Malgré l'annonce d'un cessez-le-feu provisoire entre Israël et l'Iran mardi, Téhéran menace toujours de riposter aux frappes américaines en fermant le détroit d’Ormuz, un canal situé entre Oman et l'Iran dans lequel environ un cinquième du pétrole brut de la planète passe. Pourquoi ce passage est-il vital pour l'économie mondiale? Explications.
Si l’Iran n’a pas précisé comment il compte perturber le trafic maritime sur cette voie, plusieurs méthodes seraient envisagées par le Corps des Gardiens de la révolution islamique qui contrôle les opérations navales dans le Golfe et qui est chargé d'assurer la sécurité de ce détroit qui relie le golfe Persique au golfe d'Oman et à la mer d'Arabie.
L’Iran pourrait y interdire toute navigation, mais aussi augmenter le nombre d'inspections ou saisir des navires; frapper les navires avec des missiles ou des sous-marins depuis sa longue côte du golfe Persique; et même poser des mines sous l’eau.
Selon l'Institute for the Study of War (nouvelle fenêtre), l'Iran aurait probablement déjà perturbé les signaux GPS dans le détroit d'Ormuz le 22 juin, rendant plus difficile la navigation.
À son point le plus large, ce point de passage stratégique mesure environ 33 kilomètres. Toutefois, le détroit est seulement assez profond pour les grands navires dans sa partie centrale. Ainsi, les bateaux doivent naviguer sur un chenal d’une dizaine de kilomètres de large, ce qui les rend vulnérables aux attaques.
Un impact économique important
Les experts disent que toute perturbation de la voie navigable entraînerait des retards importants dans la livraison mondiale de pétrole et aurait un effet considérable sur les prix.
Selon l'Administration américaine d'information sur l'énergie (EIA), quelque 20 millions de barils de pétrole empruntent le détroit chaque jour. Environ un cinquième du commerce mondial de gaz naturel liquéfié y transite aussi, principalement en provenance du Qatar.
Plus d’une centaine de navires empruntent ce détroit quotidiennement.
Dimanche, les analystes de Goldman Sachs ont prévu que les prix du pétrole brut Brent pourraient atteindre 110 dollars américains le baril si le détroit d'Ormuz était bloqué (ils sont présentement à moins de 70 dollars le baril). D'autres analystes ont déclaré que les prix pourraient atteindre 120 à 130 dollars le baril.
L’impact d'une fermeture ou de perturbations serait particulièrement important pour la Chine, l'Inde, le Japon et la Corée du Sud, les principaux importateurs de pétrole brut qui passe par ce détroit.
Selon l’Agence d'information sur l'énergie des États-Unis, en 2022, environ 82 % du pétrole brut et des condensats passant par le détroit étaient destinés à des pays en Asie.
La grande majorité du pétrole provenant de l'Arabie saoudite et des Émirats arabes unis est acheminée par le détroit d'Ormuz.
Les États-Unis importent quant à eux environ 500 000 barils de pétrole brut et de condensats par jour depuis le détroit, soit environ 7 % de leurs importations totales de pétrole et 2 % de leur consommation d'essence. Il s'agit du niveau le plus bas en près de 40 ans.
L’Iran utilise aussi ce canal pour transporter son propre brut. La Chine achète près de 90 % des exportations de pétrole de l'Iran (environ 1,6 million de barils par jour).
C'est pourquoi, selon Suzanne Maloney, vice-présidente et directrice de la politique étrangère à l'Institut Brookings, le vote du parlement iranien pour autoriser le blocage du détroit est de purement symbolique. Une telle mesure ne ferait qu'affaiblir davantage sa propre économie malmenée et compromettrait son rapprochement fragile, mais précieux avec l'Arabie saoudite et les autres États arabes du golfe Persique, écrit Mme Maloney sur le site web de Brookings (nouvelle fenêtre).
D'ailleurs, un blocage du détroit empiéterait sur les eaux territoriales d'Oman, mettant en jeu sa relation avec ce pays médiateur historique entre l'Iran et les pays occidentaux.
Des données de l'entreprise spécialiste de la data sur les matières premières Kpler montrent (nouvelle fenêtre) que le nombre de navires empruntant le détroit d'Ormuz a diminué dans les premiers jours du conflit.
