Les services frontaliers canadiens ont retrouvé des centaines de véhicules volés, destinés à être expédiés en Afrique par un réseau spécialisé également dans la fraude amoureuse.
De Montréal jusqu’aux ports de Cotonou, au Bénin, ou d’Abidjan en Côte d’Ivoire. C’est le principal trajet maritime qu'empruntent de plus en plus de véhicules volés au Canada.
Comme l’a révélé Radio-Canada, un groupe criminel originaire d’Afrique de l’Ouest, intitulé le « crime organisé africain » ou le COAF par les autorités canadiennes, s’est installé au Québec dans les dernières années.
Spécialisé dans l’arnaque amoureuse en ligne, ce réseau est également impliqué dans le blanchiment d’argent et l’exportation de voitures volées, depuis la métropole québécoise.
Ces véhicules sont ensuite envoyés directement en Afrique de l’Ouest. Toutes les semaines, nos équipes retrouvent plus de 20 à 25 véhicules [volés] avant leur départ, confie Yannick Béland, surintendant à l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC).
Montréal, reprend-il en désignant des conteneurs en cours d’inspection dans un entrepôt situé à quelques centaines de mètres de la zone portuaire, est un endroit stratégique pour ce groupe criminel.
L’accessibilité au port de Montréal est plus rapide, moins dispendieuse [que d’autres ports comme Vancouver ou Halifax]. C’est aussi une question de distance, de facilité pour envoyer ces véhicules en Afrique de l’Ouest, ajoute-t-il.
Le véhicule est volé dans la rue, puis il est transbordé et embarque dans un conteneur. On est le dernier rempart.
Une citation deYannick Béland, surintendant de l’ASFC
L’an passé, indique le surintendant Béland, les services frontaliers ont découvert plus de 1500 véhicules volés, essentiellement des VUS de grande valeur, volés au Québec et en Ontario, s’apprêtant à quitter le port de Montréal, cachés dans des conteneurs verrouillés. Une partie de ces vols serait due au COAF, selon l’ASFC.
Ce sont des chiffres à la hausse, précise Yannick Béland. Dans un seul conteneur, décrit-il, quatre véhicules peuvent être cachés, grâce à des crochets pour maximiser l’espace. Parfois, il y a de la marchandise qui dissimule les véhicules à l’intérieur, comme des matelas ou autres articles ménagers, détaille-t-il, en évoquant la complexité de telles vérifications.
Des concessionnaires de véhicules d’occasion complices
Selon des enquêtes menées par le service de renseignements de l’ASFC, avec l’aide de différents corps policiers, « plus de 200 membres du crime organisé africain ont été identifiés au Québec », explique Karine Caron, analyste pour l'ASFC.
Ces criminels, experts de la fraude amoureuse qui fait des ravages au Canada, sont principalement originaires de la Côte d’Ivoire et du Bénin, et entrent au Canada avec un permis d’études, a constaté l’ASFC.
Un certain pourcentage de l’argent tiré de la fraude est envoyé en Afrique ou blanchi via des compagnies de transferts monétaires, des concessionnaires de véhicules d’occasion ou des entreprises d’exportation de véhicules (souvent volés) vers l’Afrique, peut-on lire dans un rapport confidentiel des services frontaliers, déposé devant les tribunaux dans le cadre de dossiers judiciaires, visant à expulser et à condamner des membres de ce réseau.
L’achat et l’export de véhicules financés par la fraude amoureuse est une façon claire de blanchir l’argent de la fraude.
Une citation deExtrait d’un rapport d’analyse de l’ASFC
Selon nos informations, des complices canadiens sont aussi utilisés pour mettre ces véhicules dans des conteneurs. Certaines entreprises sont déjà connues de l’ASFC, mentionne cette analyse. Des surveillances policières et financières, afin de suivre les flux monétaires, sont d’ailleurs en cours afin de démanteler ces réseaux, a-t-on appris.
Ces concessionnaires basés au Canada, suspectés de participer à l'envoi de véhicules volés, seraient souvent détenus par des résidents permanents ou des citoyens canadiens, originaires eux aussi d'Afrique de l'Ouest, nous a-t-on indiqué.
