Il l’avait déjà dit en campagne électorale, promettant « la plus grande opération d’expulsions de l’histoire américaine ». Malgré les difficultés logistiques et financières que cela peut représenter, le président américain, Donald Trump, n’en démord toujours pas. À presque 100 jours du début de son deuxième mandat, son équipe s’active à bâtir une machine à renvoyer de toutes les manières possibles.
« Il est important de comprendre que tout ce qu’il fait n’est pas juste l’expansion du système d’immigration qui existait déjà. Il y a énormément d’innovation en matière de politiques, dont beaucoup franchissent la ligne de la légalité », expose Austin Kocher, géographe à l’Université de Syracuse, dans l’État de New York.
La formule la plus simple se résumerait à « laisser entrer moins de monde et à en faire sortir plus », illustre cet analyste des données d’application des lois migratoires.
Toutes ces mesures et politiques mises en place sont en train « de transformer [le] pays en un endroit où n’importe qui peut être expulsé, disparaître ou être piégé dans une prison étrangère », s’alarme quant à elle Kerri Talbot, codirectrice générale de l’organisation Immigration Hub. Le programme est vaste et il fait appel « à tous les leviers du gouvernement pour créer un environnement de peur », a-t-elle affirmé lors d’une rencontre avec les médias la semaine dernière.
Accélération
Dès le premier jour de sa présidence, M. Trump avait déjà envoyé un signal fort : il a signé des décrets présidentiels pour déclarer l’état d’urgence à la frontière avec le Mexique, y déployer des centaines de soldats et essayer d’en finir avec le droit du sol, qui donne droit à la citoyenneté à quiconque est né sur le territoire.
Pas une seule semaine ne s’est ensuite déroulée sans que plusieurs actions soient entreprises : en près de 100 jours, 255 mesures ont été mises en place, selon un outil de suivi mis sur pied par le professeur de droit aux réputées universités de Stanford et de Yale Lucas Guttentag.
Le rythme des tentatives pour changer le système en profondeur serait jusqu’à six fois plus rapide que durant le premier mandat de M. Trump, selon une analyse publiée par le Migration Policy Institute.
Bilan
Le même groupe d’experts évalue qu’à la cadence actuelle, le gouvernement réussira à expulser environ un demi-million de personnes cette année, soit moins que les 685 000 expulsions enregistrées durant l’année financière 2024, sous la présidence de Joe Biden.
Une estimation « plausible », expose le professeur Kocher. Il manque toutefois certaines des données clés — qui ont cessé d’être publiées depuis le retour de M. Trump — pour avoir un portrait exact.
Les experts comme lui s’en remettent donc aux données de détention, produites par le Service des douanes et de la protection des frontières (abrégé CBP en anglais) et par le Service d’immigration et des douanes (qui relève de la Sécurité intérieure et qui est abrégé par ICE en anglais).
Il s’en dégage une croissance du nombre de personnes détenues, mais cette augmentation s’est essoufflée dans les deux dernières semaines, ce qui montre que les instances ont « atteint leur capacité », selon l’expert.
La durée des détentions tend à raccourcir, note-t-il encore, ce qui par ailleurs pourrait indiquer que les « personnes passent à travers le système plus vite, y compris parce qu’elles sont expulsées plus vite », dit M. Kocher. « Mais cela reste bien en dessous de ce que M. Trump veut prétendre », ajoute-t-il.
La grande différence avec les périodes précédentes tient aussi au fait que les arrivées à la frontière sud ont diminué radicalement.
Des groupes de réflexion conservateurs proche du pouvoir, comme le Center for Immigration Studies (CIS), se félicitent de cette baisse, un succès de la dissuasion à leurs yeux. « Les risques sont trop élevés maintenant » que le dispositif est en place, a notamment récemment affirmé Todd Bensman, fellow au CIS, sur les ondes de Fox News.
Il est en effet beaucoup plus facile et plus rapide d’expulser des personnes qu’on vient d’appréhender directement à la frontière, que de les trouver et de les arrêter lorsqu’elles se dispersent sur l’immense territoire américain. Et ce, même si le président Trump est en train d’agrandir son propre bassin de personnes « expulsables », en retirant entre autres plus d’un million de statuts temporaires.
