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Pourquoi les États-Unis réactivent une base militaire abandonnée depuis 20 ans à Porto Rico

Source: France 24::
© Ricardo Arduengo, Reuters
© Ricardo Arduengo, Reuters

Le renforcement de la présence militaire des États-Unis au large du Venezuela passe en grande partie par la base navale de Roosevelt Roads, sur le territoire de Porto Rico, a révélé une enquête de Reuters publiée dimanche. Jadis l’un des fleurons de l’armée américaine, cette base était abandonnée depuis 20 ans.

 

Elle revient à la vie à la faveur de l’escalade des tensions entre les États-Unis de Donald Trump et le Venezuela de Nicolas Maduro. Abandonnée depuis plus de 20 ans, l’une des plus grandes bases militaires navales au monde, située sur l’île de Porto Rico, semble reprendre rapidement du service, a découvert Reuters dans une enquête publiée dimanche 2 novembre sur le déploiement militaire américain dans les Caraïbes.

La base américaine de Roosevelt Roads, implantée dans le sud de l’île de Porto Rico et toujours officiellement fermée depuis 2004, apparaît comme la pièce centrale de ce que Reuters a qualifié de "plus important renforcement de présence militaire dans la région depuis 1994, lorsque les États-Unis ont envoyé plus de 20 000 soldats à Haïti dans le cadre de l’opération 'Uphold Democracy'".

Hélicoptères, F-35, avions de transport de troupe...

Cette fois-ci, ce sont des chasseurs F-35, des hélicoptères militaires et d’imposants avions de transport de troupes que Washington a déployés sur ce site situé à 850 km au nord de Caracas. En parallèle – et ce depuis août 2025 –, l’armée a entrepris de rénover la piste d’atterrissage et d’aménager des infrastructures autour de cette base qui, à son apogée, était considérée comme "un élément central de la projection de force des États-Unis dans la région d’Amérique latine", assure Basil Germond, spécialiste des questions de sécurité internationale et maritime à l’université de Lancastre.

Les États-Unis veulent-ils renverser le président du Venezuela, Nicolas Maduro ? © France 24

La base de Roosevelt Roads, surnommée "Rosy Roads", a vu le jour durant la Seconde Guerre mondiale, et "elle était conçue pour être une alternative à Pearl Harbor, côté Atlantique", explique Amalendu Misra, spécialiste des questions de sécurité en Amérique latine et en Asie à l’université de Lancastre.

Elle a été nommée ainsi en l'honneur du président américain Franklin Delano Roosevelt, le premier à évoquer la possibilité, dès 1919, de faire de Porto Rico la gardienne des Caraïbes en y construisant des installations militaires.

Durant la Seconde Guerre mondiale, son importance était telle que la base était censée devenir le port d’attache pour la marine britannique au cas où l’Allemagne nazie réussirait à envahir le Royaume-Uni.

"Rosy Roads" a continué à jouer un rôle primordial, aérien et maritime, durant la Guerre froide, à la fois pour garder un œil sur Cuba et pour contrer toute tentative soviétique de gagner en influence en Amérique latine.

Le tournant de la guerre contre le terrorisme

Les États-Unis ont développé cette base jusqu’à lui faire atteindre une taille de 35 km2 avec plus de 160 kilomètres de routes intérieures. "Rosy Roads" abrite aussi une piste d’atterrissage longue d’environ 3 350 mètres, adaptée aux plus gros transporteurs civils et militaires.

 

La localisation de la base de Roosevelt Roads sur l'île de Porto Rico.
© Studio graphique France Médias Monde
 

 

La base navale comprend un port en eau profonde, où peuvent accoster aussi bien des cargos commerciaux et des navires de guerre de surface que des sous-marins. "Elle était aussi fondamentale pour protéger le transport commercial qui transite par le canal de Panama", précise Amalendu Misra.

Tout a changé au début des années 2000 avec la guerre contre le terrorisme. "La fin de la Guerre froide et l’importance grandissante du Moyen-Orient et de la lutte contre les insurrections d’acteurs non étatiques ont rendu cette base moins importante d’un point de vue militaire et géopolitique", assure Basil Germond.

En outre, cette base "a toujours été un point de friction avec la population locale à Porto Rico [qui a un statut de territoire non incorporé des États-Unis, NDLR]. Bénéficiant déjà d’une souveraineté précaire, l’île voit avec circonspection cette présence militaire américaine", souligne Amalendu Misra. Même si les autorités portoricaines ont reconnu que la base avait également joué un rôle de moteur économique pour la partie sud de l’île.

La base "coûtait 400 millions de dollars par an à entretenir", souligne Klaus Dodds, chercheur en géopolitique à l’université Royal Holloway de Londres. Les bonnes raisons de fermer ce site ne manquaient donc pas – et c’est ce qui s’est passé en mars 2004.

Maduro mais pas que

Plus de 21 ans plus tard, Washington semble donc redécouvrir tout l’intérêt d’avoir une présence physique dans les Caraïbes. "Il y a bien la base navale de Guantanamo, mais elle est bien plus petite", souligne Amalendu Misra.

L’intérêt principal de rallumer les lumières à "Rosy Roads" est "d’envoyer ce signal clair à Nicolas Maduro que les États-Unis disposent des infrastructures nécessaires pour accentuer la surveillance du pays et la capacité d’intervenir contre le narcotrafic", résume Klaus Dodds.

Cette rénovation de la base navale intervient aussi alors que Washington intensifie sa coopération avec l’archipel de Trinité-et-Tobago, qui offre un autre point d’appui stratégique à l’armée américaine au large du Venezuela.

Mais "Rosy Roads" ne renaît pas de ses cendres uniquement pour satisfaire l’obsession trumpienne pour Nicolas Maduro. "À plus long terme, c’est une décision stratégique pour contrer l’influence grandissante de la Chine en Amérique latine", assure Basil Germond.

Pour cet expert, "cela fait 20 ans que l’Amérique latine ne fait plus partie des principales priorités de Washington car depuis la fin de la Guerre froide, les États-Unis ont l’impression qu’il n’y a plus de menace dans cette région. Mais la Chine, et la Russie dans une moindre mesure, en ont profité, que ce soit au Venezuela, au Nicaragua ou encore au Pérou."

Résultat : Donald Trump, poussé par son très interventionniste secrétaire d’État Marco Rubio, rêve d’une nouvelle "Pax Americana" dans la région, assurent les experts interrogés par France 24. Une sorte de doctrine Monroe à la sauce trumpienne "qui nécessite une présence physique plus importante que seulement la base de Guantanamo", conclut Amalendu Misra.

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