La Réserve fédérale a annoncé une nouvelle baisse de ses taux directeurs d'un quart de point mercredi soir, inquiète de l'atonie du marché du travail américain. Mais le rebond de l'inflation contraint la Fed à avancer prudemment.
Par Bastien Bouchaud
« Shutdown » ou non, la Réserve fédérale est sur le pont. La Fed a annoncé une nouvelle baisse de taux d'un quart de point ce mercredi pour faire retomber ses taux directeurs entre 3,75 % et 4 %. Elle a par ailleurs annoncé mettre un terme à la réduction de son bilan à partir du 1er décembre. La paralysie budgétaire contraint la banque centrale à avancer à vue, dépouillée de certains de ses indicateurs économiques favoris, mais elle n'a aucune raison de croire à un retour à meilleure fortune du marché de l'emploi.
La Fed a relancé son cycle d'assouplissement monétaire le mois dernier, après avoir temporisé tout au long de l'année. Le ralentissement brutal des créations d'emplois l'a convaincue de réduire le loyer de l'argent pour soutenir l'activité malgré une inflation qui reste nettement supérieure à son objectif cible de 2 %. Une situation inconfortable pour la banque centrale.
Objectifs en tension
Une troisième réduction d'affilée des taux directeur en décembre « est loin d'être acquise », a d'ailleurs prévenu Jerome Powell lors de ses remarques introductives mercredi, causant des remous à Wall Street. Les investisseurs s'étaient en effet convaincus que la Fed poursuivrait ses baisses de taux lors de ses prochaines réunions, à commencer par celle de décembre. Résultat, les valorisations s'envolent à des niveaux vertigineux. Nvidia vient de franchir les 5.000 milliards de dollars de capitalisation, tandis que Microsoft et Apple dépassent chacune les 4.000 milliards.
La prudence de Jerome Powell a jeté un froid en Bourse, alors que la perspective d'une politique monétaire plus accommodante a alimenté l'optimisme débridé des investisseurs, déjà euphoriques face aux promesses spectaculaires de l'intelligence artificielle. Les grands indices américains, du Nasdaq à coloration technologique au S&P 500 plus diversifié, de basculer dans le rouge durant la conférence de presse du président de la Fed.
Les deux mandats de la Fed, maximiser l'emploi et assurer la stabilité des prix, sont « en tension », avait expliqué Jerome Powell en septembre. A trop attendre avant de baisser ses taux, la Fed pourrait laisser le marché du travail se dégrader jusqu'à faire basculer l'économie en récession. « Il n'y a pas de voie sans risque », a souligné le président de la Fed lors de sa dernière conférence de presse.
La situation ne s'est pas améliorée pour la Banque centrale. La paralysie budgétaire aggrave les risques pesant sur l'économie, au moins à court terme. Les annonces de suppressions d'emplois ont monté en cadence ces derniers jours. L'inflation est certes moins élevée qu'on ne pouvait le craindre malgré des droits de douane à leur plus haut niveau en près d'un siècle, mais elle a retrouvé le seuil des 3 % en septembre pour la première fois depuis janvier.
La décision d'abaisser les taux a une nouvelle fois divisé les membres du comité de politique monétaire. Stephen Miran, le plus proche allié du président Donald Trump à la Fed, souhaitait réduire les taux de 50 points de base. Il avait déjà voté en faveur d'une baisse de cette ampleur le mois dernier. Le président de la Fed du Kansas, Jeffrey Schmid, aurait quant à lui préféré maintenir les taux d'équerre ce mois-ci, ce qui confirme que certains banquiers centraux s'inquiètent de raviver les pressions inflationnistes.
Les derniers chiffres confortent toutefois le scénario privilégié par la banque centrale d'un impact temporaire et limité des taxes douanières sur l'inflation. « La répercussion des droits de douane sur les prix des biens de consommation est lente et irrégulière », note Samuel Tombs de Pantheon Macroeconomics. Une réduction des taxes douanières appliquées à la Chine dans le cadre d'un accord commercial avec Pékin relâcherait un peu plus la pression. En parallèle, les hausses de prix des services « restent sous contrôle », remarque-t-il, et la faiblesse du marché du travail va peser de plus en plus dans les mois qui viennent.
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Le président de la Fed a toutefois tout intérêt à garder toutes les options sur la table, « compte tenu du manque de données de qualité disponibles », avertit Fabio Bassi de JPMorgan. La Fed se retrouve en effet contrainte de naviguer de plus en plus à l'aveugle à cause de la paralysie budgétaire aux Etats-Unis.
Navigation à l'aveugle
Tant que le Congrès ne passe pas de nouveau budget, il n'y aura plus de nouvelle publication de chiffres de l'inflation, a prévenu l'administration Trump. Elle a déjà suspendu la publication des données sur les créations d'emploi depuis la fin septembre. Pour ne rien arranger, le spécialiste des données privées sur le marché du travail, ADP, a récemment coupé l'accès des économistes de la banque centrale à ses données granulaires.
La Banque centrale a par ailleurs acté la fin de la réduction progressive de son bilan alors que les marchés de financement de court terme ont montré de premiers signes de tensions ces dernières semaines. La Fed reprendra les réinvestissements de son portefeuille de titres à partir du 1er décembre. Jerome Powell tend à présenter les décisions concernant l'évolution du bilan en termes techniques, mais elles ont une influence significative sur les conditions financières.
La taille du bilan de la Fed a reflué d'un pic à près de 9.000 milliards de dollars en 2022 à près de 6.600 milliards ce mois-ci. Malgré cette cure d'amincissement, le bilan de la Banque centrale reste plus large de 2.000 milliards de dollars qu'avant la pandémie. La fin du resserrement quantitatif devrait contribuer à assouplir les conditions de financement, toutes choses égales par ailleurs, mais la manière dont la Fed compte procéder devrait limiter l'impact de sa décision. Elle compte en effet poursuivre la liquidation de ses titres de prêts hypothécaires, et concentrer ses réinvestissements sur la dette d'Etat américaine.
Le président de la Fed peut au moins souffler sur un point. Donald Trump s'est montré moins vindicatif vis-à-vis de l'institution ces dernières semaines. Le président apprécie de voir la banque centrale finalement abaisser ses taux d'intérêt, même s'il aimerait la voir agir plus rapidement. Mais il doit prendre son mal en patience. La Cour suprême l'a empêché de renvoyer Lisa Cook du conseil des gouverneurs avant de juger l'affaire sur le fond, ce qui attendra une première audience en janvier. Le mandat de Jerome Powell à la tête de l'institution ne prendra quant à lui fin qu'en mai prochain.
Bastien Bouchaud (Bureau de New York)