L'administration Trump n'a publié qu'une partie des centaines de milliers de pages du dossier criminel. Elles sont largement noircies. Le président risque de décevoir ses partisans, persuadés que le gouvernement continue à leur cacher la vérité.
Par Solveig Godeluck
On aurait voulu remplacer « l'affaire Epstein » par une nouvelle « affaire Clinton », qu'on ne s'y serait pas pris autrement. Vendredi, le département américain de la Justice a publié 300.000 pages de documents et de photos de l'enquête sur Jeffrey Epstein, un pédophile mondain mort en prison en 2019. Plusieurs photos anciennes montrent Bill Clinton souriant, à côté du criminel ou en compagnie de jeunes femmes, dans une piscine, dans un jacuzzi.
Jeffrey Epstein et son cercle auraient abusé de plus de 1.200 personnes, selon le vice-procureur général Todd Blanche. Cette avalanche de pièces, où de larges passages sont censurés, n'apporte cependant aucune clarté à l'affaire, faute de véritable révélation.
« Pas de preuve » contre Bill Clinton
« Quel intérêt pourrait bien avoir le gouvernement américain à garder les secrets des clients d'Epstein ? Oh… », avait attaqué le républicain J.D. Vance fin 2021, sous Joe Biden. Les complotistes continuent à se poser la question, mais cette fois, les conservateurs sont aux manettes et donc sur le gril.
Depuis la rentrée, Donald Trump est sous pression, car sa base réclame la publication intégrale des documents de l'affaire Epstein, comme promis pendant la campagne électorale. « Circulez, il n'y a rien à voir », a d'abord indiqué la ministre de la Justice Pam Bondi, jusqu'à ce que le Congrès lui force la main en votant la déclassification.
Le président s'est incliné et a promulgué la loi. Mais il a tenté de détourner l'attention de son amitié avec le pédophile, qui a duré jusqu'au milieu des années 2000. Il a notamment dû se justifier après que le « Wall Street Journal » a publié un dessin obscène de sa main, offert à Jeffrey Epstein, en septembre.
De toute façon, je ne suis jamais allé dans l'île, et Bill Clinton y est allé probablement 28 fois.
Donald Trump, président des Etats-Unis
En juillet, il a ainsi assuré sans preuve à des journalistes que l'ancien président était un habitué de la villa d'Epstein dans les Caraïbes. « De toute façon, je ne suis jamais allé dans l'île, et Bill Clinton y est allé probablement 28 fois », a-t-il lancé. En réalité, le démocrate a voyagé six fois à bord du jet privé du millionnaire en 2002 et en 2003, mais avec pour destination de grandes villes dans le monde.
« Il n'y a pas de preuve » d'un séjour [de l'ex-président] dans la villa, a reconnu il y a une semaine la directrice de cabinet de Donald Trump, Susie Wiles, dans un entretien à « Vanity Fair ». Quant à l'existence de pièce incriminant Bill Clinton dans le dossier Epstein, « le président a eu tort sur ce point », a-t-elle ajouté. La précieuse aide de camp du président, qui s'était livrée avec candeur, a ensuite dénoncé une interview « à charge ».
Si Bill Clinton est partout, Donald Trump se fait discret dans les documents rendus publics. Lors de précédentes déclassifications, le nom Trump avait surgi dans une liste de passagers de jet et dans un carnet d'adresses ayant appartenu au criminel. Ce vendredi, on pouvait seulement voir une photo du livre « The Art of the Comeback » sur une étagère et une autre de Jeffrey Epstein avec à la main un chèque signé Trump.
Des images où Donald Trump apparaît en compagnie du pédophile ou entouré de jeunes femmes ont même été retirées après une brève apparition. « Pam Bondi, est-ce vrai ? Qu'est-ce que vous couvrez d'autre ? Nous avons besoin de transparence pour le public américain », ont protesté sur X les démocrates de la Commission de surveillance de la Chambre, forçant le gouvernement à republier ces pièces.
Une censure « pas Maga »
Les élus estiment aussi que les passages noircis sont trop nombreux, et reprochent à l'exécutif de ne pas avoir publié l'intégralité du dossier dans le délai légal. Todd Blanche a expliqué sur Fox News qu'il faudrait encore deux semaines pour vérifier que les victimes ne sont pas identifiables avant de publier les documents.
« Ils bravent la loi », s'est offusqué le député républicain Thomas Massie, déjà en délicatesse avec Donald Trump. Lui et le démocrate Ro Khanna envisageaient samedi de lancer une procédure de destitution contre Pam Bondi, à valeur symbolique.
« Les gens enragent et s'en vont », a commenté Marjorie Taylor Greene, une élue qui a récemment rompu avec le président. Sur X, la passionaria populiste montre du doigt « les documents Epstein lourdement censurés, l'échec de la publication à l'échéance légale, le floutage des individus politiquement exposés et des responsables administratifs ». Tout cela n'est « Pas Maga », conclut-elle.
Solveig Godeluck (Bureau de New York)