Les Canadiens désireux de voyager aux États-Unis devront bientôt s’habituer à se faire photographier par des agents frontaliers américains lorsqu’ils sont en transit. Washington met en place un programme visant à photographier les voyageurs canadiens lorsqu'ils entrent et sortent du pays, quel que soit leur mode de transport.
Warren Shepell a vécu l’expérience plus tôt ce mois-ci alors qu'il s'apprêtait à monter à bord d’un vol reliant Cleveland à Toronto.
Le Torontois raconte que deux agents en uniforme l'ont abordé sur la passerelle d'embarquement et que l'un d'eux a pris sa photo.
J'étais consterné. Je me suis senti pris en embuscade.
Une citation deWarren Shepell
Selon ses dires, les agents ne se sont jamais identifiés et ne lui ont pas donné de raison pour laquelle ils l'avaient photographié.
Ils ne m'ont rien dit, et je me sens tout simplement violé, déplore-t-il.

Une surveillance accrue
Depuis près d'une décennie, le Service des douanes et de la protection des frontières des États-Unis (CBP) utilise la biométrie faciale pour confirmer l'identité des passagers internationaux arrivant dans les aéroports américains.
Le processus consiste à photographier les voyageurs et à utiliser une technologie de comparaison biométrique faciale pour s'assurer que leur visage correspond à la photo figurant sur leurs documents de voyage.
Le CBP compte désormais étendre ce programme dans le but d’aussi collecter des images des passagers aux départs internationaux.
L'agence frontière prévoit également de prendre des photos des voyageurs lorsqu'ils entrent et sortent du pays que ce soit par voie maritime ou aux frontières terrestres.
Le CBP dit qu'elle prévoit de mettre en place la technologie biométrique faciale aux frontières terrestres au cours de l'année prochaine. La mise en œuvre complète du programme dans les ports maritimes et les aéroports est prévue dans les trois à cinq prochaines années.
Entre-temps, le département de la Sécurité intérieure (DHS) a annoncé vendredi une nouvelle règle qui oblige les citoyens non américains, y compris les Canadiens, à participer à son programme de biométrie faciale. La réglementation devrait entrer en vigueur le 26 décembre, même si la mise en œuvre complète du programme pourrait prendre des années.

Selon cette règle, les photos prises des voyageurs étrangers resteront dans la base de données du DHS pendant 75 ans maximum.
Dans un courriel, la porte-parole du CBP, Jessica Turner, soutient que ce plan d'expansion répondait à une obligation imposée par le Congrès d'enregistrer les données biométriques de la majorité des ressortissants étrangers qui entrent et sortent des États-Unis.
[La biométrie faciale] vise à garantir l'exactitude des enregistrements, à renforcer la sécurité et à faire respecter les lois sur l'immigration.
Une citation deJessica Turner, porte-parole du Service des douanes et de la protection des frontières des États-Unis
Le suivi des départs des voyageurs aide également le CBP à identifier ceux qui sont restés dans le pays plus longtemps que la durée autorisée, conformément à la nouvelle règle du DHS.
Mme Turner confirme d’ailleurs que M. Shepell avait été photographié par un agent du CBP dans le cadre de ce programme.
À l'arrivée dans les aéroports, l’agence utilise des caméras fixes à capture automatique pour photographier les passagers. Mais l'agence ne possède pas les caméras fixes dans les zones de départ, c'est donc aux agents du CBP qu'il incombe de photographier les voyageurs, précise la porte-parole.
Le processus aux frontières terrestres sera moins visible. Actuellement, le CPB teste une technologie conçue pour capturer des images des passagers dans les véhicules, ajoute Mme Turner.
Elle affirme que l'extension du programme profitera aux voyageurs, car il offre une méthode rapide, précise et sans contact pour vérifier leur identité.
Impacts sur la vie privée
De nombreux pays intègrent déjà la technologie biométrique faciale dans leurs aéroports, dont le Canada. Malgré son adoption de plus en plus généralisée, cette technologie suscite des inquiétudes chez les experts en matière de protection de la vie privée, qui affirment qu'elle pourrait être utilisée à mauvais escient.
La création de cette infrastructure ouvre la voie à un détournement de sa mission initiale, déclare Jeramie Scott, conseiller principal au Electronic Privacy Information Center [NDLR: Centre d'information sur la vie privée électronique des États-Unis, traduction libre].
Il ajoute que cette préoccupation est amplifiée aux États-Unis, où il n'existe pas de lois fédérales réglementant la biométrie faciale. Selon lui, cette lacune ouvre la voie à l'utilisation des données des voyageurs à d'autres fins, telle que leur surveillance.
Nous avons déjà vu cette administration utiliser les informations dont elle dispose à des fins ou pour des usages qui dépassent le cadre initialement prévu lors de leur collecte.
Une citation deJeramie Scott, conseiller principal au Electronic Privacy Information Center
Par exemple, le département du Trésor américain a récemment signé un accord visant à partager des données confidentielles sur les contribuables avec l'agence Immigration and Customs Enforcement (ICE) pour aider à identifier et à expulser les immigrants en situation irrégulière.
Pour l'instant, les Canadiens peuvent refuser la biométrie faciale, soutient Mme Turner. Mais cette option prendra fin le 26 décembre, lorsque la nouvelle règle du DHS entrera en vigueur.

M. Shepell affirme que personne ne l'a informé qu'il pouvait refuser d'être photographié. Il dit que s'il l'avait su, il aurait refusé.
Je ne fais tout simplement pas confiance au système, martèle-t-il. Je suis un fervent défenseur de la vie privée.
Mme Turner maintient cependant qu'il n'y a pas lieu de s'inquiéter au sujet du programme de biométrie faciale.
La CBP s'engage à respecter ses obligations en matière de confidentialité et a pris des mesures pour protéger la vie privée de tous les voyageurs, déclare-t-elle dans son courriel.
La porte-parole ajoute que l'agence utilise la technologie de comparaison faciale uniquement à des moments et dans des lieux précis où les voyageurs sont déjà tenus de présenter une preuve d'identité, et que le seul objectif du programme est d'automatiser la vérification des documents.
Un frein aux voyages?
L'avocat américain spécialisé en droit de l'immigration Len Saunders estime que le projet du CBP de photographier en masse les Canadiens pourrait nuire davantage à l'industrie touristique canadienne dans le pays.
Cela n'encourage certainement pas les étrangers à venir aux États-Unis, soutient M. Saunders. C'est un facteur dissuasif supplémentaire.
Depuis l'entrée en fonction du président américain Donald Trump, les voyages des Canadiens vers les États-Unis ont chuté, en partie à cause de la colère suscitée par la guerre commerciale menée par M. Trump et ses remarques sur le fait que le Canada deviendrait le 51e État américain.

En septembre, le nombre de voyages aller-retour effectués par les Canadiens vers les États-Unis a diminué de 27 % pour les voyages en avion et de près de 35 % pour les voyages terrestres par rapport à l'année précédente.
Cependant, M. Saunders affirme que même si les chiffres continuent de baisser en raison des inquiétudes liées à la biométrie faciale, il est peu probable que l'administration Trump prenne des mesures.
Elle ne semble pas vouloir encourager le tourisme, lâche-t-il. Je ne pense pas que le gouvernement américain s'y intéresse vraiment.
Avec les informations de Sophia Harris de CBC