Il y a dix ans naissait l’Accord de Paris, socle de l’action climatique mondiale. Une décennie plus tard, alors que s’ouvre la COP30 au Brésil, quel bilan peut-on faire de cette entente? En trois mots : essentielle, utile… mais insuffisante.
« C’est un petit coup de marteau, mais je pense qu’il peut faire de grandes choses. »
La formule est passée à l’histoire.
Il y a dix ans, le 12 décembre 2015, Laurent Fabius, alors ministre français des Affaires étrangères et président de la COP21, a fait résonner son petit maillet sur le socle pour confirmer l’adoption à l’arraché de l’Accord de Paris.
Un moment historique : le tout premier accord universel sur le climat visant à réduire les gaz à effet de serre (GES) venait de naître. Avec comme objectif de limiter le réchauffement bien en dessous de 2 degrés Celsius et de poursuivre les efforts pour limiter l’augmentation de la température à 1,5 degré.
Je garde un souvenir très vif de ces instants alors que j’étais à Paris pour couvrir le sommet. Avec le recul, étant donné la vive opposition de certains pays, peu de gens sur place y croyaient vraiment.
Je regarde la salle, je vois que la réaction est positive, je n’entends pas d’objection. L’Accord de Paris pour le climat est adopté!, lançait Laurent Fabius presque trop discrètement de la tribune de la plénière, comme s’il voulait éviter de réveiller les opposants. Ovation spontanée, embrassades, des larmes, même.

Le représentant de la Chine pour le climat, Xie Zhenhua, se réjouit de l'adoption de l'Accord de Paris, en compagnie de l'ancien vice-président américain Al Gore et de la ministre française de l'Environnement, Ségolène Royal, le 12 décembre 2015. Photo : afp via getty images / FRANCOIS GUILLOT
L’événement reste à ce jour un des plus grands succès de la diplomatie climatique. 195 des 198 pays qui ont signé l’accord l’ont ratifié depuis devant leur propre Parlement.
Pensez-y : combien d’enjeux actuels font l’objet d’une négociation aussi large et complexe que la question des changements climatiques?
Elle combine la finance internationale publique et privée, l’aide aux pays en développement, la coopération scientifique, le transfert de technologie, le développement de l’agriculture, le calcul financier du poids historique des grands pollueurs, les marchés du carbone, l’adaptation aux changements climatiques, et j’en passe.
Tout ça pour régler un problème difficile mais fondamental : comment restructurer nos économies et comment convaincre les êtres humains de modifier leur mode de vie pour minimiser les effets du réchauffement?
Le seul fait de rassembler tous les pays de la planète dans un accord sur un enjeu aussi complexe est une victoire pour le multilatéralisme.
Près de 200 pays, dont certains minés par l’extrême pauvreté, d'autres en guerre ou sous la coupe d’un dictateur, ou d’autres encore peuplés de minorités autochtones, criblés de dettes ou enrichis par l'exploitation pétrolière.
Ne serait-ce que pour cette improbable union d'intérêts si divergents, l’Accord de Paris mérite toute notre attention.

La photo de famille au sommet des leaders de la COP30, le 6 novembre 2025, à Belém, a réuni des chefs d'État et de gouvernement de tous les continents. Photo : Getty Images / Wagner Meier
Quel monde sans l’Accord de Paris?
Dix ans après son adoption, malgré cette carrure vertueuse, cette entente a-t-elle permis de sauver le climat?
Bien sûr que non.
Les émissions de gaz à effet de serre (GES) continuent d’augmenter et la température de se réchauffer. Le dépassement de l’objectif le plus ambitieux de l’Accord de Paris, le fameux seuil d’un réchauffement de 1,5 degré sur l’ensemble de la planète, est inévitable, disait récemment le chef des Nations unies, António Guterres.
Une donnée que confirmait un tout récent rapport du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE), publié le 4 novembre dernier, selon lequel les probabilités que ce seuil soit dépassé, au minimum de façon temporaire, sont très grandes.
Est-ce un accord inutile pour autant?
Surtout pas. Il faut s’écarter de la vision simpliste que rien n’a bougé depuis dix ans.
Chaque fois qu’on me dit que cet accord n’a rien donné, je réponds toujours par une question : à quoi ressemblerait le monde sans l’Accord de Paris?
Voyons quelques chiffres.

Feu de forêt à Kelowna, en Colombie-Britannique. Photo : CBC / Ben Nelms
Avant 2015, en l’absence de l’Accord de Paris, les prévisions des modèles climatiques décrivaient un réchauffement de 4 degrés d’ici la fin du siècle, un seuil dont les effets font craindre le pire aux scientifiques.
Dix ans plus tard, avec l’Accord de Paris en main, les données publiées mardi par le PNUE indiquent que la planète se dirige désormais vers un réchauffement de 2,3 à 2,5 degrés Celsius, si les États respectent leurs engagements actuels.
C’est même une légère amélioration par rapport à l’an dernier, où les projections faisaient plutôt état d’une trajectoire de 2,6 à 2,8 degrés.
C’est un progrès insuffisant, mais certainement notable.
Un autre exemple?
Depuis la signature de l’Accord de Paris, la croissance des émissions de GES a nettement ralenti : elles ont augmenté d’environ 1 % depuis 2015, contre 18 % entre 2005 et 2014.
Leur rythme de progression annuelle a été divisé par cinq par rapport à la décennie précédente. Elles augmentent cinq fois moins vite depuis Paris, ce n’est pas rien.
Ce n’est évidemment pas assez, au regard de ce que nous décrivent les scientifiques dans leurs constats. Les émissions ne devraient plus croître, mais diminuer, et vite. Et 2,3 degrés, c’est mieux que 4, mais c’est encore un réchauffement qui laisse présager des effets dévastateurs.
C’est trop, beaucoup trop. Mais admettons ceci : sans cet accord, la situation serait bien pire.
Un moteur utile…
Comment l’Accord de Paris a-t-il permis d’améliorer un peu la situation?
Après tout, c’est une entente juridiquement non contraignante. Malgré leur signature, les pays ne sont donc pas obligés de réduire leurs émissions.
Mais les concepteurs de l’accord ont joué de finesse pour les inciter à le faire, sans qu’ils en soient contraints, et ainsi maximiser les effets du traité.
L’Accord de Paris est un modèle du genre.

