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Mark Carney au Mexique pour « rétablir les ponts »

Auteur: Laurence Martin Source: Radio Canada
Septembre 18, 2025 at 05:31
Mark Carney et Claudia Sheinbaum se sont rencontrés une première fois lors du sommet du G7 à Kananaskis, en Alberta, au mois de juin dernier. PHOTO : THE CANADIAN PRESS / DARRYL DYCK
Mark Carney et Claudia Sheinbaum se sont rencontrés une première fois lors du sommet du G7 à Kananaskis, en Alberta, au mois de juin dernier. PHOTO : THE CANADIAN PRESS / DARRYL DYCK

L'ouverture de certains politiciens canadiens, comme Justin Trudeau et Doug Ford, à l'idée de signer un accord commercial uniquement avec les États-Unis avait choqué les Mexicains l’an dernier.


Mark Carney se rend à Mexico pour une visite éclair de 24 heures qui vise à renouveler la relation canado-mexicaine et à développer davantage les liens économiques entre les deux pays.

Au cœur de ce voyage : une rencontre bilatérale avec la présidente Claudia Sheinbaum, dont le pays subit aussi les contrecoups des politiques protectionnistes de Donald Trump.

Un des buts de la visite actuelle, c’est de rétablir les ponts à un très haut niveau entre M. Carney et Mme Sheinbaum, explique Mathieu Arès, professeur de sciences politiques à l’Université de Sherbrooke et membre du Centre d’études sur l’intégration et la mondialisation.

La réaction canadienne initiale après l’élection de M. Trump, l’automne dernier, avait été très mal reçue par bien des Mexicains, précise-t-il.

En novembre 2024, Justin Trudeau n’avait pas fermé la porte à l'idée de signer une entente commerciale seulement avec les États-Unis et sans le Mexique. On va être sans équivoque dans notre défense des intérêts canadiens, des emplois canadiens, avait-il déclaré lors du G20.

 

Doug Ford en point de presse à Barrie le 12 novembre 2024.
 l'automne 2024, le premier ministre ontarien Doug Ford avait plaidé pour que le Canada négocie un accord de libre-échange bilatéral avec les États-Unis sans le Mexique. PHOTO : RADIO-CANADA

Le premier ministre de l'Ontario, Doug Ford, avait été plus explicite, suggérant carrément à Ottawa de négocier un accord bilatéral seulement avec Washington puisque le Mexique était devenu une porte détournée pour l’importation de voitures et de pièces d’auto de la Chine sur les marchés canadien et américain, un gros irritant pour Donald Trump.

Au bout du compte, ce sont les contre-tarifs imposés par Justin Trudeau sur plusieurs produits américains qui semblent avoir davantage irrité Washington. L'attitude stoïque de la présidente mexicaine, qui ne s’est pas lancée dans des déclarations incendiaires ou de grandes mesures de représailles, a plu au locataire de la Maison-Blanche, croit M. Arès.

D’ailleurs, le Mexique a obtenu un sursis de 90 jours, annoncé le 31 juillet dernier, sur l’imposition de nouveaux droits de douane américains, contrairement au Canada.

Accord à trois

Signe que les temps changent, le gouvernement de Mark Carney ne donne, lui, aucune indication selon laquelle il a l’intention d’abandonner le Mexique durant la révision de l’ACEUM – l'accord de libre-échange nord-américain signé en 2018 – prévue l’an prochain.

À ce stade-ci, nous n'envisageons rien d’autre qu’un accord à trois [entre le Canada, les États-Unis et le Mexique], confie une source gouvernementale canadienne haut placée. La relation entre Mme Sheinbaum et M. Carney est d’ailleurs décrite, en coulisses, comme étant très positive. Les deux chefs de gouvernement se sont rencontrés une première fois en marge du Sommet du G7 en Alberta, au mois de juin.

Interrogée mercredi sur la visite du premier ministre Carney, la présidente mexicaine a indiqué qu’elle souhaitait accroître les échanges commerciaux avec le Canada et que les trois pays, dont le sien, voulaient maintenir l’accord tripartite nord-américain.

