Lors de son premier mandat, Donald Trump n’a jamais caché son mépris pour le journalisme factuel qui remet en cause ses déclarations, au point d’appeler ces médias, des « fake news ». Aujourd’hui, le président américain donne accès à des médias alternatifs partisans et essaie de mettre les médias traditionnels à genoux.
Le président Trump est de retour et l'âge d'or de l'Amérique a très certainement commencé. Ces propos ont été tenus par Karoline Leavitt. Âgée de 27 ans, la porte-parole de la Maison-Blanche qui a fait ses débuts il y a deux semaines ne semble pas se laisser faire, surtout lorsqu’on lui expose à travers les questions pointues des journalistes, les faussetés parfois prononcées par M. Trump. Un ton autoritaire et un débit rapide qui donnent une image d’administration bien en selle, aux antipodes de sa prédécesseure, Karine Jean-Pierre, qui peinait à répondre sans ses notes aux journalistes qui la questionnaient sur les actions du président Joe Biden.
Récemment, des rumeurs avaient couru selon lesquelles Trump pourrait chercher à expulser les organisations de presse qu'il estime détester. Mais pour l'instant, l'administration n'a pas emprunté cette voie, préférant ajouter un peu de place pour de nouveaux médias.
Karoline Leavitt a vanté le fait que les journalistes de la Maison-Blanche auraient accès au président le plus transparent et le plus accessible de l'histoire américaine au cours des quatre prochaines années.
C'est parce que le président Trump a une grande histoire à raconter sur le grand renouveau américain qui est déjà en cours, a-t-elle ajouté en précisant que cette histoire serait partagée au-delà des organes de presse traditionnellement représentés dans la salle de presse. La confiance des Américains dans les médias est tombée à un niveau historiquement bas, a affirmé la porte-parole, citant un récent sondage Gallup.
Il est essentiel pour notre équipe de partager le message du président Trump partout et d'adapter la Maison-Blanche au nouveau paysage médiatique en 2025.
Une citation de Karoline Leavitt, porte-parole de la Maison-Blanche
Les sièges situés le long du mur à l'avant de la salle de presse de la Maison-Blanche seront désormais réservés aux figures des nouveaux médias.
Karoline Leavitt a également annoncé que la Maison-Blanche allait ré-accréditer 440 cartes de presse qui avaient été retirées sous l'administration Biden, ouvrant aussi l’accès à des créateurs de contenu TikTok, des blogueurs ou des baladodiffuseurs. Entendez par là de nouveaux médias dont le jupon pro-Trump peut dépasser.
Si vous produisez un contenu d'information légitime, quel que soit le support, vous serez autorisé à demander une accréditation auprès de la Maison-Blanche, a expliqué la porte-parole.
En 24 heures, le service de presse de la Maison-Blanche a reçu plus de 7 000 demandes de personnes pour obtenir une place dans la salle de presse. La Maison-Blanche a déclaré que le service de presse était enthousiasmé par l'intérêt suscité, bien que l'on ne sache pas encore comment les employés vont trier cette kyrielle de demandes.
Des allures de régime autoritaire?
Honnêtement, le premier point de presse, j'ai eu l'impression d'être dans un régime autoritaire, avec des médias de propagande, des médias d'État, a constaté Sonia Dridi, journaliste à la Maison-Blanche pour différents médias francophones, dont la RTBF (la Radio-télévision belge de la Fédération Wallonie-Bruxelles). Cette grande propagande des médias d'État, je vous promets que ça me rappelait l'Égypte, poursuit la journaliste qui a déjà travaillé comme correspondante dans ce pays arabe.
Ces médias dits nouveaux sont les premiers à poser leurs questions lors des points de presse de la Maison-Blanche. Des représentants d’Axios et de Breitbart (voir plus bas) ont donc ouvert le bal avec des questions disons molles.
Aussi, Brian Glenn, correspondant de Real America’s Voice News, a ouvert le bal lors de la prestation de Leavitt. Glenn, l'une des nombreuses vedettes des médias MAGA qui ne cache pas la haute estime qu'il porte au président, a ainsi commencé son intervention : Vous avez l'air en pleine forme, vous faites du bon travail, s'adressant à la jeune femme devant son pupitre. Ce qui a incité Leavitt à répondre en souriant : Merci!
Vous avez parlé de transparence, et certains d'entre nous dans cette salle savent à quel point le président Trump a été transparent ces cinq ou six dernières années, a-t-il poursuivi. Je pense que vous ferez de même. Mais, ma question est la suivante : pensez-vous que ce dernier incident avec le président colombien est révélateur du respect global et puissant qu'ils ont pour le président Trump qui va de l'avant, non seulement pour s'engager dans une diplomatie économique avec ces pays, mais aussi pour la paix dans le monde?
Tout le monde soutient la pluralité journalistique, mais ce n’est pas une question journalistique. Tout au plus une brosse à faire reluire une paire de chaussures.
La place des journalistes étrangers en danger
Parallèlement à cette ouverture aux voix partisanes en salle de brieffage, ma collègue Sonia Dridi, de la RTBF, avec qui j’ai eu l’occasion de participer avec les journalistes des radios publiques francophones, au balado Washington d’Ici, a eu un échantillon de la rancœur de certains républicains face aux journalistes étrangers.
Elle a posé une question à Karoline Leavitt sur la réaction du président Donald Trump à l'accident d'avion meurtrier survenu à l’aéroport Reagan, près de Washington. Comme d’habitude, elle l’a fait en anglais avec, évidemment, un accent francophone.
