Chanel défile dans le métro new-yorkais pour sa collection Métiers d'art

Par Nicole Phelps

Parfois, New York peut oppresser, écraser. Il pleut sans cesse, la circulation est paralysée sur des pâtés de maisons entiers, les trains accumulent les retards. Puis un miracle se produit, et l'on retombe amoureux de la ville comme au premier jour. Aujourd'hui, ce miracle s'appelait le défilé Métiers d'art de Matthieu Blazy pour Chanel.

Une collection spectaculaire

Les attentes étaient vertigineuses pour la seconde collection du créateur. La première, présentée exactement deux mois plus tôt à Paris, avait été saluée comme le meilleur début, ce qui n'a rien d'anodin alors qu’une douzaine d'autres créateurs inaugureront leur première collection cette saison. Mais Matthieu Blazy a non seulement répondu à toutes les attentes, il les a dépassées avec un défilé que l'on pourrait résumer, sans risque d'exagération, comme éblouissant.

En mai 2006, Karl Lagerfeld avait orchestré le tout premier défilé itinérant de la maison, installé sur une mezzanine dominant la grande nef de Grand Central Terminal, posant les bases d'un rituel que Chanel allait répéter pendant près de vingt ans, jusqu'au dernier Métiers d'art du créateur, en décembre 2018, au Temple de Dendur du Met. Cette année, le défilé a eu lieu dans la station désaffectée de Bowery, sur les lignes J et Z, entièrement relookée pour l'occasion : enceintes diffusant des bruitages de métro, cabines téléphoniques à l'ancienne, trois rangées de bancs construits sur un pan de rails. Inutile de préciser que rares furent les invités, parés de Chanel, à emprunter le métro pour s'y rendre.

Après une attente, disons-le, un peu longue, les lumières se sont éteintes et une rame de la MTA a réellement pénétré dans la station : un moment de pure sidération. Les portes se sont ouvertes et quelque quatre-vingts mannequins ont déferlé sur le quai, se croisant dans ce que Matthieu Blazy a décrit comme une atmosphère de joyeux chaos. “Je m'intéressais au métro new-yorkais parce que je crois que c'est la seule ville au monde où toutes les strates de la société l'utilisent”, explique Matthieu Blazy, qui a passé plusieurs années ici lorsqu'il travaillait pour Calvin Klein, “et je crois que c'est un lieu sans hiérarchie.”

Une ode à New York

Chaque silhouette incarnait un archétype new-yorkais : l'étudiante en jean (un jean qui n'en était pas un, mais de la soie travaillée par Lesage, l'un des ateliers virtuoses du hub 19M) filait à vive allure, tandis qu'une grande dame de la haute société, drapée d'une immense cape d'opéra noire, arrivait en sens inverse. Matthieu Blazy évoquait “une journaliste des années 70” et “une femme d'affaires des années 80, prête à conquérir le monde”. Une Coco Chanel en devenir portait une robe frangée façon flapper, un tailleur jaune taxi tacheté d'imprimé animal semblait taillé pour son ombre. Plus loin, un clin d'œil au film Cette nuit ou jamais (1931) dont la fondatrice de la maison avait réalisé les costumes, prenait la forme d’un manteau en tweed, tandis qu'une chemise à carreaux oversized (qui n'était pas une flanelle mais un bouclé) rappelait subtilement la première collection de Matthieu Blazy. Quant à ces retrievers brodés sur une robe du soir scintillante ? “Parce qu'à New York, vous avez deux accessoires essentiels, dit-il. Un chien et un gobelet rempli de café.”

L'énergie électrique de la collection venait autant de sa diversité très réelle que de l'opulence des savoir-faire : perles de Lesage, plumes de Lemarié. En un temps record, le créateur a remplacé les emblématiques doubles C omniprésents d'antan par quelque chose de toujours reconnaissable, et bien sûr tout aussi désirable, mais infiniment moins uniforme. Du Chanel pour tout le monde ? L'idée a une belle résonance, et l'on peut rêver. Mais je doute avoir été la seule à repartir avec une sorte d'euphorie flottante. Dans exactement deux mois, l'infatigable Matthieu Blazy dévoilera sa prochaine collection pour la maison : la haute couture.

Article publié initialement sur Vogue Runway