Certains complices présumés ont même des liens directs avec des spécialistes de l'arnaque en ligne, déjà condamnés au Canada, et ont eux aussi participé au transit d’argent provenant de ces arnaques.
« Des membres impliqués dans la fraude amoureuse et dans différents types de criminalité ont aussi des entreprises qui vont faciliter l'exportation de véhicules. On voit des ramifications en Côte d'Ivoire, au Bénin et au Nigeria », souligne Karine Caron.
Une fois arrivés en Afrique de l’Ouest, ces véhicules peuvent être vendus dans les rues d’Abidjan, comme l’émission Enquête a pu le constater (nouvelle fenêtre), ou être envoyés dans d’autres régions, jusqu’au Moyen-Orient. Des opérations menées par Interpol, une organisation policière internationale, ont déjà permis de retrouver des dizaines de voitures volées (nouvelle fenêtre) au Canada, en Côte d’Ivoire ou encore à Lagos, la capitale du Nigeria, au printemps dernier (nouvelle fenêtre).
Ces véhicules sont aussi utilisés pour blanchir de l’argent en Afrique de l’Ouest, affirme le criminologue ivoirien Ladji Bamba, rencontré par l’émission Enquête à Abidjan.
Quand les voitures arrivent au port, les commerçants ici les récupèrent et les mettent dans leur magasin. Ça entre correctement dans le circuit. [Ces criminels] ont des entrées au niveau des différents ports douaniers. Il y a de la complicité là-dedans, déplore le professeur à l’Université Félix-Houphouët-Boigny, auteur de plusieurs études sur l’évolution des réseaux criminels.
Des liens avec le Hezbollah
Selon les renseignements des services frontaliers canadiens, les activités du COAF financeraient également des activités terroristes et ce réseau aurait des liens avec l’organisation libanaise du Hezbollah. Des membres influents du mouvement chiite seraient d’ailleurs actifs en Afrique de l’Ouest, comme l’ont révélé différentes enquêtes médiatiques. (nouvelle fenêtre)
Quand on parle du crime organisé, chaque entité a des connexions, confirme Ladji Bamba. Ce qu’il se passe, soutient-il, c’est impressionnant.
Des informations similaires figurent dans le rapport 2025 du ministère des Finances du Canada, intitulé Évaluation des risques de recyclage des produits de la criminalité et de financement des activités terroristes au Canada.
Des fonds soupçonnés d’appuyer le Hezbollah ont été envoyés ou reçus en lien avec le commerce de voitures d’occasion.
Une citation deRapport 2025 du ministère de Finances du Canada
Selon ce document, le port de Montréal est un lieu connu de transit pour les véhicules de luxe expédiés au Liban, une activité qui soutient financièrement le Hezbollah. Ce dernier a des liens avec des groupes criminels canadiens et reste un acteur mondial très actif dans le commerce de la cocaïne, de l'héroïne, du fentanyl et du captagon, avec des réseaux de trafiquants couvrant l’Amérique latine, le Canada et les États-Unis.
Des pays comme la Côte d’Ivoire, l’Angola, la République démocratique du Congo ou encore la Belgique et le Royaume-Uni sont utilisés comme intermédiaires, est-il précisé.
Ces fonds soupçonnés d’être utilisés pour financer ce groupe étaient fréquemment envoyés ou reçus par des personnes ou des entités mentionnant la vente de voitures ou répertoriés dans l’industrie automobile, écrivait déjà le Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada (CANAFE), dans une alerte opérationnelle de décembre 2022.
Pour enrayer ce phénomène, tout le monde doit se mobiliser et travailler en synergie, indique Ladji Bamba, en réclamant une meilleure collaboration des autorités des différents pays, y compris le Canada et la Côte d’Ivoire. La lutte contre le crime organisé n’est pas une lutte où il faut s’isoler, juge le criminologue. On ne peut pas limiter ou contrecarrer ces délinquants s'il n’y a pas de coordination ou d’échange d’informations.
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