Marjorie Taylor Greene, la représentante de la Georgie connue pour ses coups d’éclats afin d’attirer l’attention médiatique, et par ailleurs, en couple avec… Brian Glenn, le meneur de claque pro-Trump, a alors publié ceci sur X : La porte-parole fait un travail formidable! Elle apporte la raison et le bon sens et les jette à la figure des méchants médias traditionnels. Que pensez-vous de l'accent de cette journaliste? Je pense que nous devons nous débarrasser de toute la presse étrangère! Les médias américains d'abord!
C’est un climat de plus en plus xénophobe, c’est pour mettre la préférence nationale en avant, déplore Sonia Dridi. Surtout parmi les membres du groupe de la presse étrangère, on craint vraiment depuis l'administration Trump soit de perdre notre siège ou qu’ils donnent notre siège aux "nouvelles voix médiatiques".
Elle croit qu’il n’y a plus de garde-fou ni de volonté de respecter les traditions de la Maison-Blanche, dont celle de prendre régulièrement des questions des journalistes étrangers.
Avec cette préférence pour des médias adoubés par l’administration Trump, la Maison-Blanche semble essayer de noyer les voix des véritables journalistes factuels, en donnant des questions en premier aux organes de presse et aux influenceurs de droite. Sachant que les réseaux ne diffuseront pas forcément l’entièreté du point de presse, laissant toute la place à un message positif et mettant de côté les critiques.
Au Pentagone aussi
Le Département de la Défense, mené dorénavant par Pete Hegseth dont les frasques et déboires au sein d’organismes qu’il a dirigés n’ont pas semblé alarmer les sénateurs républicains qui ont confirmé sa nomination à ce poste d’envergure, a décidé aussi de rebrasser les cartes dans la salle de presse du Pentagone.
Ainsi, les espaces réservés seront retirés à plusieurs grands médias, dont NBC News, le New York Times, NPR (National Public Radio, le réseau de radio publique américaine) et Politico. Tous doivent quitter les espaces de travail qui leur sont réservés, et seront dorénavant attribués à des médias ouvertement partisans, dont les deux suivants : Breitbart et One America News qui sont plus connus pour être des relayeurs de théories du complot de droite que pour leurs activités journalistiques.
Breitbart, par exemple, a été sélectionné comme station de radio, remplaçant NPRcette année. Il faut rappeler que Breitbart News s'est aligné sur l'alt-right, la droite populiste européenne et le mouvement identitaire nationaliste européen sous la direction de l'ancien président exécutif Steve Bannon, ancien proche conseiller de Donald Trump. Il reste que le niveau de diffusion de Breitbart est bien moindre que celui de NPR, qui, elle, assure la couverture de l'actualité pour les stations locales de tout le pays.
Quant à One America News, elle a été choisie comme chaîne de télévision, remplaçant NBC. Là encore, NBC produit certaines des émissions d'information les plus regardées du pays, alors que la lilliputienne One America est si petite qu'elle n'apparaît pas vraiment dans les sondages de mesure de l'audience par l’entreprise Nielsen.
Le troisième média conservateur invité n’est autre que le New York Post. Quant au quatrième média invité à prendre sa place, il s’agit du progressiste HuffPost. Ce média n'a pas de correspondant au Pentagone et le site n'avait même pas demandé d'espace.
Le Pentagone tient à préciser que même si les médias désignés doivent vider leurs bureaux, ils resteront des membres à part entière du corps de presse du Pentagone et continueront à bénéficier du même accès des médias au Pentagone et pourront assister et couvrir les breffages et être pris en compte pour les voyages avec les dirigeants civils et militaires du département, comme ils l'ont fait précédemment.
N’empêche, Kevin Baron, ancien vice-président de l'Association de la presse du Pentagone, a qualifié cette décision d'effacement du journalisme. Sur X, il a publié ceci : L'expulsion des journalistes nuit à la couverture médiatique, si vous ne pouvez pas publier vos articles depuis l'intérieur du bâtiment, vous êtes désavantagé, a-t-il déclaré. Si vous n'avez pas d'espace de travail, vous êtes désavantagé.
Des médias anesthésiés?
Dans ce contexte où la Maison-Blanche, Donald Trump en premier, a miné la crédibilité des médias traditionnels et met en jeu leur place dans les salles de presse, ceux-ci semblent soit rentrer dans les rangs ou faire moins de vagues pour ne pas froisser la présidence.
La méthode du « sanewashing » semble persister et les questions posées semblent polies et/ou policées, de peur de ne pas avoir le droit d’en poser d'autres plus tard. Lors de la conférence de mardi soir que certains ont décrite comme surréaliste au cours de laquelle Donald Trump proposait de prendre le contrôle de la bande Gaza et de la développer, tel un promoteur immobilier, nombreux étaient les journalistes à glousser lorsqu’ils ont entendu ces propos tenus par le président américain. Mais les questions semblaient relativement civilisées.
Ajoutez à cela, l’entente à l’amiable entre Donald Trump et ABC News de peur de perdre une bataille en cour pour diffamation — alors que ce média aurait probablement gagné — ou encore CBS News qui a baissé les bras, sous les menaces de poursuite, en soumettant la totalité d’une entrevue avec Kamala Harris pendant la campagne présidentielle parce que Donald Trump estimait que le réseau avait enjolivé son entrevue en gommant des réponses faibles de la part de la candidate démocrate à la présidentielle, et vous obtenez un amoindrissement du pouvoir de la presse américaine.
Époque singulière dirons-nous et les médias américains ne savent plus trop quoi penser ni quelle posture adopter dans cette deuxième présidence Trump…
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