Chine

La Chine mène une répression sans frontières contre ses dissidents

Auteur: Gaétan Pouliot Source: Radio Canada
Avril 28, 2025 at 10:20
Pékin mène une campagne mondiale pour intimider et réduire au silence des membres de sa diaspora, selon une enquête internationale.  Photo : ICIJ
Pékin mène une campagne mondiale pour intimider et réduire au silence des membres de sa diaspora, selon une enquête internationale. Photo : ICIJ

Une enquête menée par le Consortium international des journalistes d’investigation lève le voile sur les tactiques utilisées par la Chine pour réduire au silence les critiques au-delà de ses frontières.

Pékin mène une campagne mondiale pour intimider et réduire au silence des membres de sa diaspora, selon des entretiens menés avec 105 personnes dans 23 pays. Leur crime : avoir critiqué le gouvernement chinois en public ou en privé.

Les personnes interviewées par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) et par des médias partenaires sont des dissidents politiques originaires de Chine et de Hong Kong ainsi que des membres des minorités ethniques ouïghoure et tibétaine.

Elles témoignent avoir été la cible des autorités chinoises au cours des dernières années pour avoir défendu les droits des minorités ethniques de Chine et pour avoir abordé des sujets jugés tabous par le Parti communiste chinois, notamment l'indépendance de Taïwan et de Hong Kong ainsi que le mouvement spirituel Falun Gong.

« Nous avons peur de nous exprimer »

Le 5 mai 2024, l’activiste chinois Jiang Shengda se préparait à prendre la parole devant des centaines de manifestants sur la place de la République, à Paris.

 

Une manifestation contre Xi Jinping le 5 mai 2024 à Paris.
Une manifestation contre Xi Jinping le 5 mai 2024 à Paris. PHOTO : JIANG SHENGDA
 

 

Il a alors reçu un appel de sa mère, qui résidait à Pékin. 

Cette manifestation, organisée en marge de la visite officielle du président chinois Xi Jinping en France, dénonçait les violations des droits de la personne en Chine.

Jiang n’a pas répondu. 

Elle allait certainement me transmettre le message des autorités, selon lequel je ne devrais participer à aucune activité publique pendant la visite de Xi Jinping, a raconté Jiang à l'ICIJ.

Quelques jours avant le voyage de Xi à Paris, ses parents l’avaient contacté pour lui dire que des policiers en civil leur rendaient visite depuis des mois. Ils se présentaient à toute heure et les forçaient à les rencontrer dans des salons de thé et dans des restaurants.

Votre enfant fait certaines choses à l'étranger qui sont contraires aux lois chinoises, a-t-on dit à ses parents, a expliqué Jiang en entrevue.

 

Jiang Shengda.
L’activiste chinois Jiang Shengda. PHOTO : MAXIME TELLIER/RADIO FRANCE

 

Jiang estime que les autorités chinoises ont utilisé les mêmes tactiques avec d'autres membres de son groupe de militants, le Front de la liberté en Chine. Pour cette raison, certains ont cessé de militer et ont quitté le groupe, a-t-il raconté.

 

Même si nous vivons dans un pays libre, nous avons toujours peur de nous exprimer et de subir le harcèlement du Parti communiste chinois.

Une citation deJiang Shengda, activiste chinois

 

Des Chinois qui vivent à l'étranger, comme Jiang, sont ciblés par les autorités de leur pays d’origine, que ce soit directement ou par l’entremise de parents, d’amis ou même d’anciens professeurs.

La moitié des 105 personnes interviewées par le Consortium des journalistes d’investigation ont d’ailleurs déclaré que des membres de leur famille en Chine ont été intimidés et interrogés par la police ou par des responsables de la sécurité d'État. Plusieurs ont indiqué que ces démarches d'intimidation ont eu lieu quelques heures seulement après leur participation à des manifestations ou à des activités publiques à l'étranger.

La grande majorité de ces personnes ont demandé l’anonymat par crainte de représailles contre elles-mêmes ou contre leur famille.

Intimidation internationale

Les pressions exercées sur le jeune activiste Jiang s'inscrivent dans une campagne à grande échelle orchestrée par le gouvernement chinois pour contraindre et intimider les membres de sa diaspora, selon des observateurs de la Chine.