Une « armée d’expulsion »
Des avions militaires sont maintenant utilisés, en plus de ceux qui sont nolisés auprès de compagnies privées, une autre différence notable avec les gouvernements précédents.
Mais le véritable obstacle actuel des instances responsables : ils manquent de bras et d’argent. L’équipe de l’ICE qui exécute réellement les arrestations ne compterait notamment que 5500 agents, un nombre qui n’a pas augmenté significativement dans les dernières années.
Du personnel a aussi été réquisitionné d’autres agences, dont le FBI, la police fédérale, la police antidrogue, le Bureau fédéral des prisons et le Bureau des alcools, du tabac, des armes à feu et des explosifs.
Et ce n’est pas fini : Trump construit discrètement une véritable « armée d’expulsion à partir des agences locales et celles des États », décrit M. Kocher. Une disposition dans la loi encourage, ou du moins permet, les corps de police locaux à collaborer avec le gouvernement fédéral en passant des accords. Les agents locaux obtiennent ainsi des pouvoirs semblables à ceux du personnel de l’ICE ou de la patrouille frontalière, dont celui de contrôler le statut d’immigration de toute personne qu’il interpelle.
Et le nombre de ces accords entre les différents corps policiers est en « explosion rapide », notamment au Texas, en Floride, en Géorgie et en Caroline du Nord, note le géographe.
Les pouvoirs des corps fédéraux « tendent quant à eux à s’étendre, y compris dans des écoles, des hôpitaux ou d’autres endroits sensibles », note quant à elle Cathryn Jackson, directrice des politiques de CASA, un organisme qui offre une représentation légale à des migrants.
L’utilisation d’une mesure d’exception, le « Alien Enemies Act », a aussi facilité l’expulsion de personnes sans aucune forme de procès parce qu’elles étaient présentées comme membres d’un gang vénézuélien, ce qui s’est révélé faux pour la majorité.
Luttes
Il ne faudrait pas croire que toutes ces mesures n’affrontent pas d’opposition, ou à tout le moins de résistance. Plusieurs des décrets signant la fin des statuts temporaires de plus d’un million de personnes sont aussi contestés en cour par les plus grosses organisations de la société civile américaine, comme l’American Civil Liberties Union (ACLU).
Un cas médiatisé comme celui de Kilmar Abrego Garcia, cet homme envoyé sans raison dans une prison à haute sécurité du Salvador, est par exemple pris en charge par l’organisation CASA. Sa situation montre que « ce n’est pas seulement un enjeu d’immigration. C’est un enjeu de l’état de droit. C’est un enjeu de libertés civiles et de droits de la personne de base », a martelé Mme Jackson de CASA.
Le président, qui refuse de se plier à une ordonnance judiciaire pour le ramener, est en train de créer une « crise constitutionnelle » à ses yeux.
Et cette défiance du pouvoir juridique par Trump n’en est qu’au début, si l’on en croit tous ces experts. Pour les demandes d’asile, le gouvernement soupèse actuellement la possibilité de permettre aux juges en immigration de « court-circuiter » le processus dès le début en fermant le dossier avant même de recevoir tous les documents pertinents, explique Carlos Guevara, directeur des politiques pour l’Immigration Hub.
Une chose reste certaine : pour les expulser, la machine gouvernementale doit d’abord les trouver. Là aussi, beaucoup de travail est effectué en coulisses. Une entente a notamment été conclue entre le département de la Sécurité intérieure et l’agence responsable de percevoir les impôts des particuliers (IRS) pour partager les noms et les adresses d’environ sept millions d’immigrants qui paient des impôts même s’ils n’ont pas de statut valide.
Un projet de loi budgétaire, qui pourrait être approuvé même sans l’appui des démocrates, est aussi en train de cheminer et fournirait des dizaines de milliards de dollars supplémentaires à l’appareil de renvoi. En Arizona, au début avril, dans une foire commerciale sur la sécurité à la frontière, le directeur de l’ICE, Todd Lyons, a affirméqu’il fallait rendre le processus d’expulsion « comme Amazon Prime, mais avec des êtres humains ».
<p>Washington (AFP) – Le gouvernement américain a annoncé qu'il allait commencer dès le mois prochain à recouvrer les dettes...