Iran

Analyse,Le régime iranien affaibli, mais pas mort

Auteur: François Brousseau Source: Radio Canada
Juin 23, 2025 at 08:45
Un Iranien porte un portrait du guide suprême, l'ayatollah Ali Khamenei, lors d'un rassemblement anti-israélien à Téhéran, le 20 juin 2025.  Photo : AFP
Un Iranien porte un portrait du guide suprême, l'ayatollah Ali Khamenei, lors d'un rassemblement anti-israélien à Téhéran, le 20 juin 2025. Photo : AFP

L’administration Trump prétend que le bombardement de samedi soir par des avions américains ayant aisément et impunément violé l’espace souverain iranien est un acte ponctuel qui n’équivaut pas à une déclaration de guerre.

Certes, on n’assiste pas aujourd’hui à une invasion en bonne et due forme comme celle de l’Irak, 22 ans et 4 mois plus tôt. L’absence de troupes au sol est une différence importante par rapport à février 2003. À l’époque, il s’agissait, avec des avions, des chars et de l’infanterie, d’occuper Bagdad et de faire tomber Saddam Hussein sous de faux prétextes (les introuvables armes de destruction massive que le dictateur était censé détenir), puis de rester le temps qu’il faudrait pour « instaurer la démocratie ». On sait ce qu’il advint.

Mais ce dimanche 22 juin, l’expression changement de régime est apparue dans une publication du président américain Donald Trump.

Conséquences irréparables

Le guide suprême Ali Khamenei – dont on ignore la localisation et qui aurait des problèmes de communication physique avec ses diplomates et son état-major – avait dit, peu avant le raid fatidique : « Il y aura des conséquences irréparables si les Américains nous attaquent. » Bien sûr, il y a ici une rhétorique rituelle... mais il est possible que les moyens à la disposition de Téhéran ne soient pas à la hauteur de cette rhétorique.

Que feront donc les dirigeants iraniens? Ils se trouvent dans une situation où ils doivent absolument répliquer, sous peine d’humiliation et d’affaiblissement ultérieur… y compris face à la population iranienne sous leur joug. Mais leurs options sont limitées et comportent toutes des risques.

La séquence enclenchée le vendredi 13 juin a démontré la nette supériorité militaire d’un ennemi israélien surarmé, aux capacités d’espionnage dévastatrices, extraordinairement infiltré en Iran. Avec, par surcroît, un allié fidèle pour finir le travail : l’ami américain qui, huit jours plus tard, accourt avec sa flotte d’avions magiques.

 

Un bombardier B-2 américain dans le ciel du Missouri, le 14 septembre 2024. (Photo d'archives)
Un bombardier B-2 américain dans le ciel du Missouri, le 14 septembre 2024. (Photo d'archives). PHOTO : REUTERS / U.S. AIR NATIONAL GUARD

 

Ces B-2 coûtent 2,8 milliards de dollars pièce (en devises canadiennes) et larguent des bombes pénétrantes de 14 tonnes coûtant chacune… 28 millions, soit un centième du prix de l’avion. Dans les deux cas, ce sont des records du monde.

Qui plus est, l’armée américaine ne possède pas moins de 19 de ces engins, assez pour en envoyer quelques-uns vers l’Asie pour faire diversion… alors que d’autres s’en vont simultanément faire leur travail de destruction au cœur de la Perse. De « beaux leurres »... à presque trois milliards de dollars!

Les officiels américains et israéliens ont rivalisé, le 22 juin, de superlatifs et d’autocongratulations, évoquant l’anéantissement de la centrale de Fordo, voire de tout le programme nucléaire iranien. Mais les Iraniens affirment le contraire, et des signaux comme l’absence de radiations sur le site après les bombardements, confirmée par l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), donnent à penser… soit que le cœur du laboratoire est resté largement intact, soit que les responsables iraniens ont déplacé et caché ailleurs les stocks d’uranium enrichi avant les frappes.

 

Des photos satellites du site de Fordo.
Ces deux photos satellites montrent le complexe souterrain de Fordo avant (à gauche) et après (à droite) les frappes menées par les États-Unis contre ces installations nucléaires souterraines. PHOTO : REUTERS / MAXAR TECHNOLOGIES

 

Les options sur la table

Si l’Iran mène des représailles, quelles sont les options sur la table?

Les moyens de répliquer sont limités. La flotte aérienne israélienne est supérieure en nombre et en qualité à celle de l’Iran. Les défenses antiaériennes iraniennes sont en partie détruites, celles d’Israël toutes opérationnelles (sans être parfaitement étanches).

L’arsenal iranien a été largement amputé par les frappes israéliennes, particulièrement en matière de missiles à longue portée. Les estimations varient quant au nombre de missiles balistiques que l'Iran pourrait encore posséder.

Au début de la guerre, on estimait qu'il disposait de 1500 à 2000 projectiles capables d'atteindre Israël. Certaines estimations indiquent que l'armée iranienne en a déjà utilisé 500, tandis que d'autres disent 700. Quel que soit le chiffre exact, les stocks diminuent rapidement. Israël a également détruit environ un tiers des lanceurs iraniens de missiles balistiques, peut-être davantage avec les toutes dernières frappes.

La cible des pays voisins

Hormis les missiles balistiques, l’Iran reste bien doté en missiles à moyenne et courte portée. Ils ne peuvent atteindre Israël, mais peuvent bombarder des pays plus proches où se trouvent des bases américaines : Irak, Koweït, Qatar. Téhéran pourrait décider de telles représailles, même si Donald Trump a promis que la réplique serait « pire que tout ce que vous avez vu jusqu’à maintenant ». Tout cela en disant simultanément que les frappes de samedi représentaient un coup unique et « pas une déclaration de guerre ». À voir...

