Union Européenne

Après l'accord commercial UE-États-Unis, l'Europe entre soulagement et amertume

Source: France 24::
Juillet 28, 2025 at 13:18
La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, lors d'un point de presse conjoint avec Donald Trump à la suite de leur rencontre à Turnberry, dans le sud-ouest de l'Écosse, le 27 juillet 2025. © Brendan Smialowski, AFP
La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, lors d'un point de presse conjoint avec Donald Trump à la suite de leur rencontre à Turnberry, dans le sud-ouest de l'Écosse, le 27 juillet 2025. © Brendan Smialowski, AFP

À partir du 1er août, les droits de douane américains s’élèveront à 15 % pour la plupart des produits européens, ont annoncé, dimanche, en Écosse, le président américain, Donald Trump, et la présidente de la commission européenne, Ursula von der Leyen. Si l'UE espère ainsi s'épargner une escalade commerciale, la France dénonce un accord inégal.


"Le plus grand 'deal' jamais passé". Donald Trump n'a pas caché sa satisfaction, dimanche 27 juillet, en serrant la main de la présidente de la commission européenne, Ursula von der Leyen, au terme d'âpres négociations dans un club de golf écossais. Le président américain brandissait la menace de passer de 10 à 30 % les droits de douane en l'absence d'accord.

De l'avis général, le milliardaire est le grand gagnant de cette séquence : il obtient non seulement des droits de douane de 15 % sur les exportations européennes mais également un engagement de l'UE à acheter 750 milliards d’énergie américaine sur trois ans et réaliser 600 milliards d’investissements aux États-Unis.

"Donald Trump, c'est le tyran de la cour d'école et nous n'avons pas fait alliance avec les autres pour lui tenir tête", regrette un diplomate interrogé par le Financial Times.

Aux yeux de Donald Trump, l'UE agit comme un parasite qui se nourrit du marché américain tout en fermant le sien par le biais de réglementations et de normes. Le président américain a déclaré que l'UE avait été créée uniquement dans le but de "baiser les États-Unis".

Au lendemain de la signature de cet accord-cadre dont les contours restent encore flous, les réactions sont plus que mitigées en France au sein du camp pro-européen, le Premier ministre François Bayrou allant jusqu'à évoquer "un jour sombre" pour l'Europe qui "se résout à la soumission". 

"C'est un accord qui est inégal et qui est déséquilibré [...]. On ne peut pas être les Télétubbies du commerce international", a ironisé, lundi, sur franceinfo, le Haut-Commissaire à la stratégie et au plan, Clément Beaune.

Cet accord apporte "une stabilité temporaire" mais reste "déséquilibré", a également regretté le ministre français délégué chargé de l'Europe, Benjamin Haddad. 

À gauche, le député de la France insoumise (LFI) Manuel Bompard ainsi que le Premier secrétaire du Parti socialiste (PS), Olivier Faure, dénoncent "une honte" tandis qu'à l'autre bout du spectre Marine Le Pen fustige un "fiasco politique, économique et moral".

"À l'origine, le projet européen est une union douanière de pays qui se coordonnent pour influencer le commerce international à leur profit. Alors que l'UE était là pour nous protéger, le Royaume-Uni s'en sort mieux que nous. Les Britanniques ont vu leurs droits de douane doubler alors qu'ils ont triplé pour l'UE qui paye ici l'hétérogénéité de son économie avec des États membres qui ont des intérêts contradictoires", souligne David Cayla, maître de conférence en économie à l'Université d'Angers.

Berlin et Rome sauvent les meubles

Après l'annonce de cet accord, les Bourses européennes ont ouvert en nette hausse lundi, les investisseurs saluant un texte qui écarte les pires craintes concernant une guerre douanière entre les deux principales puissances commerciales de la planète : chaque jour, l'UE et les États-Unis s'échangent près de 4,4 milliards d'euros de biens et services.

