Une idée de cadeau de dernière minute pour le fan de rock classique et du plus grand virtuose de la Stratocaster : paru au début de l’automne, le coffret Electric Lady Studios rassemble 38 enregistrements jusqu’alors inédits de Jimi Hendrix, réalisés entre les mois de juin et août 1970, dans le studio de ses rêves fraîchement inauguré dans un demi-sous-sol de Greenwich Village à New York. On y trouve également un documentaire sur la création du mythique Electric Lady Studios, racontée par l’ingénieur de son, acolyte de Hendrix depuis ses débuts et pionnier des technologies de l’enregistrement musical, Eddie Kramer, que Le Devoir a rencontré à son studio d’enregistrement, sur les rives du lac Ontario.
À 82 ans, Eddie Kramer a toujours le feu sacré. Il trépigne en nous faisant écouter les mix Dolby Atmos des enregistrements de Hendrix qu’il a lui-même réalisés — la prise originale comme ces nouveaux mixages rendus possibles par les progrès de la science de l’enregistrement sonore. Kramer fut par ailleurs un témoin privilégié de cette évolution, de ses débuts (sur une console à une seule piste !), en 1962, aux studios Advision, jusqu’aux multipistes numériques modernes.
« Au début de ma carrière, c’était difficile — il n’existait pas d’école pour apprendre à devenir sonorisateur et mixeur, rappelle-t-il. On apprenait le métier par immersion dans le studio, en essayant différentes manières d’enregistrer. Mon truc à l’époque, c’était : garde tes oreilles ouvertes, tes yeux ouverts, et ferme ta gueule ! Je faisais tout dans le studio, le ménage, le café, on me surnommait le “tea boy”. »
« Check this, man ! » s’exclame Eddie en montrant du doigt le son de l’instrument du regretté guitar hero américain se promenant d’un haut-parleur à l’autre. Le son gicle de partout, Kramer sourit à pleines dents. Sud-Africain d’origine ayant démarré sa carrière en Grande-Bretagne, il se souvient encore de sa première rencontre avec Jimi Hendrix, à l’époque où il travaillait pour le studio Olympic, à Londres, « le meilleur studio de l’époque ».
« C’était en janvier 1967 ; je reçois un coup de fil de la gérante du studio. Elle me dit : “Oh, Eddie… Il y a cet Américain avec une tête très frisée, tu pourrais venir l’enregistrer ?” Elle se disait que j’étais le bon gars pour ce contrat because I was the one doing the weird shit au studio… »
Il faisait très froid ce jour-là, se souvient l’ingénieur de son, qui, après avoir enregistré des orchestres classiques, Petula Clark, les Kinks, les Beatles, a travaillé dans les années 1970 sur des albums classiques des grands du rock (Led Zeppelin, les Rolling Stones), développant d’ailleurs une spécialité pour les captations de concerts —Curtis / Live ! (1971) de Curtis Mayfield, Alive ! (1975) de KISS, Frampton Comes Alive ! (1976), etc.
« Son manager, Chas Chandler, avait réservé le studio ; j’ouvre la porte, j’entends un bruit sourd, c’était le roadie de Jimi, un type immense qui portait un ampli Marshall sur son dos : “Où tu veux que je dépose ça ?” Assis au fond du studio, Jimi attend que son matériel soit installé, puis se dirige vers l’ampli, branche sa guitare, l’allume et plaque un accord. Ma vie a changé en une fraction de seconde : je n’avais jamais entendu un truc pareil ! Mon défi, c’était d’arriver à enregistrer toute la force de sa musique. »
Kramer a touché à tous les albums de son ami Hendrix, Are You Experienced (1967), Axis: Bold as Love (à titre de chef ingénieur son, 1967), l’ambitieux Electric Ladyland (1968), Band of Gypsys (album en concert enregistré au studio Fillmore East de New York, 1970) ainsi qu’à ces enregistrements rassemblés dans le coffret et qui étaient destinés au projet d’album double First Rays of the New Rising Sun, évidemment avorté avec le décès subit du guitariste dans un appartement londonien, le 17 septembre 1970. « À force de travailler ensemble, nos cerveaux étaient fusionnés. Chacun savait ce que l’autre voulait, on travaillait à l’instinct et avec confiance. Jimi savait que j’allais bien capter ce qu’il était en train de jouer. »
Un studio à son image
Après l’enregistrement d’Electric Ladyland, Jimi Hendrix rêvait d’avoir son propre studio à New York, où il était retourné après avoir passé un moment en Grande-Bretagne. Kramer ne l’a pas tout de suite suivi, continuant de travailler chez Olympic ; sous la supervision de l’architecte John Storyk, les travaux d’aménagement du local, une ancienne église, puis une synagogue, devenues dans les années 1920 une boîte de nuit, ont débuté en 1968.
Hendrix avait une idée en tête : créer un lieu confortable, à mi-chemin entre le bar et le studio d’enregistrement, avec des canapés et un souci du décor, rappelle Kramer : « Il y avait de la carpette blanche sur les murs ; avec le système d’éclairage, on pouvait projeter plein de couleurs. Lorsqu’il enregistrait, Jimi demandait : “Hé ! J’ai besoin de plus de mauve sur ce mur !” Il avait son propre système de couleurs : le gris pour plus de réverbération, le rouge pour la distorsion. Le studio ressemblait à la musique qu’il avait en tête, les couleurs l’inspiraient. Cette ambiance… C’était la première fois que l’on concevait un pareil studio. »
Tout ça est raconté avec moult détails dans le documentaire, qui se limite toutefois à relater l’histoire de l’Electric Lady Studio à travers celle de Hendrix, bien qu’il ait attiré, après la mort du guitariste, de nombreuses stars du rock et de la pop (Stevie Wonder pour Talking Book en 1972, David Bowie pour Young Americans en 1975, Patti Smith pour son classique Horses la même année). Fin des années 1990, le collectif néo-R&B-soul-rap Soulquarians en a fait son quartier général, y enregistrant les classiques Things Fall Apart (The Roots, 1999)Voodoo (D’Angelo, 2000) et Mama’s Gun (Erykah Badu, 2000).
Eddie Kramer a fini par retrouver l’ami Jimi en avril 1968. « En me voyant débarquer, Jimi me lance : “Where the hell you’ve been ?” C’était le début de toute cette aventure américaine » que raconte le coffret Electric Lady Studios. « Je n’ai jamais vu Hendrix aussi heureux que durant ces quatre mois durant lesquels nous avons enregistré ces pistes », assure Eddie.
Le documentaire Electric Lady Studios: A Jimi Hendrix Vision de John McDermott est inclus dans le coffret (3 CD, 5 LP, 1 Blu-ray) Electric Lady Studios, disponible sur étiquette Experience Hendrix / Legacy.
Les frais de déplacement pour ce reportage ont été assumés par Sony Music Canada.
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