De notre correspondant à Abidjan – Appâtés par un emploi au salaire attractif, ils pensaient immigrer au Nigeria, mais ils ont été victimes d’un réseau de traite de personnes au fonctionnement pyramidal. Neuf Ivoiriens ont pu s’échapper mais une trentaine d’autres - dont une dizaine de jeunes femmes - sont restées sur place.
Neuf Ivoiriens, détenus dans une maison au Nigeria “dans des conditions intenables” - comme l’a souligné Gaoussou Karamoko, le directeur général des Ivoiriens de l’Extérieur (ministère des Affaires étrangères) - ont pu s’échapper grâce à l’aide de leur ambassade à Abuja.
Victimes d’un réseau de traite d’êtres humains au fonctionnement pyramidal au Nigeria, ils ont été rapatriés à Abidjan, alors qu’une trentaine d’autres - dont une dizaine de jeunes femmes - sont restées sur place.
“C’est un ami qui m’a contacté pour me parler d’une opportunité à Abuja. Comme je le connais bien, je lui ai fait confiance,” nous explique, en ce mercredi 5 février, Mamadou Bora, 25 ans, dans le jardin de la Direction générale des Ivoiriens de l’Extérieur (DGIE) où lui et ses huit compagnons d’infortune ont été accueillis à leur retour.
La promesse d’un salaire de 350 000 francs CFA (550 euros), quatre fois plus que son salaire ivoirien, termine de le convaincre. À son arrivée, premier revers : son ami et ceux qui se présentent comme ses futurs patrons lui demandent 500 000 CFA (850 euros) pour régler des formalités administratives et payer plusieurs mois de loyer d’avance. Il fait alors une première fois appel à ses parents, qui réunissent difficilement la somme.
“Une arnaque comme Qnet”
Une fois la somme versée, c’est la douche froide. Non seulement, il n’obtient aucun permis de travail pour le Nigeria, mais son passeport et son téléphone lui sont confisqués.
Il comprend qu’il est victime d’une arnaque “comme Qnet”. Cette entreprise de commerce en ligne multiniveau, au marketing léché, est en réalité une pyramide de Ponzi, interdite par le gouvernement ivoirien en 2020. Le réseau d’Abuja s’inspire notamment de ses formations en “marketing”, où ils promeuvent un “changement de paradigme” et la valorisation du “cercle d'influence”.
Comprendre : “un lavage de cerveau où ils essayent de nous convaincre qu’on s'enrichira si on arnaque nos proches,” explique Mamadou Bora.
Détenu dans une maison de trois pièces, une quarantaine d’Ivoiriens sous-alimentés “travaillent” toute la journée avec deux objectifs : attirer des proches au Nigeria, dans le but de leur extorquer ensuite 500 à 800 000 francs CFA (850 à 1 200 euros) pour des formalités administratives fictives, ou convaincre leur parents de payer 2 millions de francs CFA (3 000 euros) pour financer un départ, fictif lui aussi, vers le Canada ou l’Europe. Le principe est simple : miser sur la confiance de l’entourage, et l’espoir d’un enrichissement rapide suscité par un départ à l’étranger - a fortiori en Occident.
Avec l’aide d’une application mobile, les “patrons” fournissent de fausses preuves. “Eux, ils ont tous les documents : Maroc, Italie, Canada. Tout ce qu’il faut pour convaincre tes parents que tu vas partir”, nous raconte, visiblement épuisé et les yeux mi-clos, Ibrahim Coulibaly, une autre victime.
Une fois que la somme a été versée, les détenus doivent couper les ponts avec leurs familles, qui les croient arrivés à destination.
Surveillance et privation de nourriture
“La vie là-bas, c’était très difficile. On mangeait une seule fois par jour, trois cuillères de gari (une semoule de manioc). Pendant un mois, tu peux ne pas aller à la selle. Tout ce qu’ils nous disent, on est obligés d’accepter. On était tout le temps surveillés” explique Ibrahim Coulibaly. D’autant que la maison est entourée d’une clôture surmontée d’un barbelé, et que la barrière de la langue représente un obstacle de plus pour les victimes, toutes francophones, qui ne connaissent personne au Nigeria.
Après deux mois sur place, et une tentative infructueuse de négociation avec les chefs pour quitter “le business”, le jeune homme est désespéré - “prêt à mourir” pour s’échapper. Un soir, il réussit à tromper la vigilance de ses bourreaux et escalade la clôture. Après 24 heures d’errance dans les rues d’Abuja, il tombe sur des policiers nigérians qui le conduisent à l’ambassade ivoirienne. Une opération est montée avec sa sécurité privée pour libérer les détenus.
“Beaucoup ont honte”
“Cela faisait plusieurs fois que l’ambassade nous alertait sur ce type de trafic,” rappelle Gaoussou Karamoko de la DGIE. Plusieurs mois auparavant, une jeune fille avait réussi à s’échapper, mais elle n’était pas parvenue à indiquer la localisation de son lieu de détention. Sur les 38 personnes détenues au moment de l’opération de l’ambassade, seuls 10 hommes ont accepté d’être rapatriés.
“Beaucoup ont honte, ils ont demandé énormément d’argent à leur famille. Les patrons te faisaient insulter tes parents quand ils refusaient de donner de l’argent,” explique Mamadou Borra.
Il y a aussi un “lavage de cerveau” justifie Ibrahim Coulibaly. “Certains espèrent gagner de l’argent.”
Mamadou Bora et Ibrahim Coulibaly, respectivement restés un et deux mois dans la maison, ont affirmé n’avoir pourtant perçu aucune rémunération, alors qu’ils ont chacun - malgré eux - recruté et extorqué de l’argent à une personne de leur “cercle d’influence”.
“Plus on alimente le piège, plus on devient un chef dans le groupe,” a affirmé de son côté le directeur général de la DGIE, qui espère que la collaboration avec les autorités nigérianes permettra de démanteler le réseau et de rapatrier un maximum de ses compatriotes. “Tant qu’il y a de la migration, il y aura des réseaux de trafic de personnes. Ce n’est pas une exception. Même si son ampleur interpelle.”
D’après les victimes, ce même réseau a eu des antennes à Lagos au Nigeria, et à Takoradi au Ghana. Certains des hommes de retour en Côte d’Ivoire ont transité dans plusieurs de ces maisons. Une source sécuritaire explique que ce modèle a aussi visé des victimes d’autres nationalités ouest-africaines : une trentaine de Burkinabè et autant de Maliens ont aussi pu être exfiltrés par leurs ambassades.
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