Hollywood

Robert Redford est mort, annonce le New York Times

Auteur: Marie-Noëlle Tranchant Source: Le Figaro
Septembre 16, 2025 at 08:21
Robert Redford VALERY HACHE / AFP
Robert Redford VALERY HACHE / AFP

L’acteur américain, légende de Hollywood, s’est éteint à l’âge de 89 ans.

Les Grecs avaient inventé un mot pour qualifier Robert Redford : kaloskagathos. La star hollywoodienne a montré que cette harmonie claire de la beauté et de l’intelligence tournée vers le bien, était un modèle tout à fait transposable dans l’Amérique du XXe siècle. Il s’est éteint ce mardi, à l’âge de 89 ans, selon le New York Times.

À ses débuts, il renvoie l’image éclatante de la jeunesse californienne blonde et sportive des années 50. Avec ce sourire craquant qui n’appartient qu’à lui, où l’humour le dispute à la pudeur. Mais tout son parcours fera de lui une personnalité morale et politique d’une rare cohérence, artiste et citoyen engagé d’un même élan dans la défense de l’environnement, des libertés civiles, de l’indépendance de la création.

Etre responsable : un mot-clef pour comprendre Redford, a dit Jane Fonda, lors de leur dernier duo à la Mostra de Venise, en 2018, pour la présentation de Our souls at night. Une romance lumineusement crépusculaire, où les deux stars se retrouvaient après trois films mémorables ensemble, The Chase d’Arthur Penn, Pieds nus dans le parc de Gene Sacks et Le cavalier électrique de Sydney Pollack.

Les Beaux-Arts à Paris

Né le 18 août 1936 dans un quartier populaire de Santa Monica, Robert Redford a connu enfant la pauvreté de la Grande Dépression. Son père est vendeur de lait avant de devenir comptable à la Standard Oil. Les années de formation montrent des influences complexes. Le jeune Californien est « fasciné par l’Irlande de sa grand-mère », selon son biographe Michael Feeney Callan. Les femmes de la famille ont des personnalités fougueuses. Sa mère lui donne l’amour des grands espaces et l’envie de défendre le rêve américain dans ce qu’il a de plus grand. Son ascendance multiple (irlando-anglo-écossaise et un peu française) ajoute un tropisme européen : adolescent, il part étudier les Beaux-Arts en France et en Italie.

À vingt ans, il est à Paris, obscur rapin sans le sou et porté sur l’alcool. Il date de ce séjour difficile et formateur sa première prise de conscience politique : « On était au lendemain de l’affaire de Suez. Les Français n’aimaient pas les Américains. C’est la première fois que j’ai été amené à réfléchir sur les événements internationaux ». Il mesure aussi les limites de son talent de peintre. À son retour en Amérique, il cherche toujours sa voie. Illustrateur ? Décorateur de théâtre ? En tout cas ce garçon volontiers solitaire, plutôt timide et pas du tout démonstratif, ne songe pas à devenir acteur.

Une jeune fille de dix-huit ans, Lola Van Wagenen, le sauve de la déprime et de l’alcool. Ils se marient en 1958. Ils divorceront 26 ans plus tard, après avoir eu trois enfants. C’est elle qui va l’orienter vers le métier d’acteur, qu’il aborde avec réticence, à Broadway. Il prétendait avec humour ne pas avoir appris à jouer : selon lui, être un bon acteur consiste avant tout à «essayer de ne pas être mauvais», et à ne pas avoir peur du public. Il n’ira jamais vers l’outrance. Solaire mais discret, ses interprétations relèvent du «sous-jeu». 
Le temps des vaches maigres de ses jeunes années prend fin avec Daisy Clover de Robert Mulligan, en 1965, où Robert Redford incarne le séducteur cynique de Natalie Wood. L’acteur enchaîne avec The chase (La poursuite impitoyable, 1966) d’Arthur Penn, première rencontre avec Jane Fonda et Propriété interdite (1966), première rencontre avec Sydney Pollack, qui lui offrira quelques-uns de ses meilleurs rôles : Jeremiah Johnson (1972), Nos plus belles années (1973), Les trois jours du Condor (1975), Le cavalier électrique (1979), Out of Africa (1986), Havana (1990).