Maritime activity slows in Gulf
— Kpler (@Kpler) June 23, 2025
Kpler vessel tracking indicates declines in maritime traffic in the Mideast #Gulf since the Israel-Iran conflict began on Friday, June 13.
In addition to the risks of conflict escalation, subsequent navigation system interference and disruption… pic.twitter.com/NzPmm88k5M
Des routes différentes?
La grande majorité du pétrole provenant de l'Arabie saoudite et des Émirats arabes unis est acheminée par le détroit d'Ormuz. Mais l’instabilité géopolitique dans la région a poussé ces deux pays exportateurs de pétrole à développer d'autres voies d'exportation.
Par exemple, l’Arabie saoudite peut compte sur son oléoduc est-ouest, un pipeline de 1200 km de long qui peut transporter jusqu'à 5 millions de barils de pétrole brut par jour jusqu’au port de Yanbu, dans la mer Rouge.
Les Émirats arabes unis ont construit un pipeline entre leurs gisements pétroliers jusqu’au port de Fujairah, dans le golfe d'Oman. Ce pipeline a une capacité quotidienne de 1,5 million de barils. Cette route occidentale est toutefois à risque d’attaques des Houthis du Yémen, un groupe soutenu par l'Iran.
L'Irak, le Koweït et le Qatar n'ont actuellement aucune option de rechange quant à ce détroit.
En juillet 2021, l'Iran a pour sa part inauguré l'oléoduc Goreh-Jask, qui pourrait acheminer jusqu'à 350 000 barils de pétrole vers le golfe d'Oman. Par contre, à l’été 2024, l'Iran exportait moins de 70 000 barils par jour et a cessé d’y transporter du pétrole depuis septembre 2024.
L'Agence d'information sur l'énergie des États-Unis estime que ces pipelines peuvent transporter quelque 3,5 millions de barils de pétrole par jour, soit environ 15 % du brut actuellement acheminé par navire dans le détroit d’Ormuz.
Par contre, le transport du pétrole au moyen de ces pipelines augmente considérablement le temps de transport, ce qui pourrait contribuer à l’augmentation des prix mondiaux de l'énergie.
Une région maritime hautement volatile
Si le détroit d’Ormuz n'a jamais été complètement bloqué, il a été perturbé à plusieurs reprises.
Pendant la guerre Iran-Irak des années 1980, les deux pays se sont livrés à une guerre des pétroliers dans le golfe Persique. L'Irak a pris pour cible les bateaux iraniens et l'Iran a attaqué des navires commerciaux, notamment des pétroliers saoudiens et koweïtiens et même des vaisseaux de la marine américaine.
Plus de 500 navires avaient été détruits ou endommagés.
À la demande du Koweït, le président américain de l'époque, Ronald Reagan, avait déployé la marine entre 1987 et 1988 pour protéger les convois de pétroliers dans le cadre de l'opération Earnest Will.
Téhéran avait miné des zones de passage dans le détroit d'Ormuz. Le 14 avril 1988, la frégate USS Samuel B. Roberts avait heurté une mine et avait presque sombré.
L'opération américaine a pris fin en juillet 1988 après qu'une frégate de la marine américaine eut abattu le vol 655 d'Air Iran, tuant les 290 passagers à bord.
Depuis, il y a eu une série d’escarmouches entre les marines iranienne et américaine et les incidents se sont multipliés en 2018 après le retrait des États-Unis de l'accord sur le nucléaire iranien.
En 2019, des attaques mystérieuses contre des navires dans la région du Golfe, un drone abattu et des pétroliers saisis avaient fait craindre une escalade entre Téhéran et Washington.
Le 29 juillet 2021, une attaque en mer d'Oman contre un pétrolier géré par la société d'un milliardaire israélien avait fait deux morts. Israël, les États-Unis, la Grande-Bretagne et la Roumanie avaient montré du doigt Téhéran, qui avait démenti toute implication.
En avril 2023, les troupes iraniennes se sont emparées du pétrolier Advantage Sweet, affrété par Chevron, dans le golfe d'Oman. Le navire a été libéré plus d'un an plus tard.
En avril 2024, les Gardiens de la révolution ont arraisonné le porte-conteneurs MSC Aries, qui naviguait sous pavillon portugais, accusant son armateur d'être lié à Israël.
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