L'élection de Donald Trump suscite de vives inquiétudes en Europe, notamment pour la sécurité de l'Ukraine. L'UE va devoir trouver un équilibre entre la préservation de ses relations avec Washington et la défense de ses propres intérêts sécuritaires et économiques, dans un contexte où les populismes européens pourraient se renforcer sous l'influence de la victoire du milliardaire américain.
Avec le retour de Donald Trump à la Maison Blanche, le monde s'apprête à vivre de nouvelles turbulences et l’Europe n’est pas à l’abri de bouleversements. La victoire de l’élu conservateur mercredi 6 novembre soulève de nombreuses questions et de vives inquiétudes au sein de l’Union européenne, notamment au sujet de Kiev.
Donald Trump a martelé à maintes reprises pouvoir imposer une paix en Ukraine en "24 heures", sans jamais expliquer comment, mais en décriant l'ampleur de l'aide versée à Kiev pour résister à l'invasion russe. Il a aussi tenu des propos laudateurs à l'égard de Vladimir Poutine.
Le magnat de 78 ans estime que "cette guerre n'aurait jamais dû avoir lieu" et il vante sa "très bonne relation" avec le président russe, qu'il cherchera sans doute à rencontrer en tête-à-tête une fois entré en fonctions le 20 janvier.
En Europe comme en Ukraine, la crainte est de voir le nouveau locataire de la Maison Blanche forcer l'Ukraine à négocier avec la Russie dans des conditions favorables à Moscou. Dès lors, les Européens vont être confrontés à un défi de taille, souligne la vice-présidente de l'Institut Jacques Delors, Nicole Gnesotto : "Il faudra absolument qu’ils soient présents à la table des négociations. Parce que si l'Ukraine doit devenir un jour membre de l'Union européenne, il est normal que l'on défendre ses intérêts – et donc à travers elle nos intérêts de sécurité. Or c’est loin d’être acquis avec la personnalité de Donald Trump."
Champ libre pour Vladimir Poutine en Europe ?
Les relations pour le moins ambivalentes de Donald Trump avec la Russie inquiètent les Européens, bien au-delà de la guerre en Ukraine. L'ingérence en 2016 de Moscou dans l'élection américaine, visant à favoriser l'élection du candidat républicain, et les éloges de Donald Trump à l'égard du président autocrate russe ont jeté une ombre sur la carrière politique du président-élu. Une enquête bipartisane menée par le Sénat en 2020 sur l'ingérence de la Russie dans les élections a révélé que le Kremlin avait bien infiltré la campagne de Donald Trump. Ingérence dans laquelle Wikileaks aurait joué un rôle dans l'"intention" de nuire à la campagne d'Hillary Clinton.
Entre l'ancien président américain et Moscou, les relations se seraient poursuivies après la fin de son mandat, selon l’un de ses anciens collaborateurs qui affirme que Donald Trump aurait eu sept appels téléphoniques avec Vladimir Poutine. Une information démentie par l’élu républicain et plusieurs autres membres de son équipe.
"Quatre années de Trump au pouvoir vont permettre à Poutine d’avancer ses pions dans d’autres pays comme la Géorgie ou la Moldavie", redoute Nicolas Tenzer, enseignant à Sciences Po et auteur de l’ouvrage "Notre guerre. Le crime et l'oubli : pour une pensée stratégique" (L'Observatoire, 2024). "On voit mal Donald Trump s’opposer frontalement à Vladimir Poutine. Surtout au regard des déclarations de son colistier J.D. Vance qui, lors de la Conférence de Munich sur la sécurité en février a déclaré que la Russie n'est pas véritablement un danger."
Donald Trump n’a pas caché non plus sa défiance envers l’Alliance atlantique. Pendant sa campagne, il a enjoint les pays de l'Otan à accroître leurs budgets de défense. Les membres sont tenus de consacrer 2 % de leur PIB à leur budget militaire. Or, à l'heure actuelle, seuls 23 des 32 États membres satisfont cette exigence.
Repenser le modèle sécuritaire européen
Le candidat républicain avait même suggéré que les États-Unis ne défendraient plus les mauvais payeurs en cas d’attaque de la Russie. "En fait, je les encouragerais [la Russie] à faire ce qu'ils veulent. Vous devez payer. Vous devez payer vos factures", avait-il asséné aux Européens.
Une sortie peu appréciée par le secrétaire général de l'Otan, qui s’était empressé de rectifier le tir. "Toute attaque contre l'Otan fera l'objet d'une réponse unie et forte", avait-il déclaré, qualifiant "toute suggestion selon laquelle les alliés ne se défendraient pas entre eux" de "menace pour notre sécurité commune, y compris celle des Américains".
"Que fera Donald Trump si les incursions et les intimidations russes se multiplient ? Et si Vladimir Poutine attaque la Finlande ou l’Estonie ? Est-ce que Trump appliquera les garanties de sécurité de l’article 5 de l’Otan", s’interroge encore Nicolas Tenzer.
L’élection de Donald Trump pourrait être l’occasion pour les Européens de repenser leur modèle sécuritaire comme l'a suggéré Emmanuel Macron jeudi, lors de la réunion de la Communauté politique européenne (CPE) qui se tient à Budapest.
"On n'a pas à déléguer pour l'éternité notre sécurité aux Américains", a-t-il déclaré devant les quelque 50 dirigeants européens réunis dans la capitale hongroise pour discuter du soutien à l'Ukraine, des migrations et des enjeux économiques. "L'Otan a évidemment un rôle pilier, clé, et au sein de l'Otan, nous, Européens, nous voulons jouer notre rôle. Ce pilier européen de l'Otan n'a rien à retrancher à l'Alliance, mais il y a le fait qu'il y a eu un réveil stratégique que nous devons assumer, nous, Européens", a-t-il ajouté.
