Washington a multiplié les interventions au large du Venezuela au nom de la lutte contre le narcotrafic. Mais il suffit de gratter un peu pour trouver une raison bien plus probante : les réserves pétrolières du pays, explique Benjamin Louvet.
Par Benjamin Louvet (Directeur des gestions matières premières chez Ofi Invest AM)
En mai 2025, l'OCDE expliquait dans son rapport annuel sur les restrictions d'exportation des matières premières industrielles que les mesures de limitation au commerce de ce type de produits ont été multipliées par cinq entre 2009 et 2023, dernière année où les statistiques sont disponibles. En 2023, plus de 500 produits minéraux bruts étaient concernés par au moins une limitation d'exportation. Si l'on ajoute les mesures prises par la Chine cette année sur les terres rares, qui restent au moins partiellement valides malgré la conclusion d'un accord entre la Chine et les Etats-Unis, et sur le gallium et le germanium mais aussi l'antimoine en 2024, la tendance ne semble pas vraiment s'inverser.
A cela s'ajoutent des exigences de plus en plus élevées de partage de la valeur par les pays producteurs. On l'a vu en Indonésie récemment, où le gouvernement a exigé une part plus importante de l'entreprise qui exploite la mine de Grasberg en échange d'une extension de la durée d'exploitation du site par la société Freeport-McMoRan. La répartition de la manne issue de l'exploitation minière est aussi au coeur des discussions actuelles entre le gouvernement du Panama et la société First Quantum Minerals autour de la mine de Cobre Panama qui, pour l'heure, a été arrêtée.
Les plus grandes ressources d'or noir au monde
Dans ce contexte, sécuriser l'accès aux matières premières est devenu une priorité pour nombre de gouvernements. L'Europe, le Japon, la Chine et les Etats-Unis ont ainsi dressé une liste de minerais critiques et ont tous annoncé des plans pour assurer leurs approvisionnements. Mais plus récemment, c'est l'accès à une « vieille » matière première qui est revenu sur le devant de la scène : le pétrole.
Ainsi, au moment où les Etats-Unis et l'Europe ont pris la décision de renforcer les sanctions sur le commerce de pétrole en provenance de Russie, Donald Trump est entré dans une croisade très dure contre les narcotrafiquants sud-américains, en visant plus particulièrement un pays : le Venezuela. Ceci pourrait surprendre car le pays n'est pas, aux dires des spécialistes, une zone de production importante de drogue ni une plaque tournante majeure du trafic.
L'opposante du président vénézuélien, la toute récente récipiendaire du prix Nobel de la paix Maria Corina Machado, est beaucoup plus en ligne avec le point de vue occidental.
On ne peut dès lors s'empêcher de constater que la cible est le pays où se trouvent les plus grosses ressources pétrolières au monde. Membre de l'Opep, le pays est soumis à des sanctions américaines depuis plusieurs années en raison du non-alignement du président vénézuélien, Nicolas Maduro, avec les intérêts américains. Si les Occidentaux veulent se passer durablement du pétrole russe, il va en effet falloir trouver des moyens d'augmenter la production ailleurs. La Russie fournit environ 10 % de la consommation mondiale de pétrole, et les capacités excédentaires dans le reste du monde ne peuvent pas compenser une telle perte de production.
Il se trouve que l'opposante du président vénézuélien, la toute récente récipiendaire du prix Nobel de la paix Maria Corina Machado, est beaucoup plus en ligne avec le point de vue occidental et ne cache pas son intention de faire du Venezuela un centre névralgique de l'approvisionnement en énergie des Etats-Unis…
Tout ceci peut aisément expliquer les huit navires de guerre américains déployés dans les Caraïbes et l'arrivée prochaine du plus grand porte-avions du monde, l'« USS Gerald R. Ford », mais aussi les rumeurs d'opérations sous fausse bannière et les déclarations de Donald Trump qui, encore récemment, déclarait ne pas exclure des frappes sur le territoire vénézuélien.
Alors, après le Groenland et le Canada, le Venezuela serait-il la dernière tentation de Trump ? Ou la suivante sur une liste qui pourrait s'allonger ? Les pays sud-américains voisins, et détenteurs de réserves de minerais, devraient suivre les prochains développements de près. D'autant que l'ingérence américaine en Amérique du Sud a déjà connu de nombreux précédents…
Benjamin Louvet est directeur des gestions matières premières chez Ofi Invest AM.