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Analyse« Bang, bang, bang! » : la rafale d’actions au cœur de la stratégie de Donald Trump

Auteur: admin Source: Radio Canada
Février 14, 2025 at 07:02
PHOTO : GETTY IMAGES / JIM WATSON/AFP
PHOTO : GETTY IMAGES / JIM WATSON/AFP

Depuis le retour de Donald Trump au pouvoir, les décrets et les annonces se succèdent à un rythme infernal. Explications d’un plan délibéré pour submerger ses adversaires et l’espace médiatique.


Intense. Chargé. Brutal. Le début du deuxième mandat de Donald Trump ne laisse pas le temps de souffler.

À peine revenu à la Maison-Blanche, le 47e président américain enchaîne les mesures à une vitesse vertigineuse, proportionnelle à leurs visées radicales et à leur portée.

De l’urgence nationale à la frontière sud aux droits de douane tous azimuts en passant par la prise de contrôle de Gaza, par les compressions massives au sein du gouvernement ou même par les pailles de papier, peu de questions échappent au large feutre noir de Donald Trump, à ses annonces et aux interventions de son administration.

Avec à sa tête le multimilliardaire Elon Musk, sacré sabreur des dépenses publiques, le controversé département de l’efficience gouvernementale joue un rôle particulièrement déterminant dans l’électrochoc administré quotidiennement à l’appareil gouvernemental.

L'hyperactivité de cette jeune présidence Trump 2.0 témoigne certes de la volonté de s’attaquer à toute allure à ses priorités, axées autour des guerres déclarées à l’immigration clandestine, aux programmes de diversité, à l’idéologietransgenre, à une bureaucratie perçue comme lui étant hostile et aux pays accusés d’abuser des États-Unis.

Toutefois, ce déluge d’annonces s’inscrit aussi dans un plan délibéré qui vise justement à inonder la zone.

Cette tactique avait été préconisée en 2018 par l’idéologue d’extrême droite Steve Bannon, stratège de la Maison-Blanche au début du premier mandat de Donald Trump.

 

Les démocrates ne comptent pas. La véritable opposition, ce sont les médias. Et la façon de traiter avec eux est d'inonder la zone avec de la merde.

Une citation de Steve Bannon, février 2018

 

Tout ce que nous avons à faire, c'est d'inonder la zone. Chaque jour, nous les frappons avec trois choses. Ils vont se jeter sur l'une d'entre elles et nous ferons toutes les choses que nous voulons. Bang, bang, bang. Ces gens-là ne pourront jamais, jamais s’en remettre. Mais il faut que le projectile initial parte rapidement, avait-il expliqué en entrevue à PBS en 2019.

Au-delà du nombre de mesures mises en œuvre par l’administration Trump, il y a leur portée. Ce n’est pas qu’un simple virage à droite qui est opéré : plusieurs d’entre elles testent les limites des pouvoirs présidentiels et grugent les pouvoirs constitutionnels du Congrès (le démantèlement d’un département ou l’allocation des ressources budgétaires, par exemple) avec l’assentiment des républicains, majoritaires dans les deux Chambres.

Ironiquement, la pause involontaire de quatre ans a joué en faveur du politicien défait en 2020 : sa poigne sur les républicains du Congrès s’est encore resserrée et son entourage – composé cette fois-ci de loyalistes et purgé des collaborateurs qui tentaient de modérer ses ardeurs – était fin prêt.

À côté de deux de ses collègues, Stephen Miller parle dans le bureau ovale près d'un portrait de George Washington.
Le chef de cabinet adjoint de la Maison-Blanche pour les politiques, Stephen Miller, s'exprime après la signature d'une nouvelle série de décrets par le président américain Donald Trump le 10 février 2025. PHOTO : GETTY IMAGES / ANDREW HARNIK  

 

Divers médias américains désignent son conseiller Stephen Miller, de retour à la Maison-Blanche cette fois-ci en tant que chef de cabinet adjoint pour les politiques, comme un des maîtres d'œuvre de cette approche gonflée aux stéroïdes.

C’est un plan d’action auquel il pense depuis des années, rapporte CNN au sujet de celui que l’ancien président républicain de la Chambre des représentants Kevin McCarthy surnomme « le cerveau de Trump ».

Son but, selon le New York Times : noyer non seulement les médias mais aussi les démocrates, les fonctionnaires fédéraux et les groupes de défense des droits de la personne comme l’ACLU – tous perçus comme des ennemis de Donald Trump – sous un déluge d’initiatives, en fonction de la prémisse selon laquelle leurs capacités à s’opposer au programme du président républicain sont limitées.

Minoritaires tant au Sénat qu’à la Chambre des représentants, les démocrates peinent d’ailleurs à offrir une opposition efficace et unifiée. Depuis peu, ils semblent cependant avoir dans leur mire Elon Musk, en perte de popularité.

