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Des étudiants africains abandonnés sans possibilité de reprise

Auteur: admin, Lisa-Marie Gervais Source: Le Devoir
Janvier 29, 2025 at 15:37
Photo: Getty Images  Les étudiants ayant échoué ailleurs au Québec n’ont pas tous eu une deuxième chance, a pu constater «Le Devoir».image
Photo: Getty Images Les étudiants ayant échoué ailleurs au Québec n’ont pas tous eu une deuxième chance, a pu constater «Le Devoir».image

LE DEVOIR ENQUÊTE

Voyant que plusieurs de leurs camarades ont obtenu une deuxième chance, des infirmières et infirmiers recrutés en Afrique qui ont été exclus après un échec disent avoir été abandonnés par le programme, n’ayant pas eu de possibilité de reprise.

Depuis le début de ce programme gouvernemental visant à recruter 1000 infirmiers et infirmières diplômés hors Canada, environ 120 personnes, toutes phases confondues, ont eu un échec, et la moitié seulement s’est vu offrir une possibilité de reprise à ce jour. Pourtant, plusieurs de ces étudiants avaient presque fini leur formation, certains en étaient même à leur dernier stage.

Comme l’a révélé Le Devoir mardi, après une vague d’échecs au printemps 2024 au cégep de l’Abitibi-Témiscamingue — 16 dans une cohorte de 40 —, le ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration (MIFI) a consenti à organiser une reprise et 14 personnes ont pu reprendre, à l’automne dernier, le module auquel elles avaient échoué.

Mais les étudiants ayant échoué ailleurs au Québec n’ont pas tous eu une deuxième chance, a pu constater Le Devoir. C’est le cas d’un étudiant d’un cégep de la Montérégie, qui a raconté avoir lui aussi été exclu du programme au printemps dernier, après un échec à l’un de ses derniers stages. « On ne m’a pas offert de reprise. Je n’ai jamais pu m’expliquer », dit au Devoir cet homme qui garde l’anonymat par crainte de représailles.

Sans statut et sans revenu, il dit avoir sombré dans une dépression. « J’ai appelé ma femme et je lui ai dit que je voulais me suicider. Elle ne comprenait pas pourquoi je m’étais rendu là », dit l’homme, qui est le seul soutien familial. Il dit ne pas avoir eu d’autre option que de rentrer dans son pays.

À la fin de l’été, apprenant que certains de ses camarades de classe se faisaient offrir une reprise de cours par les gestionnaires du programme du MIFI, il a tenté de plaider sa cause à distance. On lui a répondu qu’il lui serait impossible d’effectuer à temps toutes les démarches nécessaires pour réintégrer la formation et obtenir un visa pour revenir au Canada. « C’était fini. Le Québec m’a rejeté, mais il était pourtant venu me recruter dans mon pays. »

Selon plusieurs sources bien au fait du programme, les étudiants qui suivent la formation dans des cégeps en région sont moins susceptibles de se faire offrir une reprise en raison du manque de ressources et de personnel.

Toujours au printemps 2024, un étudiant du cégep de la Gaspésie, qui demande que son identité soit protégée, a échoué à un examen pratique et a été aussitôt exclu du programme. « J’étais en état de choc. On m’a dit que c’était fini. On ne m’a pas proposé de reprise », dit-il en entrevue au Devoir.

La perte de son statut d’étudiant lui a également fait perdre ses allocations liées au programme, ses assurances médicales et la possibilité de travailler comme préposé aux bénéficiaires. « J’étais sans revenu. Comment vouliez-vous que je me loge ? Que je mange ? » lance-t-il, ajoutant qu’il a dû dormir dans sa voiture pendant quelques semaines. On lui a proposé de tenter sa chance hors du programme dans un cégep de Montréal, à des centaines de kilomètres.

L’hôpital pour lequel il travaillait en Gaspésie lui a finalement offert de l’embaucher à temps plein comme préposé aux bénéficiaires, mais les délais d’obtention du permis de travail fermé l’ont laissé sans revenu pendant plus de six mois. « C’est comme un cauchemar pour moi. Et je n’arrive pas à me réveiller. »

Des reprises difficiles

La reprise n’est pas automatique et elle a un caractère « exceptionnel », comme le confirme le ministère dans les courriels qu’il envoie aux étudiants. Ces derniers passent souvent plusieurs mois dans les limbes sans savoir s’ils auront une deuxième chance. « Notre permis a le temps d’expirer », explique l’étudiant de la Montérégie.