En duo avec Paul Newman

En attendant, le triomphe arrive avec le western de George Roy Hill, Butch Cassidy et le Kid (1970). Redford devient aussi populaire que son prestigieux partenaire, Paul Newman. Le réalisateur réunira de nouveau ces duettistes de haut vol dans L’Arnaque, en 1973. L’année suivante il sera le mélancolique Gatsby le Magnifique de l’adaptation de Jack Clayton (scénario de Coppola). 
Robert Redford peut savourer la gloire et la fortune. Il ne dédaigne pas le succès, les belles voitures et faire tourner les têtes. Il ne s’en contente pas non plus. Son image de beau blond charmeur au sourire craquant qui fait rêver dans les magazines l’agace vite. «Moralement, je me sens plutôt brun ! », corrigeait-il avec humour. 
Il fait partie des quelques grandes pointures hollywoodiennes qui ont un véritable univers artistique, Paul Newman, Clint Eastwood, Warren Beatty, Jack Nicholson plus marginalement.

Dès les années 70, Redford devient producteur, avec un premier film politique, Votez McKay de Michael Ritchie, satire des mœurs électorales. C’est l’époque de la contestation et de l’engagement avec tambours et trompettes. Redford affiche sa haine pour Nixon et fait un coup d’éclat en produisant et interprétant avec Dustin Hoffmann Les hommes du président d’Alan J. Pakula, sur le Watergate. Le film sort en 1976, mais Redford s’est emparé du sujet dès 1972, année où l’affaire éclate. Il a immédiatement contacté Woodward et Bernstein, les journalistes du Washington Post à l’origine du scandale : il voulait faire le film de leur point de vue. « Leurs méthodes ne sont pas différentes de celles qu’ils ont dénoncées, observe-t-il avec réalisme. Mais le résultat est positif».

Un romantique moral

Il y a chez Robert Redford acteur et producteur des lignes de force qui annoncent le cinéaste qu’il va devenir : un romantisme moral et politique, un amour profond de la nature, une réflexion sur l’illusion et la réalité, un désenchantement du succès et du pouvoir. En 1980, il signe son premier film, Des gens comme les autres, qui remporte quatre oscars. A travers l’histoire d’une famille brisée par la mort accidentelle de l’aîné des deux fils, Redford analyse les blocages de la société américaine, figée dans une idéologie du bonheur et du succès qui lui fait refouler toute vérité tragique. On en retrouvera les échos dix-huit ans plus tard dans son cinquième film, L’homme qui murmurait à l’oreille des chevaux (1998). Dans le rôle titre de Tom Booker, dresseur guérisseur, il représente l’accord subtil avec la nature face aux raideurs de la société. Entretemps, il réalise Milagro (1988), fable moqueuse sur la lutte de petits cultivateurs mexicains du Texas contre des promoteurs immobiliers qui veulent construire un parc d’attractions sur leurs terres ancestrales. Il filme déjà admirablement les couchers de soleil, comme dans son film suivant Et au milieu coule une rivière (1991). « Sans doute un reliquat de mon passé de peintre, dira-t-il alors. J’aime les couchers de soleil. C’est un moment puissant et triste ». Sa beauté est inséparable du sentiment de la disparition. Un jour sombre dans le passé.