Le président Xi Jinping est déterminé à approfondir le contrôle du Parti communiste sur la Chine et sur la diaspora, explique Emile Dirks, chercheur sur l'autoritarisme au Citizen Lab de l'Université de Toronto. Aucune opposition à cet objectif, aussi petite soit-elle, n'est tolérée.

 

Le président chinois Xi Jinping sur un écran géant.
Le mainmise de Xi Jinping est totale depuis son arrivée au pouvoir, en 2012. (Photo d'archives). PHOTO : GETTY IMAGES / GREG BAKER

 

À la suite de son arrivée au pouvoir, en 2012, Xi Jinping a voulu renforcer l’emprise du parti en intensifiant la répression contre ses ennemis : les fonctionnaires corrompus, les groupes de la société civile, les activistes ainsi que les minorités ethniques et religieuses.

À mesure que la répression s'intensifiait, les représentants de la sécurité de l'État ont commencé à poursuivre ceux qui vivaient au-delà des frontières de la Chine, poursuit Emile Dirks.

Parmi tous les pays qui pratiquent la répression contre leurs critiques à l'étranger, la Chine se distingue comme un des pires acteurs. Des gens ont été contraints de retourner en Chine pour y être jugés. D'autres ont été enlevés. D'autres encore ont été agressés, raconte-t-il.

Parmi les 105 personnes interviewées par le Consortium des journalistes d’investigation, nombreux sont ceux qui affirment être victimes de cette campagne de répression internationale de la Chine :

  • 60 croient avoir été suivies ou surveillées dans leur pays d'adoption;
  • 27 disent avoir été victimes d'une campagne de diffamation en ligne;
  • 22 disent avoir reçu des menaces physiques ou avoir été agressées par des civils qui soutenaient ouvertement le Parti communiste chinois;
  • 19 déclarent avoir reçu des courriels suspects ou avoir été victimes de tentatives de piratage, y compris par des acteurs étatiques;
  • D’autres signalent que leurs comptes de banque ont été gelés en Chine et à Hong Kong.

Le porte-parole de l'ambassade de Chine à Washington, Liu Pengyu, rejette les allégations de répression transnationale. Il les qualifie de sans fondement et de fabriquées par une poignée de pays et d'organisations pour calomnier la Chine

Dans un communiqué envoyé à l’ICIJ, l'ambassade affirme qu'aucune action qui ciblerait des dissidents allégués ou encore des Chinois d'outre-mer n'a cours hors des frontières de la Chine. 

Le Canada est lui aussi touché par le phénomène documenté par le Consortium des journalistes d’investigation.

Lors de la présente campagne électorale fédérale, le candidat conservateur Joe Tay a été la cible d’une opération de répression transnationale par l’entremise de médias sociaux comme Facebook et WeChat.

Il s’agit non pas d’un seul acte en ligne mais plutôt d’une série d’actes visant à discréditer un candidat, à faire taire les critiques et les dissidents ainsi qu'à manipuler les renseignements qui guident les électeurs, a indiqué le gouvernement fédéral dans un communiqué la semaine dernière.

En décembre dernier, la police de Hong Kong a lancé un avis de recherche contre M. Tay avec une promesse de récompense en argent pour toutes informations qui pourraient mener à son arrestation.

Joe Tay, qui se présente dans la circonscription de Don Valley North, à Toronto, est connu pour ses critiques envers Pékin.

Postes de police chinois au Canada

En 2022 et en 2023, la Gendarmerie royale du Canada (GRC) a dévoilé qu'elle menait des enquêtes criminelles sur de présumés postes de police chinois clandestins au Canada, dont deux au Québec.

Nous avons des informations selon lesquelles la diaspora chinoise et la communauté chinoise québécoise seraient intimidées, subiraient des pressions [et seraient] peut-être même menacées par certains individus œuvrant au sein d'un pouvoir étranger, avait expliqué, en mars 2023, Charles Poirier, porte-parole de la GRC, en évoquant un « climat de terreur ».

Depuis cette sortie publique, aucune accusation n’a été déposée. L’enquête est toujours en cours, a confirmé la police fédérale à Radio-Canada.

Deux organismes communautaires ciblés par cette enquête, l’un à Montréal et l’autre à Brossard, poursuivent actuellement la GRC en diffamation et réclament 4,9 millions de dollars en dommages. 

Ces deux organismes sont dirigés par Xixi Li, une conseillère municipale de Brossard.

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