivent dire aux Américains, sur toutes les tribunes, que les tarifs douaniers imposés par leur président vont faire grimper les prix à la consommation pour eux. Le futur secrétaire au Trésor, Scott Bessent, a affirmé il y a quelques semaines que les tarifs douaniers seraient appliqués graduellement parce que la dernière chose que le président Trump souhaite, disait-il, c’est de faire grimper l’inflation.
On peut imaginer que l’équipe de Donald Trump sait très bien que ces tarifs douaniers pourraient faire monter les coûts pour les ménages américains. Dans les circonstances, il y a de bonnes chances que les menaces de Donald Trump relèvent davantage de la stratégie de négociation que de l’intention réelle de les mettre en œuvre.
Scott Bessent, fondateur et PDG de la firme d'investissement Key Square Group, mise sur une approche ambitieuse pour les États-Unis : faire croître l'économie de 3 % par année, ramener le déficit budgétaire à 3 % du PIB et ajouter 3 millions de barils par jour en production pétrolière. Cette stratégie ne peut pas fonctionner avec des tarifs douaniers de 25 % à la frontière qui perturberaient durablement l’économie nord-américaine et feraient bondir l’inflation aux États-Unis.
En ce sens, s’il faut totalement prendre au sérieux le manège de Donald Trump, il faut aussi saisir qu’il s’agit assurément d’une position de négociation. Et pour éviter la catastrophe, il est nécessaire que les leaders politiques à Ottawa et partout au pays travaillent ensemble.
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