 
François-Philippe Champagne, Claudia Sheinbaum et Anita Anand entre un drapeau mexicain et un drapeau canadien.
La présidente Claudia Sheinbaum est entourée des ministres François-Philippe Champagne et Anita Anand, qui se sont rendus au Mexique plus tôt cet été pour préparer la visite de Mark Carney. PHOTO : CLAUDIA SHEINBAUM/X

Je suis tout à fait optimiste qu’il va y avoir un "reset" dans la relation, lance l’ancien ambassadeur Andrés Rozental, qui a été secrétaire d’État aux Affaires étrangères du Mexique de 1988 à 1994.

M. Rozental note quand même qu’à plusieurs reprises dans le passé, des voix se sont élevées pour encourager le Canada à aller seul avec les États-Unis et à laisser tomber le Mexique.

L’ancien ambassadeur se souvient d’ailleurs d’une conversation, au début des négociations en vue de l’ALENA, avec l’ancien premier ministre Paul Martin, qui était homme d’affaires à l’époque et qui lui avait signalé que le Canada avait déjà un bon accord avec les Américains et qu’il n’avait pas besoin de compliquer les choses en amenant le Mexique à la table.

 

Le président américain Bill Clinton, le premier ministre canadien Jean Chrétien et le président du Mexique, Ernesto Zedillo (ces deux derniers saluant le public), au Sommet des Amériques, à Miami, en 1994.
Le président américain Bill Clinton, le premier ministre canadien Jean Chrétien et le président du Mexique, Ernesto Zedillo, au Sommet des Amériques, à Miami, quelques mois après l'entrée en vigueur de l'ALENA, en 1994. PHOTO : LA PRESSE CANADIENNE / JACQUES BOISSINOT

En fin de compte, le gouvernement canadien s'est rendu compte que Mexico n’était pas un boulet dans sa relation avec Washington, explique M. Rozental. Une même prise de conscience a probablement eu lieu au cours des derniers mois : C’est le Canada qui, finalement, a eu beaucoup plus de problèmes avec les États-Unis que le Mexique, plaide-t-il.

L’ancien secrétaire d’État croit que Mark Carney et Claudia Sheinbaum ont intérêt à collaborer durant la révision de l’ACEUM, surtout qu’ils ont des intérêts communs dans plusieurs secteurs, notamment l’automobile.

Plusieurs experts s’attendent à ce que Donald Trump demande une modification des règles sur l’origine des véhicules pour qu’une grande partie des pièces proviennent des États-Unis, ce qui pourrait nuire au Canada et au Mexique.

Dans tous les cas de négociations, il est toujours préférable d’avoir deux pays ensemble que d’y aller seul, croit M. Rozental.

Accroître les échanges

Au-delà de la future révision de l'ACEUM, la visite de Mark Carney à Mexico vise aussi à accroître les liens commerciaux entre les deux pays, sans égard pour les États-Unis. Un partenariat stratégique doit d’ailleurs être signé lors du voyage du premier ministre, avec un engagement des deux chefs de gouvernement de se rencontrer fréquemment.

Le Mexique est à l’heure actuelle le cinquième marché d’exportation du Canada. L’énergie, l’agriculture et la sécurité font partie des secteurs ciblés pour une amplification des échanges.

 

Une chaîne de production de voitures.
Une chaîne de production est visible après l'ouverture de la nouvelle usine automobile Honda dans la banlieue de Celaya, dans l'État de Guanajuato. PHOTO : REUTERS / HENRY ROMERO

Le Mexique est devenu un pays industriel avec une classe moyenne et un marché intérieur intéressant, explique le professeur Mathieu Arès.

Ce politologue croit que le Canada n’a pas suffisamment exploité ce potentiel commercial dans le passé : On a été un peu paresseux et on a tout parié sur les États-Unis.

Depuis son entrée officielle en politique fédérale, Mark Carney plaide pour une diversification des marchés d’exportation du Canada, et le Mexique fait certainement partie de l’équation.

Une source gouvernementale haut placée confie d’ailleurs que M. Carney a l’intention de voyager abondamment cet automne : Vous allez voir beaucoup plus le premier ministre dans le monde.

La dernière visite d’un premier ministre canadien en sol mexicain, pour une rencontre bilatérale, remonte à 2017.

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