Lorsque la reprise est accordée, l’étudiant doit parfois se rendre dans un autre cégep, à des centaines de kilomètres de la ville où il s’était établi, ce qui implique un déménagement. Dans l’intervalle, les étudiants, dont plusieurs sont venus avec leur famille, sont sans revenu et n’ont pas accès à l’allocation du ministère de l’Immigration. « Je me suis fait couper mes allocations il y a deux mois. Comment je fais pour nourrir mes enfants ? » a confié au Devoir une étudiante qui doit commencer bientôt la reprise qu’on lui a accordée. « Tout ce que je vais pouvoir faire, c’est travailler quelques heures comme préposée pendant que j’étudie. » Pour plusieurs, le paiement de l’allocation s’arrêtera au moment du retour en classe puisqu’elle n’est versée que pour un maximum de 62 semaines.

Le Cégep Édouard-Montpetit rapporte que plusieurs étudiants en échec de la cohorte 1 se sont vu couper leurs revenus pendant un mois. Un rapport bilan des trois cohortes que l’établissement a accueillies l’an dernier indique que « 4 des 5 étudiant-e-s en situation d’échec n’ont pas eu le droit de bénéficier de la subvention du PAFFARC [Programme d’aide financière pour la formation d’appoint en reconnaissance des compétences] ni de travailler à titre de PAB [préposé aux bénéficiaires] ».

Un sondage mené auprès de ces trois mêmes cohortes — soit une soixantaine de répondants — présente des constats préoccupants sur la situation financière des étudiants. À peine 43 % d’entre eux ont une autre source de revenu que les allocations fournies par le MIFI, et 51 % ont répondu que leur conjoint ou conjointe n’avait pas réussi à trouver de travail. À peine la moitié des étudiants ont dit être en mesure de manger trois repas par jour. Le sondage montre aussi que plusieurs étudiants vivent sans réfrigérateur, cuisinière ou matelas.

Dans des rapports bilans que Le Devoir a obtenus en vertu de la loi sur l’accès à l’information, plusieurs cégeps participant au programme suggèrent au MIFI de permettre aux étudiants de reprendre le cours ou le stage non réussi. « L’option proposée de retourner au pays d’origine puis de revenir une fois le permis de travail comme PAB [préposé aux bénéficiaires] obtenu n’est pas envisageable pour les étudiants. Ils ont tout abandonné dans leur pays d’origine : biens, poste et lien d’emploi », mentionne un rapport du Cégep de Lévis transmis au MIFI. Il souligne aussi la « longue durée d’attente » après un échec avant l’accession au poste de PAB.

D’infirmiers… à préposés

Le MIFI indique pour sa part que la majorité des personnes ayant échoué à la formation d’appoint ont été embauchées à titre de préposés aux bénéficiaires. Or, ce « prix de consolation » offert aux étudiants est souvent accepté par dépit. « Pourquoi recruter infirmiers et infirmières si c’est finalement pour nous transformer en préposés aux bénéficiaires ? Si vous voulez des préposés, dites-le franchement », lance, indigné, un étudiant du cégep de l’Abitibi-Témiscamingue avec qui Le Devoir s’est entretenu.

En cas d’échec, pour les étudiants qui refusent d’être préposés et qui n’abandonnent pas leur rêve de devenir infirmiers ici, il existe également la possibilité de s’inscrire sur une liste d’attente au Consortium en soins infirmiers du Cégep du Vieux Montréal, confirme l’une de ses gestionnaires, Maria Rosa Sgambato. La formation, qui ne fait pas partie du programme des infirmiers et infirmières diplômés hors Canada financé par le MIFI, est toutefois aux frais des étudiants.

Mais la gestionnaire reconnaît que ce n’est pas la panacée, puisque cela implique une panoplie de démarches et que les étudiants sont sans revenu dans l’intervalle. « Il y a une nouvelle demande de permis d’études [à faire] et toutes les démarches sont plus longues », admet-elle. « L’étudiant ne peut pas étudier, il ne peut pas non plus travailler… Il est pris. »

Mme Sgambato assure que le but n’est pas de renvoyer les étudiants dans leur pays. « On a besoin d’eux et on veut les garder, dit-elle. Mais on veut s’assurer que les étudiants sont autonomes pour pratiquer comme infirmiers et infirmières, et aussi qu’ils sont sécuritaires. C’est très important. »

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