 

Un feu roulant

Une série de documents est sur le bureau ovale, avec Donald Trump en arrière-plan.
Le président Donald Trump a signé une vingtaine de décrets dans le bureau ovale de la Maison-Blanche le 20 janvier, jour de son arrivée au pouvoir à Washington en tant que 47e président des États-Unis. PHOTO : ASSOCIATED PRESS / EVAN VUCCI  
 

Suppression de la citoyenneté américaine acquise en vertu du droit du sol, appareil gouvernemental sommé de préparer des réductions de personnel à grande échelle, exploitation des ressources énergétiques, abolition des programmes de diversité, d'équité et d'inclusion, retrait de l’Accord de Paris, sanctions contre la Cour pénale internationale, retrait du Conseil sur les droits de l’homme de l’ONU, émeutiers impliqués dans l’assaut du Capitole quasi tous graciés : depuis son investiture, le 20 janvier, Donald Trump a mitraillé une soixantaine de décrets.

En 10 jours, il en a promulgué davantage que n’importe lequel de ses prédécesseurs des quatre dernières décennies au cours des 100 premiers jours de leur mandat, selon NBC News.

À ces décrets s'ajoutent de multiples proclamations, comme celle rebaptisant le golfe du Mexique « golfe de l'Amérique », et autres mesures exécutives.

La déferlante s’étend à une politique étrangère et commerciale qui bombe le torse, même devant les pays alliés comme le Canada et le Mexique, principaux partenaires économiques des États-Unis, pourtant sur la ligne de front tarifaire.

C’est sans compter les ambitions territoriales (réelles ou tactiques) qu’affiche le président américain sur le canal de Panama, le Groenland, le Canada, vu comme le 51e État américain, ou la bande de Gaza, imaginée en « riviera du Proche-Orient »sous contrôle américain et vidée de ses 2,4 millions de Palestiniens, voire l’entente avec son homologue russe Vladimir Poutine pour lancer des négociations immédiates au sujet de l’Ukraine.

À coups d’actions musclées, son administration nourrit elle aussi le feu roulant.

Ici, le département de la Justice a congédié des procureurs qui ont participé aux deux poursuites criminelles fédérales intentées contre Donald Trump. Là, le Bureau de la gestion et du budget de la Maison-Blanche (OMB) a gelé des milliers de milliards de dollars d’aides gouvernementales tandis que les Instituts nationaux de santé (NIH) ont annoncé des compressions substantielles dans le financement de la recherche biomédicale, par exemple.

Elon Musk, son fils et Donald Trump dans le bureau ovale.
Après avoir signé un décret renforçant le rôle du DOGE, le président Donald Trump écoute Elon Musk, avec son fils X Æ A-Xii, s'exprimer dans le bureau ovale de la Maison-Blanche, le 11 février 2025 à Washington.PHOTO : ASSOCIATED PRESS / ALEX BRANDON

 

Orchestration du plan de départs volontaires pour la majorité des employés fédéraux, démantèlement annoncé de l'Agence des États-Unis pour le développement international (USAID), prise de contrôle du système de paiements du Trésor américain : Elon Musk, lui, multiplie les interventions dans l'appareil gouvernemental pour le soumettre à un régime draconien.

L'homme le plus riche du monde, qui ne devait initialement que présenter à la Maison-Blanche des recommandations pour réduire les dépenses fédérales, semble en outre consolider chaque jour son pouvoir sur l’administration publique.

 

Un marathon au rythme effréné

La stratégie poursuivie par l’équipe de Donald Trump est efficace. Et épuisante.

Le président américain s’impose lourdement dans la couverture médiatique, même à l’étranger.

Et pourtant, plusieurs nouvelles concernant son administration qui, dans une réalité moins atypique, mériteraient d’être couvertes peinent à émerger ou passent carrément à la trappe. D’autres qui, elles, défraieraient habituellement les manchettes pendant des jours sont chassées par de nouvelles annonces et de nouvelles controverses.

Suivre le fil s’avère un défi complexe.

C’est d’autant plus vrai que des dizaines de poursuites, ponctuées de décisions qui ont temporairement suspendu plusieurs mesures, viennent s’ajouter au flot incessant de nouvelles. 

Le bâtiment de la Cour suprême des États-Unis.
Les luttes juridiques autour de plusieurs mesures de l'administration Trump se régleront vraisemblablement à la Cour suprême des États-Unis. PHOTO : GETTY IMAGES / JEMAL COUNTESS

 

La table est mise pour des batailles juridiques qui aboutiront en Cour suprême, à majorité conservatrice.

Plusieurs experts redoutent une crise constitutionnelle avec un président qui défierait les décisions des tribunaux. Les déclarations de Donald Trump, du vice-président J.D. Vance, de Stephen Miller et d'Elon Musk à propos des tribunaux ne sont pas de nature à les rassurer.

Cela n'empêche pas une majorité d’Américains de trouver pour leur part le nouvel occupant de la Maison-Blanche efficace et énergique, selon un récent sondage de CBS News. Il faut dire que le politicien de 78 ans, omniprésent, offre un contraste saisissant avec son impopulaire prédécesseur à peine plus âgé que lui.

Son taux d’approbation n’a même jamais été aussi élevé.

Reste à voir combien de temps l’administration maintiendra ce rythme et combien de temps durera la lune de miel avec les Américains, surtout si l’inflation, grande priorité des électeurs pendant la campagne présidentielle, perdure. D'autant plus que les énormes droits de douane brandis par Donald Trump risquent, selon plusieurs économistes, de faire grimper les prix. 

En attendant, le marathon de quatre ans est de toute évidence bien entamé. Mais au quotidien, il se court comme un sprint.

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