Les leaders iraniens pourraient aussi demander aux Houthis du Yémen (milice alliée et cliente de Téhéran, la dernière qui soit à la fois capable et disposée à agir, après l’affaissement et la défection du Hezbollah libanais) qu’ils mènent de telles frappes à leur place.

Dans l’arsenal stratégique iranien, il y a aussi la possible fermeture du détroit d’Ormuz, par où transitent près de 20 % des flux pétroliers et gaziers de la planète. Les forces navales des Gardiens de la révolution pourraient par exemple miner, avec leur flotte de hors-bords, les eaux du golfe Persique, menaçant les pétroliers. Mais un tel geste est à double tranchant : il nuirait également aux exportations iraniennes vers la Chine.

 

Un grand pétrolier vogue sur l'eau.
Un pétrolier passe dans le détroit d'Ormuz (Photo d'archives). PHOTO : REUTERS / HAMAD I MOHAMMED

 

Une autre option, moins spectaculaire a priori et moins immédiatement guerrière, mais aussi inquiétante à long terme : se retirer du traité de non-prolifération (TNP) de l’ONU, passer totalement à la clandestinité (comme Israël!) et suivre la trajectoire nord-coréenne – celle qui a finalement doté Pyongyang d’une soixantaine de bombes atomiques.

Inégalité flagrante entre les ennemis

Dans cet affrontement, l’inégalité des moyens est flagrante. Mais elle ne signifie pas que les bombes larguées samedi sur les équipements de Natanz, Ispahan et surtout de Fordo, enfouis à des dizaines de mètres sous terre, aient vraiment « terminé le travail »... au sens d’avoir éliminé physiquement le programme nucléaire iranien. Et elle ne signifie pas non plus que le régime iranien soit sur le point de tomber.

Au-delà de l'impossibilité de mettre fin au programme nucléaire iranien par la bombe (non pas tant à cause des bunkers dans lesquels le régime protège ses installations, mais des connaissances acquises par les Iraniens, qui ne peuvent être effacées), au-delà du mirage d'un changement de régime par la voie des airs, on peut se demander où cette guerre nous mène.

 

Des Iraniens brandissent des drapeaux et des pancartes lors d'une manifestation.
Des Iraniens brandissent des drapeaux et des pancartes lors d'une manifestation contre l'attaque américaine en l'Iran sur la place Enghelab à Téhéran, le 22 juin 2025. PHOTO : GETTY IMAGES / AFP / ATTA KENARE
 

 

Certains mettent en garde contre un conflit régional plus vaste. Les exhortations des Européens, et leur initiative du 20 juin avec le ministre des Affaires étrangères Abbas Araghchi, ont été traitées par le mépris à Washington et à Jérusalem. Les frappes du lendemain étaient aussi un bras d’honneur contre l’Union européenne.

Revirement américain

La décision américaine de s’engager ouvertement aux côtés d’Israël dans sa guerre contre l’Iran constitue un revirement. Les États-Unis avaient veillé, dans un premier temps, à se distancier des attaques, dans la nuit du 12 au 13 juin. Le secrétaire d’État Marco Rubio avait réagi en prenant acte de l’« action unilatérale » de Tel-Aviv contre Téhéran, et en assurant que les États-Unis n’étaient pas impliqués dans ces frappes. Il a précisé qu’il n’y avait alors pas de soutien à Israël pour cette initiative spécifique.

Mais le ton a donc changé, véritable 180 degrés à la Maison-Blanche : un de plus. Avec ses dernières déclarations sur le changement de régime et ses exhortations à la « reddition inconditionnelle » du régime des mollahs, Trump a sorti sa plus grosse bombe. Mis sur la touche, l’envoyé Steve Witkoff et son théâtre diplomatique avec les Iraniens de la mi-avril à la mi-juin, auquel on avait pourtant voulu croire.

 

Donald Trump fait un discours, avec trois hommes derrière lui.
Le président américain Donald Trump prononce un discours à la Maison-Blanche à Washington, après les frappes américaines sur des installations nucléaires iraniennes.PHOTO : REUTERS / CARLOS BARRIA

 

Le président espère que sa démonstration de force ponctuelle suffira et qu’il ne sera pas entraîné dans un de ces longs conflits asymétriques où ses prédécesseurs ont tant perdu. Mais rien n’est moins sûr.

Si par exemple Téhéran réagit avec de vraies frappes, la contrepartie américaine sera obligée de répliquer. Et le président pourrait alors mettre le doigt dans un engrenage connu. Celui qui a emporté plusieurs de ses prédécesseurs, qu’il méprise tant et qu’il a inlassablement dénoncés pour leurs guerres sans fin.

Un piège pour Trump

L’Iran des mollahs est-il prêt à aggraver son cas en cédant à ce réflexe, certes autodestructeur, mais qui serait aussi un piège pour Trump ?

Une hypothèse, en vogue à Washington et Jérusalem, prétend que de ces coups de boutoir contre le régime usé, corrompu, brutal et détesté de Téhéran, pourraient devenir l’étincelle d’un effondrement et d’un changement de régime. Non pas par une invasion… mais comme un élément déclencheur.

Ces attaques de l’étranger accéléreront-elles la chute de la République islamique, ou au contraire lui fourniront-elles un prétexte nationaliste et un ultime sursis?

Car les bombardements pourraient aussi, à l’inverse, susciter un sursaut nationaliste chez beaucoup d’Iraniens… y compris beaucoup de ceux qui détestent la dictature islamique.

Affaire à suivre, à haute intensité dramatique, d’une envergure régionale, voire mondiale, et qui peut hélas partir dans plusieurs sens.

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