Par Yves Bourdillon
Après la cacophonie, une tentative d'accorder les violons. Les délégations ukrainienne et française, allemande, britannique, italienne et canadienne doivent essayer, dimanche à Genève, de convaincre leur homologue des Etats-Unis de ne pas céder sur l'Ukraine à toutes les exigences du Kremlin intégrées au plan de paix validé par la Maison-Blanche la semaine dernière.
Une tâche ardue, tant les 28 points de ce plan concocté par Steve Witkoff, l'émissaire spécial de Donald Trump, et son homologue russe, Kirill Dmitriev, dessinent une capitulation de l'Ukraine, ouvrant la voie à une nouvelle invasion sous peu. Kiev devrait notamment réduire d'un quart les effectifs de ses forces armées et abandonner sa ceinture de forteresse de l'ouest du Donbass, qui verrouille l'accès à la capitale et au port d'Odessa.
Un plan de quasi-capitulation
Et si le plan prétend apporter des « garanties de sécurité » à l'Ukraine, il interdit le déploiement préventif de troupes occidentales à proximité d'un éventuel théâtre d'opérations. Quelques avions de combat seraient juste déployés en Pologne. La mise en oeuvre de ces garanties dépendrait exclusivement du bon vouloir d'un seul homme, Donald Trump, dont les Ukrainiens considèrent qu'il leur a planté un couteau dans le dos et dont on peut rappeler qu'il… menaçait d'envahir par ailleurs ses alliés canadiens ou danois au printemps dernier.
Bref, ce plan constitue tellement un cadeau à Poutine, au risque d'anéantir la réputation des Etats-Unis, qu'il a suscité une véritable levée de boucliers, y compris de sénateurs républicains, poussant la Maison-Blanche à rétropédaler, samedi. Elle présente désormais le plan seulement comme « un cadre pour des négociations ». Et Donald Trump est revenu sur son ultimatum, selon lequel son homologue ukrainien Volodymyr Zelensky devait signer le plan d'ici jeudi, reconnaissant samedi que le plan ne constituait pas sa « dernière offre » pour régler le conflit. Le département d'Etat a aussi démenti la menace de suspendre la fourniture clé de renseignements spatiaux à la défense ukrainienne.
« Juste des ajustements »
Mais Washington maintient une forte pression pour que Kiev cède sur l'essentiel. L'émissaire américain sur l'Ukraine, Keith Kellogg, qui était pourtant considéré comme plutôt pro-Kiev à la Maison-Blanche (il quitte ses fonctions en janvier), a affirmé qu'il y a des éléments du plan qui doivent être « expliqués un peu plus en détail, mais nous y sommes presque ». Il s'est dit convaincu qu'il devenait pour Kiev « difficile de dire non, vu les garanties de sécurité » prévues par le texte. Le secrétaire américain à l'Armée, Daniel Driscoll, présent à Genève, a affirmé que le plan, nécessitait juste « des ajustements ».
Pris dans ce que les observateurs à Washington qualifient de « bazar », entre les factions pro-Moscou ou pro-Kiev, celles qui ont été informées du détail des discussions, et celles qui ne le sont peut-être pas, le chef de la diplomatie américaine, Marco Rubio, arrivé à Genève dimanche matin, a aussi affirmé que ce texte « présente un cadre solide de négociations ». « Il se fonde sur des éléments fournis par la partie russe mais également sur des apports de l'Ukraine. » Ce dernier point paraissant extrêmement douteux. Au point que le Premier ministre polonais, Donald Tusk, a estimé, acide, qu'il « serait bon de savoir qui est le vrai auteur du plan et où il a été mis au point »… Marco Rubio a démenti avoir déclaré à des sénateurs américains, comme l'affirmaient plusieurs élus, que le plan ne constituait pas la position américaine mais « une liste de souhaits russes ».
Contre proposition européenne
Les Européens et l'Ukraine ont reconnu, diplomatie oblige envers l'homme le plus puissant de la planète et à l'ego chatouilleux, que le plan comportait des éléments intéressants mais nécessitait des ajustements.
Dans une contre-proposition qui devait être transmise à la délégation américaine à Genève, ils insistent pour que les discussions avec la Russie sur tout échange territorial ne puissent avoir lieu qu'une fois la guerre terminée sur le long de la ligne de contact actuelle. Point sans doute le plus crucial, ils refusent que Kiev cède les territoires non occupés dans l'Est.
Les Etats-Unis seraient indemnisés pour les garanties solides qu'ils fournissent et les avoirs russes resteraient gelés à moins que Moscou n'accepte de payer pour les dommages qu'elle a causés. D'autres sanctions seraient levées par étapes et la Russie serait progressivement réintégrée dans l'économie mondiale si elle respectait l'accord. Moscou obtiendrait une reconnaissance de facto mais pas de jure de son occupation de la Crimée, et des zones que son armée tient dans le Donbass.
De son côté, le Kremlin a assuré que le texte américain « pouvait servir de base à un règlement pacifique définitif » du conflit, se disant prêt à une « discussion approfondie de tous les détails ». L'armée russe a revendiqué dimanche la prise de trois nouvelles localités dans l'est de l'Ukraine.
L'Allemagne sceptique
Le chancelier allemand Friedrich Merz s'est dit «sceptique» dimanche sur les chances de parvenir à un accord sur le plan en 28 points d'ici jeudi, date butoir fixée par le président américain.
Dimanche, dans le sillage du G20 en Afrique du Sud, le président finlandais Alexander Stubb et la présidente du conseil italien Giorgia Meloni ont déclaré avoir discuté du plan avec Donald Trump. De son côté, le président turc Recep Tayyip Erdogan a déclaré, à Johannesburg, qu'il s'entretiendrait lundi avec son homologue russe Vladimir Poutine, pour tenter d'«ouvrir la voie à la paix».
Un plan inapplicable et contradictoire
Quand bien même l'Ukraine et ses alliés européens, pour qui ce conflit constitue aussi une menace sur leur sécurité, se résigneraient à accepter ce plan, il s'avère truffé de contradictions juridiques ou d'impossibilités politiques. Notamment, il reconnaît en préambule la souveraineté de l'Ukraine… tout en imposant qu'elle abandonne un quart de son territoire. Il exige des élections à Kiev d'ici trois mois… mais après modification de la Constitution pour avaliser l'abandon de territoires et le renoncement à l'Otan.
Aucune sanction ne pourrait non plus être prise en Occident contre des criminels de guerre russes, y compris des interdictions de visa ! Enfin, le territoire évacué par l'armée ukrainienne serait considéré comme une zone tampon démilitarisée et de statut neutre mais… internationalement reconnue comme russe !
Yves Bourdillon