Venezuela

Analyse,La CIA contre le régime vénézuélien

Source: Radio Canada
Octobre 16, 2025 at 08:40
Washington accentue la pression contre le gouvernement de Nicolás Maduro, soupçonné d'avoir volé l'élection présidentielle de juillet 2024. (Photo d'archives)  Photo : Getty Images / AFP / JUAN BARRETO
Washington accentue la pression contre le gouvernement de Nicolás Maduro, soupçonné d'avoir volé l'élection présidentielle de juillet 2024. (Photo d'archives) Photo : Getty Images / AFP / JUAN BARRETO

Le président Donald Trump a confirmé, mercredi, avoir autorisé la CIA à mener des opérations clandestines au Venezuela. Il dit l’avoir fait pour deux raisons : « Ils nous ont envoyé leurs prisonniers aux États-Unis. Et il y a beaucoup de drogue en provenance du Venezuela. »

L’information était sortie le même jour dans le New York Times. Cette décision de la Maison-Blanche intervient alors que Washington accentue la pression sur le Venezuela et son président Nicolás Maduro.

On a vu depuis le début septembre les meurtrières attaques répétées de l’armée américaine, dans les eaux internationales des Caraïbes, contre des bateaux dont l’équipage était présumé avoir participé au trafic de drogue.

Selon le journal, confirmé peu après par le maître de la Maison-Blanche, cette autorisation permettrait à la CIA de mener des opérations létales au Venezuela et une série d’opérations en mer des Caraïbes. Des opérations secrètes, qu’elle doit exécuter seule ou en coordination avec les forces militaires américaines, contre Nicolás Maduro et son gouvernement.

 

On ignore si la CIA prévoit, dans le concret et dans le court terme, mener une opération d’envergure au Venezuela, ou si la permission (ou le mandat) de le faire a été approuvée uniquement à titre préventif ou hypothétique ou bien comme mesure d’intimidation.

Vers des frappes terrestres?

Il est également question, selon le journal, d’une phase deux d’un éventuel plan d’attaque, qui pourrait exiger des actions terrestres. Donc, si on comprend bien, un débarquement ou des actions de sabotage ou de guérilla clandestine.

Le président Trump, aspirant déçu au prix Nobel de la paix, a déclaré qu'il envisageait des frappes terrestres au Venezuela, ce qui constituerait une escalade significative dans une campagne militaire qui n’a jusqu'à présent ciblé que des navires en mer.

Une nouvelle attaque s’est déroulée mardi au large du Venezuela. Trump a déclaré que six narcoterroristes (c’est son vocabulaire) ont été tués lors de cette frappe, dont il a précisé qu’elle avait été menée en eaux internationales. Le président soutient que les services de renseignement l’ont confirmé : le navire faisait le trafic de stupéfiants et empruntait une route connue et fréquentée par les trafiquants.

 

Des soldats marchent sur le pont d'un destroyer.
Des soldats de la marine américaine sur le pont d'un destroyer. (Photo d'archives) Photo : Getty Images / Omar Marques

 

Avec cette nouvelle frappe, le bilan est de cinq embarcations bombardées depuis le 2 septembre, pour 27 vies humaines détruites.

Les États-Unis maintiennent actuellement, à Porto Rico, mais aussi maraudant en mer des Caraïbes, une flotte de huit vaisseaux, dont des navires d'assaut amphibies et un sous-marin nucléaire. Plus de 2000 militaires sont embarqués.

Il y a aussi plusieurs avions chasseurs F-35, ceux qui ont fait les frappes. Washington maintient également des troupes à Porto Rico : la base de Fort Buchanan est réputée avoir 4000 soldats permanents et mobilisés.

Vives réactions au Venezuela

Le président Maduro bat le tambour de guerre et fait de ces attaques de Washington un prétexte pour susciter le ralliement autour de son régime. Un régime qui pourrait – mais ce n’est pas sûr – faire ainsi remonter ses appuis défaillants dans la population.

Nicolás Maduro, largement soupçonné d'avoir volé l'élection présidentielle de juillet 2024, avec des preuves accablantes fournies à l’époque par l’opposition unie (qui aurait obtenu 65 % des suffrages et non les 43 % officiellement attribués), accuse Washington de fomenter un changement de régime.

 

Un instructeur pointe où tirer à une personne en formation avec un fusil entre les mains.
Les membres des milices organisées par le gouvernement reçoivent une formation militaire au Venezuela, le samedi 13 septembre 2025. Photo : Associated Press / Jesus Vargas

 

Dans un message sur l'application Telegram, Maduro a annoncé, ce même mercredi, la mobilisation de l'armée, de la police et d'une milice civile pour défendre les montagnes, côtes maritimes, écoles, hôpitaux, usines et marchés du Venezuela.

La télévision d'État a diffusé des images de véhicules blindés dans la grande banlieue populaire de Petare, à Caracas, qui a longtemps été un bastion du régime. Des exercices militaires ont également été annoncés dans l'État côtier de Miranda, voisin de Caracas.

