Désigné en juin par son parti pour briguer un quatrième mandat, Alassane Ouattara faisait durer le suspens depuis plusieurs semaines. Il a finalement annoncé mardi sa candidature à la présidentielle d'octobre 2025. À la tête du pays depuis 2011, cet ancien haut fonctionnaire international est à la fois salué pour ses réussites économiques et critiqué pour sa gestion du pouvoir, qualifiée d’autoritaire par ses détracteurs.
Sa candidature à la présidentielle du 25 octobre prochain apparaissait inévitable, face à une opposition affaiblie, minée par l’exclusion de plusieurs de ses figures emblématiques. À 83 ans, dont 14 passées à la tête de la Côte d’Ivoire, Alassane Ouattara, pilier incontesté du parti présidentiel, le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP), a annoncé mardi 29 juillet sa candidature à un quatrième mandat présidentiel.
Au sein de sa formation politique, qui l’a reconduit à la présidence en juin, il fait office de candidat naturel, tandis que ses opposants dénoncent un verrouillage du jeu démocratique et l’élimination politique de ses principaux adversaires.
Une carrière internationale avant la politique ivoirienne
Né en 1942 à Dimbokro, dans le centre de la Côte d’Ivoire, Alassane Ouattara appartient à l’ethnie malinkée, majoritairement musulmane, et effectue une grande partie de sa scolarité en Haute-Volta (actuel Burkina Faso). Titulaire d’un doctorat en économie obtenu aux États-Unis, il connaît une brillante carrière internationale : économiste au Fonds monétaire international (FMI) dans les années 1970, il en gravit les échelons pour devenir le directeur général adjoint entre 1994 et 1999. Il dirige aussi la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO).
En 1990, alors que la Côte d’Ivoire est confrontée à une grave crise économique, il est rappelé au pays par le président Houphouët-Boigny, le père de l’indépendance, pour occuper le poste de Premier ministre. Son style technocratique tranche avec la classe politique ivoirienne de l’époque. Il est rapidement perçu par certains comme un homme de l’extérieur.
L’ombre de l’"ivoirité" et les années de crise
À la mort de Félix Houphouët-Boigny en 1993, la succession politique plonge le pays dans l’instabilité. La nationalité d’Alassane Ouattara est alors contestée par les partisans de l’idéologie de "l’ivoirité", une doctrine xénophobe visant à exclure les candidats supposément "non originaires" de Côte d’Ivoire. En 2000, sa candidature à la présidentielle est invalidée pour "nationalité douteuse" en raison de ses prétendues origines burkinabè, ce qui alimente la polarisation politique.
Deux ans plus tard, en 2002, une rébellion éclate dans le nord du pays, en grande partie dirigée par des partisans de celui que l’on nomme communément ADO (Alassane Dramane Ouattara). La Côte d’Ivoire est alors coupée en deux pendant près d’une décennie, entre un Nord rebelle et un Sud contrôlé par Laurent Gbagbo, président en exercice.
La crise atteint son paroxysme après l’élection présidentielle de 2010. Cette fois-ci autorisé à se présenter, Alassane Ouattara est proclamé vainqueur par la commission électorale. Mais le Conseil constitutionnel invalide une partie des résultats et annonce la victoire de Laurent Gbagbo ; une décision contestée par l'ONU et la communauté internationale. Le pays plonge alors dans une violente crise post-électorale qui fera plus de 3 000 morts. L’intervention militaire conjointe des forces pro-Ouattara et de l'Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (Onuci), appuyée par la France, aboutit à l’arrestation de Laurent Gbagbo en avril 2011.
Croissance économique, infrastructures… mais aussi inégalités
Une fois au pouvoir, Alassane Ouattara engage une profonde transformation économique. Sous son impulsion, la Côte d’Ivoire devient l’un des champions de la croissance africaine, avec des taux avoisinant ou dépassant 7 % par an. Le pays investit massivement dans les infrastructures : routes, ponts, électrification rurale, ports, stades… et se maintient comme premier producteur mondial de cacao.
Mais ce tableau a ses zones d’ombre. La corruption persiste, les inégalités sociales se creusent, et les secteurs de la santé et de l’éducation restent sous-financés. La dette publique, en constante augmentation, approche aujourd’hui les 60 % du PIB, un niveau jugé excessif par l'opposition, bien qu’elle demeure en-dessous des seuils d’alerte.
Un poids lourd sur la scène régionale
Sur le plan international, Alassane Ouattara conserve une stature de technocrate respecté et de médiateur régional, notamment au sein de la Cédéao. En 2024, la Coupe d’Afrique des nations (CAN) organisée en Côte d’Ivoire et remportée par les Éléphants est considérée comme un succès diplomatique et logistique, qui renforce l’image du pays.
Mais la stabilité régionale reste fragile. Le Sahel s’enfonce dans la violence jihadiste, et la Côte d’Ivoire doit cohabiter avec des régimes militaires hostiles au nord, notamment au Burkina Faso. Pour l’heure, le pays a réussi à endiguer les incursions terroristes grâce à une politique sécuritaire proactive.
Un pouvoir consolidé mais critiqué
Malgré un retour à la paix relative, la vie politique intérieure est marquée par une concentration du pouvoir exécutif. Les manifestations sont rarement autorisées et les poursuites judiciaires contre des figures de l’opposition entretiennent le sentiment d’un régime de plus en plus autoritaire.
En 2021, après près de dix ans de détention pour quatre chefs de crime contre l'humanité, Laurent Gbagbo, définitivement acquitté par la Cour pénale internationale, est autorisé à rentrer au pays. Il est gracié peu après, dans un geste de réconciliation politique. Mais sa marginalisation dans le jeu électoral, par des décisions administratives et judiciaires, laisse peu de place à une alternance réelle.
"Si on empêche les autres de lutter pour le pouvoir, ce n’est plus une démocratie", déplore Laurent Gbagbo, toujours exclu de la course présidentielle.
Vers un quatrième mandat
Alassane Ouattara a été réélu en 2015 avec 83 % des voix puis en 2020 avec plus de 94 %, à la faveur d’une révision contestée de la Constitution lui permettant de briguer un troisième mandat. Ce dernier scrutin a été entaché de violences, qui ont fait 85 morts.
À l’époque, le président avait annoncé vouloir passer la main, mais la mort soudaine de son dauphin désigné, Amadou Gon Coulibaly, avait changé la donne. "Ce n’est pas un mandat que j’aurais souhaité faire, je le fais par obligation citoyenne. Cela permettra de former une nouvelle équipe qui prendra la suite le plus rapidement possible", avait-il alors déclaré à France 24.
Depuis, il avait affirmé avoir "une demi-douzaine de successeurs potentiels", mais donné peu de signes d’un vrai passage de témoin. "Je suis en pleine santé et désireux de continuer de servir mon pays", déclarait-il en janvier, à l’occasion de ses vœux au corps diplomatique.
"Je suis candidat parce que la constitution de notre pays m'autorise à faire un autre mandat et ma santé le permet" a-t-il déclaré lors de son allocution mardi. Evoquant des défis sécuritaires et économiques "sans précédents", il a promis que "ce nouveau mandat" serait "celui de la transition générationnelle".
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