L'économiste Laurence Tubiana, ancienne négociatrice en chef de la France à la COP21, est la véritable architecte de l'Accord de Paris. Photo : Radio-Canada / Etienne Leblanc
Son architecture a été conçue pour forcer les pays à se comparer entre eux.
Car, même si l’entente n’est pas contraignante, les signataires doivent tout de même remettre chaque année à l’ONU un inventaire de leurs émissions de GES et soumettre, tous les cinq ans, une cible renforcée. Cela les pousse à rehausser régulièrement leurs ambitions.
L’obligation pour les États de mesurer leur performance les uns par rapport aux autres a créé une pression morale qui s’est révélée au fil du temps un véritable moteur.
Qu’il s’agisse de protéger sa réputation, de vouloir faire figure de bon élève ou, tout simplement, de poser les bons gestes pour la planète, chaque pays a sa raison. Mais le résultat est le même : l’Accord de Paris a incité les pays à mettre en place des programmes climatiques nationaux et a contribué à ralentir la croissance des émissions.
Il a agi comme un catalyseur pour lancer aux quatre coins du globe un mouvement de décarbonation. C’est là son plus grand succès : il s’est imposé dans toutes les sphères de décision et a infusé, subtilement, l’esprit des décideurs politiques, même les plus réticents.
En dix ans, plus de 140 pays se sont dotés d’un programme climatique pour atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050 et 2070.
En très peu de temps, le message porté par l’entente a percolé bien au-delà des États.
Amplifié par une forte couverture médiatique, l’accord a contribué à ramener le débat sur le climat à la hauteur des citoyens, de manière concrète, compréhensible et difficile à ignorer.
Sur tous les continents, des gouvernements locaux, des villes, des entreprises, des institutions publiques et des comités de citoyens se sont inspirés des objectifs de l’accord pour agir.
En très peu de temps, le débat s’est déplacé sur le terrain économique. La croissance des investissements dans les énergies renouvelables s’est alors engagée à un rythme que personne n’avait imaginé.

La croissance des projets de production d'énergies renouvelables sur la planète est plus rapide que prévu. Photo : Radio-Canada
Pour la première fois de l’histoire, lors du premier trimestre de 2025, l’électricité produite par le solaire et l’éolien a dépassé celle générée par le charbon.
En 2024, les énergies renouvelables fournissaient plus de 40 % de l'électricité mondiale, et les investissements dans ce domaine étaient deux fois plus importants que dans les combustibles fossiles.
Bien entendu, toutes ces vertus de l’Accord de Paris ne peuvent cacher le fait que tout ça est insuffisant et que la question climatique ne semble plus à être à l’ordre du jour des gouvernements.
Alors que la COP30 s’ouvre au Brésil, à peine le tiers des pays ont soumis ou annoncé une nouvelle cible rehaussée, bien qu’ils devaient tous le faire cette année.
Avec ce qui est sur la table, l’ONU estime que les émissions mondiales reculeraient à peine de 12 % à 15 % d’ici à 2035 par rapport à 2019, et de 9 % à 11 % si on exclut la cible américaine.
Des résultats qui sont très loin du rythme nécessaire pour rester à portée d’un seuil de réchauffement à 1,5 degré, qui exigerait, selon les experts de l’ONU, une réduction des émissions de… 60 %.

Vue générale de la mine de charbon à ciel ouvert Topa dans l'État indien du Jharkhand, en Inde, un pays qui dépend encore beaucoup de cette énergie fossile. Photo : Reuters / Amit Dave
Et si les énergies renouvelables explosent dans de nombreux pays de la planète, elles s’ajoutent trop souvent aux combustibles fossiles, au lieu de les remplacer. La production de ces derniers ne diminue pas encore.
Les signataires de l’Accord de Paris ont beau s’être engagés, à la COP28 de Dubaï en 2023, à enclencher une transition hors des énergies fossiles, aucun pays n’a pour l’instant présenté des objectifs chiffrés de sortie du pétrole et du gaz.
Le constat est brutal, et la COP30 se présente avec de grands vents de face.
Entre l’instabilité géopolitique, la fragilité économique alimentée par la guerre commerciale américaine et le virage anti-climat de l’administration Trump, le contexte joue, plus que jamais, contre les impératifs de l’action climatique.
Dix ans après la signature du plus vaste accord climatique jamais conclu, les États reculent partout ou presque sur l’environnement. À commencer par le Canada, qui se distingue comme le cancre des pays du G7 en matière de réduction des émissions.
Ce contexte peut-il sonner le glas de l’Accord de Paris?
C’est improbable, parce que la décarbonation est un ingrédient de plus en plus essentiel à la santé économique des pays.
Un autre scénario peut encore s’écrire. Celui, peut-être, d’une alliance entre la Chine, qui prendrait le leadership de la décarbonation, l’Europe, dont l’intérêt stratégique de ne plus dépendre des énergies fossiles importées est clair, et certaines puissances émergentes, comme le Brésil, qui pourraient convaincre les autres pays d’investir pour sauver les forêts tropicales, l’un des grands aspirateurs de carbone de la planète.
Si l’Accord de Paris déplaît à certains pays, un fait demeure : il profite à tout le monde.