Dès lors que le président Trump a annoncé, le 25 novembre en soirée, qu’il comptait imposer des tarifs douaniers de 25 % au Canada et au Mexique, la partie était déjà perdue de ce côté-ci de la frontière. Nous étions cuits.
Plusieurs ont suggéré l’idée simpliste de donner l’impression au président Trump qu’il gagnait quelque chose. Dans les faits, Donald Trump VA bel et bien gagner quelque chose avant d’atténuer ou d’abandonner les tarifs douaniers.
Ce ne sera pas une victoire symbolique pour lui. Le président des États-Unis est convaincu de l’utilité et de la pertinence d’une politique de tarifs douaniers pour faire plier ses partenaires. Toute son équipe rapprochée est convaincue que cette stratégie sera payante et qu’elle le sera encore plus en visant des alliés comme le Canada et le Mexique, aussi étonnant que cela puisse paraître. Je vous en parlais le 22 janvier.
Suivez-moi bien : les résultats des sanctions et des menaces ne sont pas toujours aussi satisfaisants qu’attendu quand ils sont imposés aux ennemis de l’État. Les sanctions économiques n’atteignent pas souvent les objectifs fixés.
Le cas de la Russie, actuellement, en est un bel exemple. Malgré les sanctions infligées dans la foulée de l’invasion de l’Ukraine, la production de gaz naturel et de pétrole est en hausse en Russie. On a fait un balado sur le sujet en avril 2023.
Toutefois, face à des alliés comme le Mexique et le Canada, dont les économies dépendent tellement du marché américain, Donald Trump n’a pas besoin d’ennemis. Il sait que ses partenaires les plus fidèles voudront sauver les meubles et qu’ils accepteront de faire des concessions. Et donc, les courbettes face au président prendront différentes formes.
Des investissements exclusifs aux États-Unis
Premièrement, plusieurs entreprises décideront d’investir dorénavant aux États-Unis seulement afin d’éviter les tarifs douaniers. Selon une enquête du cabinet KPMG effectuée auprès de 250 leaders d’affaires au Canada, près de la moitié des entreprises canadiennes projettent de déplacer des investissements et des activités vers les États-Unis.
Ces entreprises demandent, par ailleurs, au gouvernement canadien d’abaisser les charges fiscales pour maintenir ou rétablir une forme de compétitivité. D’ailleurs, la baisse d’impôt promise par Donald Trump pour les entreprises – une baisse annoncée du taux de 21 % à 15 % – viendra amplifier l’écart avec le Canada, ce qui pourrait désavantager encore davantage les investissements de ce côté-ci de la frontière.
Voilà le premier effet souhaité de la politique de Donald Trump.
Deuxièmement, Donald Trump voudra renégocier, revoir ou annuler l’Accord Canada-États-Unis-Mexique (ACEUM) dans l’objectif, une fois de plus, d’obtenir des concessions de la part de ses alliés. Cet accord commercial représente une excellente table de négociations pour l’administration Trump, qui en profitera encore pour obtenir des concessions.
Il exigera un accès supplémentaire au marché laitier canadien. Il faut certainement s’attendre à ce que la gestion de l’offre soit, une fois de plus, charcutée.
Il exigera aussi un niveau de production plus élevé de l’industrie de l’automobile en sol américain. Les tarifs douaniers à la frontière pourraient d’ailleurs pousser l’industrie à revoir sa structure de production en privilégiant le Michigan plutôt que l’Ontario. Que pourra faire Doug Ford, au juste, contre ça, lui qui demande un mandat fort à sa population en déclenchant une élection 15 mois plus tôt que prévu?
Investissements dans la défense
Et puis, troisièmement, les États-Unis pousseront le Canada à investir massivement dans leurs activités militaires. Les ministres François-Philippe Champagne et Bill Blair seront d'ailleurs à Washington lundi pour rencontrer des membres de l’administration américaine.
Le Canada doit accélérer ces investissements pour atteindre un niveau de dépenses d’au moins 2 % du PIB. Le président Trump évoque 5 % du PIB ces jours-ci. La pression qu’il exerce obligera le Canada à s'engager davantage.
En fait, les seules concessions que Donald Trump va accepter porteront sur les secteurs où les États-Unis ne sont vraiment pas en mesure de remplacer les importations. On pense au pétrole d’abord, peut-être à quelques autres secteurs également. L’administration américaine voudra chercher à éviter que les consommateurs américains constatent que des tarifs douaniers ont un impact sur leur pouvoir d’achat.
Une reprise freinée?
Si ce n’était que de Donald Trump, le Canada filerait vers une sortie de crise inflationniste sans passer par la case récession, avec une croissance économique qui s’accélère et des taux d’intérêt qui sont toujours en baisse, mais selon la Banque du Canada, les politiques de Donald Trump pourraient tout faire dérailler.
C’est le scénario qui nous attend avec des tarifs douaniers américains de 25 % et des contre-tarifs du Canada. La Banque du Canada évalue que notre PIB pourrait se voir retrancher 2,4 points de pourcentage cette année advenant un affrontement tarifaire important. Autrement dit, si la croissance était prévue à 1,8 % en 2025, il faut retrancher 2,4 points. Et donc, c’est une baisse du PIB pour l’ensemble de l’année qui serait alors attendue.
En un mot, c’est la récession qui attend le Canada. La CIBC évoque un impact encore plus grave pour l’économie canadienne, d’environ 100 milliards de dollars de moins en PIB.
Dans son rapport de mercredi, la Banque du Canada a émis de nouvelles prévisions économiques qui ne tiennent pas compte des tarifs douaniers, mais qui intègrent les effets déjà ressentis des menaces tarifaires sur les marchés et les entreprises.
Faisant donc abstraction des tarifs douaniers, la Banque du Canada disait que la croissance économique s’accélère, que les dépenses des ménages devraient se raffermir et rester solides, soutenues par les baisses passées des taux d’intérêt.
La banque centrale ajoutait toutefois que la politique commerciale américaine est devenue une source majeure d’incertitude. [...] Des signes montrent déjà que la menace tarifaire pèse sur la confiance des consommateurs et des entreprises, ainsi que sur les intentions d’investissement.
La solution : négocier
Plus tôt nous entamerons des négociations formelles pour la révision de l’ACEUM avec l’administration Trump, mieux nous serons positionnés pour négocier, écrivait François Legault sur X mardi. Nous devons le faire avant que les tarifs nuisent davantage à notre économie. C’est ce que soutenait également l’ancien ministre des Finances Raymond Bachand à Zone économie le 22 janvier.
Le Canada ne gagnera pas une guerre commerciale avec les États-Unis, écrivait l’ex-premier ministre du Québec Philippe Couillard dans La Presse, mardi également. L’appel du premier ministre de l’Ontario, Doug Ford, en faveur de droits de douane "dollar pour dollar" ne tient pas compte du fait que le Canada devrait introduire des droits de douane généralisés bien plus élevés que 25 % pour que cela se produise. Étant donné l’asymétrie entre les deux pays, le résultat net serait négatif pour le Canada.
Il faut donc négocier. Et négocier rapidement. Le président n’a pas voulu se rendre aux arguments de son entourage en reportant l’application des tarifs douaniers du 1er février au 1er mars. Le Canada doit annoncer sa réponse tarifaire, certes, mais la seule véritable avenue à privilégier demeure la négociation.
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