Et au milieu coule une rivière est le plus purement lyrique des films de Redford. Tiré d’une nouvelle de Norman MacLean, il raconte le destin de deux frères, fils d’un pasteur du Montana qui les élève dans le culte de la religion et de la pêche à la mouche : «Toutes les bonnes choses, estimait-il - que ce soit la truite ou le salut de l’âme - viennent par la grâce. La grâce vient par l’art et l’art est difficile». Le sage aîné deviendra professeur d’histoire. Le turbulent cadet (Brad Pitt, double juvénile de Redford), merveilleux pêcheur à la mouche à la grâce innée, fera une brève carrière de journaliste et de mauvais garçon avant de mourir assassiné. Sous la chronique familiale, le film compose un poème plus mystérieux sur le temps qui passe, la nostalgie de l’inaccompli, la solitude et l’impuissance à aimer ceux que nous aimons, l’alliance immémoriale entre la perfection et la mort.

La beauté sauvage et limpide des paysages du Montana, montagnes, forêts, rivières étincelantes, admirablement photographiées, parle mieux que tous les discours de l’amour de Redford pour la nature. Son engagement écologique n’est pas un simple volet du programme obligé d’un démocrate progressiste. Il a des racines personnelles profondes : «Je suis né dans l’Ouest, c’est la partie du pays que je préfère, et une grande part de ma vie», a-t-il dit. De là son intérêt pour la civilisation des Indiens d’Amérique (il a écrit un livre et produit plusieurs films qui leur sont consacrés) et par extension la défense des cultures minoritaires comme celle de la communauté hispanique évoquée dans Milagro. C’est une sensibilité très incarnée, et par bien des aspects, traditionnelle, qui nourrira sa réflexion et ses engagements publics.

Dès les années 60, il a acquis un petit terrain dans l’Utah, et entrepris d’y construire lui-même sa maison en appliquant des principes écologiques : respect de l’environnement, utilisation des énergies naturelles. Au fil des années, il ne cessera d’agrandir son domaine, qui compte à présent plus de six cents hectares. Il y aménage une station de ski, mais préserve aussi des espaces sauvages. Surtout, il y crée en 1980 le Sundance Institute, destiné à favoriser le jeune cinéma indépendant, loin des grands studios. Des consultants aident des auteurs novices à peaufiner leurs scénarios. Bientôt, des ateliers de réalisation permettent de tourner les films sur place. Cinq ans plus tard, le Sundance Institute est devenu un centre de création florissant, et Redford lance le Sundance film festival, si couru aujourd’hui qu’il attire les majors, et qu’on lui a reproché de se vendre à Hollywood.

Critique du «système»

Politiquement, sa vision est claire. Il n’a jamais envisagé de s’impliquer directement dans l’action politique, mais revendique pleinement son rôle d’influence : «La politique est une part importante de nos vies, mais je peux mieux faire entendre ma voix en restant neutre. Parce que je suis très critique sur le système». Pour lui, les médias américains sont partagés en deux camps, libéral et conservateur, qui réagissent l’un par rapport à l’autre. Et s’il n’accorde nul crédit aux conservateurs, il ne veut pas devenir l’otage de l’autre bord. «J’aime les gens qui font l’effort de devenir conscients», dit-il. «J’ai grandi avec une envie forte d’indépendance, je ne voulais appartenir à aucune organisation, aucun parti, aucun courant de pensée. Ça a toujours fait partie de ma vie.»

En 2015, invité à l’ONU sur le réchauffement climatique, il se présente comme «un acteur, un père et un grand-père, et un citoyen responsable», et il se réfère au pape François pour situer la question sur le plan de la morale. «Votre mission est aussi simple qu’effrayante : sauver le monde avant qu’il ne soit trop tard», dit-il. La même année, il vient à l’Unesco défendre les cultures des peuples autochtones. 
À la fois idéaliste et pragmatique, efficace dans ses réalisations, et généreux dans ses convictions, Redford a mis son immense talent, son charme et son humour au service d’une vision large de l’existence, et d’un rare souci du bien commun. Les couchers de soleil seront désormais plus beaux et plus tristes. 

Les Trois Jours du Condor (Three Days of the Condor ), en 1975, avec Robert Redford, Faye Dunaway, Max von Sydow...

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