C’est un régime impopulaire et durci, cependant ébranlé par l’attribution du prix Nobel de la paix, la semaine dernière, à l’opposante Maria Corina Machado. Machado, très marquée à droite, appuie à demi-mot la campagne de Donald Trump contre le régime en place. Trump à qui elle a d’ailleurs dédié son prix Nobel.

Machado a déclaré le 23 octobre à l’Agence France-Presse : Maduro a en ce moment la possibilité d'avancer vers une transition pacifique. [...] Avec ou sans négociation, il quittera le pouvoir.

 

Maria Corina Machado.
L'opposante vénézuélienne Maria Corina Machado a dédié son prix Nobel à Donald Trump. (Photo d'archives) Photo : Getty Images / Jesus Vargas

 

Accusations sans preuve

Y a-t-il des preuves que les bateaux bombardés transportaient de la drogue? Dans ces cas précis, non. Et leur destruction corps et biens, on le devine, rend toute preuve a posteriori difficile à établir.

C’est bien un cas de : On tire d’abord, on pose les questions ensuite. De toute façon, on le sait : l’administration Trump fait des déclarations qui ont, ou qui n’ont pas, de rapport avec la réalité, et elle demande ensuite qu’on les prenne pour argent comptant.

Cependant, la corruption du régime Maduro, ses liens avec toutes sortes de trafics illicites, y compris la drogue, ne font pas l’ombre d’un doute. Plusieurs rapports sérieux le prouvent, par exemple celui de l’ONG InSight Crime paru en 2024.

Donc, en termes généraux, il y a un fond réel aux accusations de la Maison-Blanche. À Caracas règne une dictature qui se maintient malgré sa défaite avérée aux élections, un régime mafieux et largement délégitimé.

Mais lorsque, de façon spécifique, Trump affirme que tel bateau détruit transportait du fentanyl d’Amérique du Sud pour envahir le marché américain, là, on retombe dans l’hyperbole ou la fantaisie, familières de ce président.

 

Un navire en feu en mer.
Cette image tirée d'une vidéo sur le compte du président américain montre ce qui semble être une frappe sur un bateau qui, selon lui, transportait des trafiquants de drogue présumés dans les Caraïbes. Photo : @realDonaldTrump / Truth Social

 

Protestations contre l’action américaine

Indépendamment de ce qu’on peut penser du régime vénézuélien, il y a beaucoup de protestations contre cette action des États-Unis.

Début octobre, une soixantaine d’ONG ont adressé une lettre au Congrès américain pour lui demander de mettre un terme à l'escalade militaire dans les Caraïbes et pour exprimer leur inquiétude face aux exécutions extrajudiciaires répétées de civils non identifiés. On parle bien ici d’exécutions extrajudiciaires, ou de justice sommaire, par le gouvernement des États-Unis.

On se demande aussi pourquoi les États-Unis n'interceptent pas simplement les navires qu’ils estiment suspects en allant interroger leurs équipages, comme c’est d’habitude l’usage sur d'autres routes où le trafic de drogue est présumé important. Par exemple, des garde-côtes américains opèrent de cette façon au large de l'Équateur.

Autre réaction : le Sénat américain a voté la semaine dernière, à l’initiative des démocrates, sur une résolution qui aurait interdit à l'administration Trump de mener ces frappes sans autorisation expresse du Congrès. Sans surprise, la résolution a été battue par la majorité républicaine.

La CIA en Amérique latine, une longue histoire

La CIA en Amérique latine : voilà qui rappelle beaucoup de souvenirs, en général pas très bons! Un petit récapitulatif...

En 1954, l'agence avait orchestré un coup d'État contre le président Jacobo Árbenz du Guatemala, inaugurant des décennies d'instabilité. L'invasion de Cuba, par la baie des Cochons, soutenue par la CIA en 1961, s'est soldée par un désastre. L'agence a tenté à plusieurs reprises d'assassiner Fidel Castro.

La même année, la CIA fournissait des armes aux dissidents qui ont assassiné Rafael Leónidas Trujillo Molina, le dirigeant autoritaire de la République dominicaine.

L'agence a également été impliquée dans un coup d'État au Brésil en 1964, dans la mort de Che Guevara et dans d’autres machinations en Bolivie au cours des années 1960.

Il y a aussi eu le tristement célèbre coup d'État au Chili en 1973, un 11 septembre, contre le gouvernement démocratiquement élu de Salvador Allende. Et l’appui aux fameux Contras qui combattaient au Nicaragua le gouvernement sandiniste de gauche, cette fois dans les années 1980.

Si, en 2025, les attaques du régime Trump avaient pour effet de consolider le régime Maduro – au lieu de le faire tomber ou de l’affaiblir – on assisterait à un nouvel effet pervers, historiquement récurrent, de toutes ces interventions.

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