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Les Québécois se sentent nord-américains et loin de la France, révèle un sondage

Auteur: Stéphane Baillargeon Source: Le Devoir
Janvier 16, 2025 at 14:39
Photo: Olivier Zuida Le Devoir  Une très large majorité des Québécois se sentent beaucoup plus près culturellement du reste de l’Amérique que de la France, montre un tout récent sondage.
Photo: Olivier Zuida Le Devoir Une très large majorité des Québécois se sentent beaucoup plus près culturellement du reste de l’Amérique que de la France, montre un tout récent sondage.

Le Québec n’est pas (encore) un nouvel État des États-Unis, mais c’est à coup sûr une zone culturelle nord-américaine.

Un sondage tout récent montre qu’une très large majorité des Québécois se sentent beaucoup plus près culturellement du reste de l’Amérique que de la France.

L’enquête de la firme Léger réalisée entre le 29 novembre et le 2 décembre 2024 auprès d’un échantillon de 1002 résidents du Québec a posé la question suivante : « Vous, personnellement, vous considérez-vous comme plus proche de la culture de la France ou plus proche de la culture nord-américaine ? »

La conclusion devient imparable. Les trois quarts (73 %) des Québécois choisissent leur coin du monde, et à peine un sur six (16 %) opte pour l’Europe. Un sur dix (12 %) refuse de répondre ou ne se décide pas, peut-être faute de pouvoir répondre « les deux ».

Les résultats ne varient d’ailleurs pas beaucoup en fonction de l’âge, du genre et même de la langue ! Les non-francophones se disent plus nord-américains à 77 % et les francophones, à 71 %. Le pourcentage de Québécois parlant le plus souvent français à la maison est de 77,5 %, selon les données de Statistique Canada de 2021.

Le sondage, obtenu en exclusivité par Le Devoir, a aussi mesuré notre sentiment à l’égard de la France. Dans ce cas, une majorité de francophones (52 %) s’en disent éloignés et seulement 5 %, « très proches ». Le groupe s’identifiant à la France est plus nombreux à Montréal (19 %) et chez les diplômés universitaires (25 %).

« Nous ne sommes pas des Français d’Amérique, comme le disait le général de Gaulle : nous sommes des Nord-Américains francophones », résume le professeur Guy Lachapelle, de l’Université Concordia.

Le sondage a été commandé par le Centre d’études sur les valeurs, attitudes et sociétés (CEVAS), qu’il dirige. Un premier sondage, réalisé en 2022, arrivait en gros aux mêmes constats. Ces enquêtes s’inspiraient d’une autre menée auprès des jeunes d’ici en septembre 2002 et commanditée par le consulat général de France au Québec. Ce portrait avait déjà établi essentiellement que les jeunes Québécois s’identifiaient comme nord-américains.

 

Photo: Centre d’études sur les valeurs, attitudes et sociétés
 
 
La carte culturelle du monde des politologues Ronald Inglehart et Christian Welzel situe les sociétés autour de deux axes: à la verticale, les valeurs traditionnelles vs les valeurs séculières; à l’horizontale, les valeurs de survie communautaire vs les valeurs d’expression de soi. Les positionnements des différents pays et leurs regroupement selon leurs valeurs culturelles s’appuient sur l’enquête mondiales sur les valeurs. La place du Québec et du Canada avec ou sans le Québec a été calculée par le CEVAS de l’Université Concordia.

L’impérialisme annexionniste

Les déclarations expansionnistes du président désigné Donald Trump, qui sera assermenté lundi, semblent signaler le retour d’une doctrine du XIXe siècle. La tentation d’intégration, volontaire ou pas, ressurgit périodiquement depuis la fondation de la République américaine. L’américanité canado-québécoise est discutée depuis presque aussi longtemps. Les livres sur le sujet remplissent des rayonnages.

L’américanisation, elle, se vérifie partout depuis des décennies, dans l’aménagement des villes, les transports ou la surconsommation. Elle s’amplifie grandement avec la révolution numérique et le basculement de la culture sur les écrans. L’influence des États-Unis se fait sentir profondément partout, dans toutes les sphères d’activités, dans la culture populaire comme dans les départements universitaires.

Cette influence impériale se mesure dans bien d’autres pays occidentaux. Dans ses derniers livres (La France sous nos yeux, 2021 et La France d’après, 2023), le sondeur Jérôme Fouquet montre un pays lui aussi sous perfusion culturelle américaine croissante. Les preuves versées vont de l’habillement à la surconsommation, des films aux téléséries, des centres commerciaux au fast-food et jusqu’au barbecue.

En même temps, les différences marquées persistent ici et là. Le Québec se démarque encore par la langue française, ses institutions, son État providence fort (les garderies, l’assurance-médicaments, les congés parentaux, les études abordables), sa défense de la laïcité, mais aussi par la faiblesse de la religion dans les débats publics, l’égalité entre les hommes et les femmes, etc.

« Être de culture nord-américaine, ça ne veut pas dire qu’on accepte toutes les valeurs nord-américaines », résume le professeur Lachapelle, présentement en année sabbatique pour écrire un essai sur le sujet. « Le Québec se retrouve clairement dans les valeurs sociales-démocrates. »

Le territoire et la carte

Il verse cette fois comme preuve une carte des valeurs de différents pays tracée en 2023 à partir d’enquêtes internationales du réseau World Values Survey. La classification délimite huit grandes zones : confucianisme, christianisme orthodoxe, Afrique et islam, Amérique latine, Asie du Sud et de l’Ouest, Europe catholique, Europe protestante, pays de langue anglaise.

Le Québec, détaché du Canada, se rapproche alors clairement des pays européens ayant une tradition protestante. On y retrouve aussi l’Allemagne, les pays scandinaves, les Pays-Bas et la Suisse. Le reste du Canada se classe avec les pays européens catholiques, dont l’Espagne, l’Autriche ou… la France.

Les États-Unis se positionnent évidemment avec les « peuples de langue anglaise », comme l’aurait dit Winston Churchill, mais dans une zone quasi autonome. Une proximité toute relative s’établit alors entre la Grande-Bretagne, la Nouvelle-Zélande, l’Australie, mais aussi le Canada dans son ensemble, incluant toutes les provinces, y compris le Québec. On en perd son latin…

« On a une vie très américaine, mais des valeurs très européennes aussi, sans oublier l’influence britannique », commente Guy Lachapelle, avant de conclure sur la nécessité de défendre ces particularités. « Il faut résister et défendre nos valeurs distinctes. Résister, ça veut dire se battre sur le front politique, prendre notre place pour défendre notre culture, nos intérêts et notre façon d’exister. Il faut aussi trouver des appuis aux États-Unis dans ce combat. Il faut faire valoir les atomes crochus avec certains éléments de la classe politique américaine. Trump, ce n’est pas toute l’Amérique… »

 
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