Mais dans les capitales européennes, le soulagement d'avoir évité le scénario du pire s'accompagne aussi de regrets et de questions. Pourquoi l'UE, le plus grand bloc commercial du monde, s'est couchée aussi facilement devant les menaces de Donald Trump ? Ursula Von Der Leyen n'avait-elle pas les cartes en main pour obtenir un meilleur "deal" ?

Si la France se montre très critique, des pays comme l'Allemagne ou encore l'Italie, plus dépendants de leurs exportations vers les États-Unis, estiment avoir sauvé les meubles. 

En 2024, les entreprises allemandes ont exporté pour 163,4 milliards d'euros de biens vers les États-Unis, un montant qui représente environ 10,5 % de l'ensemble des exportations allemandes. 

"Cet accord a permis d’éviter un conflit commercial qui aurait durement touché l’économie allemande", a réagi le chancelier allemand, Friedrich Merz, tandis que Giorgia Meloni a estimé qu'une "escalade commerciale entre l'Europe et les États-Unis aurait eu des conséquences imprévisibles et potentiellement dévastatrices".

En clair, mieux vaut savoir dès maintenant à quelle sauce économique l'UE va être mangée plutôt que de subir les conséquences d'une confrontation dont personne ne peut connaître l'issue à l'avance. 

"L'Allemagne et l'Italie ont extrêmement peur des droits de douane de 30 %. Donc ils se contentent de 15 %. La France, qui est moins dépendante des exportations vers Washington, adopte une ligne beaucoup plus dure", note David Cayla, selon qui l'accord vient contrarier les dynamiques que Paris voulait insuffler au sein de l'UE.

Ces cartes que l'UE n'a pas jouées

Selon les annonces de Donald Trump, l'Union européenne s'engage à des achats massifs de matériel militaire aux États-Unis alors qu'Emmanuel Macron plaide en faveur d'une "autonomie stratégique" et d'une "Europe de la défense".

"La France voulait également que l'on se passe du gaz au maximum au profit de la production d'électricité avec un projet de relance du nucléaire. Une nouvelle fois, comme sur le Mercosur, on s'aperçoit que la ligne de la France n'est jamais celle qui gagne", estime l'économiste.

Si l'UE a refusé le combat face à Donald Trump, elle avait pourtant de sérieux atouts dans sa manche. Au-delà d'imposer des taxes réciproques sur les biens américains, l'UE aurait pu brandir la menace d’une taxe sur les revenus publicitaires des géants du numérique. Bruxelles avait évoqué en avril cette possibilité en cas d'échec des négociations avec Washington.

"On pouvait aussi répliquer en organisant une taxation plus élevée des entreprises américaines. On aurait également pu interdire à certaines sociétés de postuler à des appels d'offres en Europe. Par ailleurs, les États-Unis sont très dépendants de l'épargne européenne qui finance en partie l'investissement américain. Même si on ne peut pas empêcher les mouvements de capitaux, on aurait pu réfléchir à des mécanismes pour conserver cette épargne dans l'UE", détaille David Cayla. 

"Cet accord crée aussi une incertitude autour du projet européen et de ses ambitions écologiques et de réglementation du numérique. Avant Trump, il y avait une stratégie européenne, mais elle est en train de se disloquer sous nos yeux. On admet que les États-Unis sont plus forts, ce qui est en soi un problème", assure l'économiste.

Selon des diplomates, des enjeux géopolitiques pourraient aussi avoir pesé dans la balance, en particulier les craintes entourant l'arrêt des livraisons d'armes américaines à l'Ukraine et plus généralement de la dépendance de l'Europe à l'égard de la garantie de sécurité américaine.

Les détails de l'accord doivent être réglés "dans les prochaines semaines", a indiqué Ursula von der Leyen. Le texte devra ensuite être validé par le Parlement et le Conseil de l'Europe, c'est-à-dire les États membres. Seule une majorité qualifiée est toutefois requise, rendant l'adoption du "plus grand “deal” jamais passé" quasiment actée.

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