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Comprendre,Des poupées érotiques qui suscitent l’indignation… et bien des questions

Source: Radio Canada
Des poupées sexuelles d’apparence enfantine ont été mises en vente sur le site de mode jetable ultra-éphémère Shein en France avant d’être retirées de la plateforme.  Photo : Getty Images / AFP / ISABELLE SOURIMENT
Des poupées sexuelles d’apparence enfantine ont été mises en vente sur le site de mode jetable ultra-éphémère Shein en France avant d’être retirées de la plateforme. Photo : Getty Images / AFP / ISABELLE SOURIMENT

Des poupées sexuelles d’apparence enfantine ont récemment été mises en vente sur le site web du géant de la mode éphémère Shein en France, avant de faire scandale et d’être retirées de la plateforme. Avec la mondialisation des échanges, cette controverse aux ramifications diverses en dit beaucoup sur la capacité ou non des autorités à réagir. Décryptage.

De quoi parle-t-on exactement?

Selon le quotidien Le Parisien, les poupées de 80 centimètres, vendues à 300 $ l’unité, étaient décrites dans l’annonce comme des jouets de masturbation masculine avec corps érotique et vrais vagin et anus.

L’affaire a rebondi jusqu’à l’Assemblée nationale française. On voit avec ces poupées que la pédocriminalité est banale : un autre bien bas de gamme à vendre, à côté de pantalons et de t-shirts, offre aux pédocriminels une occasion de s’entraîner tranquillement chez eux avant de passer à l’acte sur des enfants, a déclaré le député écologiste Arnaud Bonnet, qui a demandé au gouvernement d’agir.

Shein a depuis affirmé avoir supprimé toutes les annonces de poupées sexuelles et avoir temporairement déréférencé sa catégorie produits pour adultes. L’entreprise a ouvert une enquête interne pour établir comment ces annonces ont pu contourner les dispositifs de contrôle de la plateforme.

Mais le problème n'est pas propre à la plateforme chinoise basée à Singapour. Selon le média français RTL, d'autres plateformes comme AliExpress, Temu et Wish sont dans la mire des autorités françaises qui enquêtent sur la diffusion d'un message violent, pornographique ou contraire à la dignité, accessible à un mineur.

Les logos des marques Temu et Shein.

Le géant de la mode éphémère Shein n'est pas le seul à être épinglé en France, puisque Temu, AliExpress et Wish font aussi l'objet d'une enquête. Photo : Reuters / Dado Ruvic/Ilustrasyon

Par ailleurs, en 2022, la justice française avait déjà condamné à trois ans de prison avec sursis un homme qui avait acheté une poupée sexuelle au corps d’enfant sur le site d'Amazon.

Que dit la loi?

En France, l’article 227-23 du Code criminel précise que la représentation d'un mineur, lorsque cette image ou cette représentation présente un caractère pornographique, est punie de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende (environ 112 000 $ CA).

Mais ce n’est pas tout. La diffusion, par un réseau de communications électroniques, de représentations à caractère pédopornographique est passible de peines pouvant aller jusqu'à sept ans d'emprisonnement et 100 000 euros d'amende (environ 150 000 $ CA), ont déclaré mercredi les autorités françaises.

Les spécialistes ne s’entendent toutefois pas totalement quant à savoir si la loi s’applique à la vente de poupées érotiques, qui sont des objets et non pas l’image ou la représentation d’une vraie personne mineure.

Cette situation n’est pas propre à la France.

Le palais de justice de Québec.

Au Québec, en 2020, un ex-avocat qui avait importé une poupée érotique de petite taille avait été acquitté des accusations liées à la pornographie juvénile qui pesaient contre lui. (Photo d'archives). Photo : Radio-Canada / Nicolas Perron-Drolet

Au Québec, en 2020, un ex-avocat qui avait importé une poupée érotique de petite taille avait été acquitté des accusations liées à la pornographie juvénile qui pesaient contre lui. Le juge n’était pas convaincu que l’accusé voulait bel et bien commander une poupée représentant une enfant. Le mot teen qui avait été utilisé lors de la recherche représente généralement des personnes de 18 à 24 ans dans le contexte pornographique, avait notamment invoqué la défense.

La poupée a néanmoins été jugée comme étant de la pornographie juvénile et l’objet a été saisi.

En France, l’autre aspect qui fait débat concerne la responsabilité des plateformes de vente en ligne qui proposent ce genre de produits. En effet, la loi prévoit que cette infraction est punie de dix ans d'emprisonnement et de 500 000 euros (environ 750 000 $ CA) d'amende lorsqu'elle est commise en bande organisée. Certains juristes croient que les plateformes de type Shein ou Amazon tombent sous cette définition.

Ces dernières pourraient aussi devoir fournir aux autorités françaises les fichiers des acheteurs de ces poupées.


Que font ces plateformes?

Les plateformes comme Shein, Temu ou AliExpress se spécialisent dans la vente en ligne de produits à des prix souvent imbattables, mais si les photos sont belles, les produits sont de très mauvaise qualité, résume Jean-Luc Geha, professeur et directeur associé de l'Institut de la vente à HEC Montréal.

Shein, comme les autres plateformes, fabrique très peu des produits qu’elle commercialise. Soit elle fait appel à des sous-traitants, soit elle sert uniquement d’intermédiaire à des fabricants qui utilisent la plateforme Shein pour faire connaître et distribuer leurs propres produits.

Cela pourrait-il expliquer le fait que des produits comme les poupées érotiques aient pu se retrouver en ligne à l’insu des responsables de ces plateformes? M. Geha ne peut se prononcer sur ce cas précis ni sur le rôle que devraient jouer les autorités pour réguler ce marché.

Dans l’affaire des poupées sexuelles, le porte-parole de Shein France a tenu à différencier la marque qui vend des vêtements et la market place, où Shein est un intermédiaire entre le vendeur et l’acheteur. Les activités de cette dernière ont été désactivées par l'entreprise.

En entrevue avec le quotidien Le Parisien, Shein a évoqué un dysfonctionnement interne dans notre process et notre gouvernance et a promis de mettre en place les garde-fous nécessaires pour que ça n’arrive plus.

Roland Lescure à l'Assemblée nationale.

Le ministre Roland Lescure. (Photo d'archives). Photo : Getty Images / AFP / Christophe Archambault

Si ces comportements venaient à se reproduire, notre main ne tremblerait pas : nous demanderions aux fournisseurs d’accès à Internet de couper tout accès de ces plateformes au marché français, a menacé mardi le ministre français de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle, Roland Lescure.

Mercredi, le premier ministre, Sébastien Lecornu, a annoncé engager une procédure de suspension en France de la plateforme numérique du distributeur asiatique, le temps que cette dernière se conforme aux lois du pays.

Le professeur de HEC Montréal Jean-Luc Geha croit toutefois que les consommateurs, en tant que groupe, ont un bien plus grand pouvoir, car s’ils décidaient massivement de ne plus acheter sur ce type de plateformes afin de protester, ils les amèneraient à revoir leur modèle d’affaires.

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