Par Julien Boitel
En pleine polémique avec l'ouverture mercredi de son premier magasin physique en France, au Bazar de l'Hôtel de Ville (BHV) de Paris, Shein se trouve désormais au coeur d'un scandale. La répression des fraudes (DGCCRF) a signalé à la justice la plateforme d'e-commerce chinoise pour commercialisation de poupées sexuelles à caractère pédopornographique.
L'image et le descriptif repris par « Le Parisien » dans un article ne laissent pas de doute sur l'usage de cette poupée de 80 cm aux traits de fillette tenant un ours en peluche dans les bras. « Ces objets horribles sont illégaux », a réagi lundi matin sur BFMTV et RMC le ministre de l'Economie, Roland Lescure. « Si ces comportements sont répétés, nous serons en droit, et je le demanderai, qu'on interdise l'accès de la plateforme Shein au marché français », a-t-il déclaré, annonçant qu'« il y aura une enquête judiciaire ».
« Pour des actes terroristes, pour le trafic de stupéfiants et pour des objets pédopornographiques, le gouvernement est en droit de demander l'interdiction de l'accès au marché français », « si on a des comportements répétés ou si les objets en question ne sont pas retirés dans les 24 heures », a-t-il précisé.
Interdiction difficile à mettre en place
Si les contenus n'ont pas été retirés dans ce délai, les autorités peuvent saisir les fournisseurs d'accès à Internet (Free, Orange, SFR..) ainsi que les moteurs de recherche, pour faire bloquer et déréférencer le site. C'est ce qui s'était passé avec la plateforme américaine Wish en 2021, qui vendaient des produits non conformes. Roland Lescure a toutefois reconnu que la loi française pouvait être contournée par le recours à un système de type VPN. « La France n'a pas les moyens de lutter contre ça à ce stade », a-t-il concédé.
La DGCCRF avait annoncé samedi qu'elle avait constaté la vente de ces produits vendredi. Ces faits ont été signalés « immédiatement » au parquet de Paris, ainsi qu'au régulateur de la communication audiovisuelle et numérique, l'Arcom. « Ces signalements portent sur un site et une marque Shein pour lesquels des pratiques commerciales trompeuses et des allégations mensongères ainsi que plusieurs non-conformités ont déjà été largement constatées et sanctionnées précédemment », souligne le communiqué.
La répression des fraudes signale également l'absence de « mesure de filtrage » empêchant « efficacement » l'accès pour les mineurs à des contenus commercialisant des poupées sexuelles d'apparence adulte. Un manquement passible d'une peine allant jusqu'à trois ans de prison et 75.000 euros d'amende. La répression des fraudes rappelle que « la diffusion, via un réseau de communications électroniques, de représentations à caractère pédopornographique, est passible de peines pouvant aller jusqu'à 7 ans d'emprisonnement et 100.000 euros d'amende ».
D'autres cas
La haute-commissaire à l'Enfance, Sarah El Haïry, a indiqué sur Franceinfo avoir « été alertés sur d'autres cas » que Shein. Elle a annoncé avoir « engagé des contrôles plus larges » et « des procédures sur les autres plateformes ». Le site chinois AliExpress proposait en effet aussi des produits similaires à la vente qui ont été retirés de son site, ont constaté RMC et Franceinfo.
« Une plateforme qui accepte de commercialiser ces objets est d'une certaine manière complice », a souligné la haute-commissaire. Je veux comprendre qui a autorisé la vente de ces objets, quels sont les processus qui ont été mis en place, pour que ça ne se reproduise pas, (et) qui sont les fournisseurs parce qu'il y a bien des gens qui produisent ces poupées absolument ignobles ».
Sarah El Haïry souhaite aussi que les plateformes transmettent des « informations » sur les acheteurs, « ce qui nous permettra de pouvoir lancer un certain nombre de contrôles et voir s'il y a des enfants qui sont en danger », a-t-elle ajouté sur BFMTV. Ces poupées « sont des objets pédocriminels sur lesquels des prédateurs s'entraînent, malheureusement, parfois avant de passer à des sévices sur des enfants ».
Le Syndicat des Indépendants et des TPE (SDI) a dénoncé, de son côté, cette « nouvelle dérive et exige des sanctions immédiates. Les plateformes concernées portent une responsabilité directe et ne peuvent plus se cacher derrière leurs vendeurs tiers ».
Shein au BHV, « c'est de la provoc »
Shein a rapidement réagi. Le géant chinois a indiqué que les articles avaient été retirés de la plateforme et qu'une « enquête » interne était en cours. La plateforme, présente en France depuis 2015 et régulièrement accusée de concurrence déloyale, de pollution environnementale ou de conditions de travail indignes, fait face à de nombreuses critiques ces dernières semaines.
L'ouverture mercredi de son tout premier magasin physique pérenne au BHV, historique grand magasin de Paris, dans un espace de plus de 1.000 m², suscite un tollé. « Je suis passé rue de Rivoli ce week-end, et j'ai vu les oriflammes de Shein tout au long de la devanture » : « c'est de la provoc », a jugé Roland Lescure.
Dominique Schelcher, le PDG de Coopérative U, a dit espérer sur X que « la découverte de poupées à caractère pédopornographique sur le site Shein par la DGCCRF va conduire à la FERMETURE en bonne et due forme du site par les autorités au plus vite ». Il a appelé le BHV à renoncer à ce projet.