"La fébrilité s’est emparé des dirigeants européens"
Au sein des institutions européennes, le retour de Donald Trump était le scénario le plus redouté. À l’annonce des résultats de la présidentielle américaine mercredi, et malgré les félicitations officielles, "la fébrilité s’est emparé des dirigeants européens face à cette perspective, d’autant que l’Europe traverse une période d’instabilité avec un moteur franco-allemand à la peine et avec un président français et un chancelier allemand affaiblis", décrit Alix Le Bourdon, la correspondante de France 24 à Bruxelles. Sur place également, Caroline de Camaret, l’envoyée spéciale de France 24, explique qu’une cellule spéciale mise en place depuis cet été se préparait à ce scénario.
Le retour de Donald Trump à la Maison blanche pourrait avoir un impact direct sur l'évolution des relations entre Bruxelles et Washington, déjà tendues lors du premier mandat de l'homme d'affaires, entre 2016 et 2020. "L’UE est perçu par Donald Trump comme un espèce d’intermédiaire gênant qui lui met des bâtons dans les roues", commente Nicolas Tenzer.
"Elon Musk et Donald Trump n’ont qu'une seule obsession, c'est de réduire toutes les contraintes fédérales à la vie économique et à la vie individuelle, donc le moins de régulation possible. Ils s’en prendront aux normes européennes, qu’ils considèrent comme des 'normes technocratiques' qui les empêchent de produire", estime quant à elle Nicole Gnesotto.
Le risque d’une dispersion européenne
Le président français Emmanuel Macron a fait partie mercredi des premiers à féliciter Donald Trump sur X en se disant "prêt à travailler ensemble comme nous avons su le faire durant quatre années" lors du premier mandat du républicain. Pour autant, il n’a pas manqué de mettre en garde les Européens dans la foulée contre le "chacun pour soi", plaidant pour une "stratégie européenne coordonnée". "La tentation ne [doit] pas être au chacun pour soi ni aux relations bilatérales, mais bien à une stratégie européenne coordonnée", a affirmé le chef de l'État lors de son Conseil des ministres.
"L’UE est déjà bien plus divisé qu’il n’y parait", rappelle Nicolas Tenzer. L’expert redoute l’aspect "transactionnel" des échanges de Donald Trump et ses effets sur l’unité européenne : "De nombreux de pays [y compris l’Allemagne, très dépendant de ses exportations outre-Atlantique, NDLR] vont sans doute essayer de la jouer solitaire pour trouver des accords séparés avec les États-Unis et ne pas se retrouver perdants sur le plan économique."
En cas de durcissement des relations, l’économie des États européens pourrait être fortement affectée, car les États-Unis sont le principal partenaire commercial de l’UE et le principal marché à l’exportation, avec 20 % des flux sortant.
L'Europe, pourrait aussi souffrir d'une augmentation des coûts liés à sa sécurité si Donald Trump réduit son soutien à l'Otan, puisque les pays membre de l’Alliance seraient alors contraints de combler le vide laissé par un retrait des États-Unis.
Or, la dette publique en Europe est déjà proche de 90 % du PIB, et les finances sont par conséquent tendues dans la plupart des pays européens. Les gouvernements auront du mal à stimuler une économie souffrant de barrières commerciales tout en finançant de nouvelles dépenses militaires.
Montée des populismes en Europe
Les Européens ne sont pas non plus à l’abri de voir les extrême-droites locales favorisées par le retour de Donald Trump à la Maison Blanche. "Sa victoire va conforter tous les mouvements populistes européens et leurs idées", juge Danielle Gnessotto.
"L’élection de Donald Trump peut avoir un effet de légitimité pour ces partis, y compris pour l’extrême droite française", note Nicolas Tenzer, même si le Rassemblement national est resté assez discret sur la question.
En Europe, Donald Trump peut déjà compter sur plusieurs alliés qui épousent ses thèmes de prédilection, comme le discours anti-immigration, l’exaltation des valeurs traditionnelles, de la famille, la remise en cause du droit à l’avortement, etc. Parmi eux, le dirigeant d’extrême droite Viktor Orban s’est d’ailleurs dit très heureux du retour de son "ami" et a salué mercredi "une victoire pour le monde".
Le Premier ministre hongrois, qui a pris la tête de la présidence tournante de l'UE en juillet, ne cache pas son admiration pour l’élu américain. Les deux hommes se sont rencontrés à deux reprises cette année. Viktor Orban soutient son allié américain depuis 2016. Il aurait même dépensé des dizaines de millions d’euros pour influer avec succès sur la campagne du candidat républicain, en finançant des cercles de réflexion, d’après une enquête menée par Le Monde.
D'après le quotidien français, l'un de ces think-thanks, la National Conservatism Conference, organise régulièrement des réunions regroupant des cadres de l’extrême droite européenne et du trumpisme.
Dans la Slovaquie voisine, le chef du gouvernement est lui aussi acquis aux idées de Donald Trump. Robert Fico a estimé mercredi que ce succès du candidat "conservateur" aux États-Unis marquait "une défaite des idées libérales et progressistes", qu'il compare régulièrement à un cancer.
Robert Fico et Viktor Orban, qui plaident pour des pourparlers de paix avec la Russie et s'opposent à l'aide militaire européenne à l'Ukraine, ont dit espérer un impact sur la guerre dans ce pays. "Une nouvelle stratégie européenne est nécessaire pour l'Ukraine", a réaffirmé Viktor Orban, tandis que Robert Fico "attend les premiers pas du nouveau président américain" sur le sujet.
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