Hollywood

Décès de Gene Hackman, l’improbable star

Auteur: François Lévesque Source: Le Devoir
Février 27, 2025 at 18:32
Photo: Hecto Mata Agence France-Presse  Gene Hackman aux Golden Globes en 2003.
Photo: Hecto Mata Agence France-Presse Gene Hackman aux Golden Globes en 2003.

Lauréat de deux Oscar, il avait été nommé le moins susceptible de réussir au sein de sa cohorte d’acteurs.


Gene Hackman avait beau s’être retiré du jeu en 2004, son décès ce mercredi à l’âge de 95 ans laisse les cinéphiles en deuil. Plusieurs de ses films ont fait école, comme The French Connection (La filière française), pour lequel il remporta l’Oscar du meilleur acteur, The Conversation (Conversation secrète), Superman, et Unforgiven(Impardonnable). À cela s’ajoute maints autres titres mémorables, comme Scarecrow (L’épouvantail), Night Moves (La fugue), et Mississippi Burning (Le Mississippi brûle). Difficile de croire qu’alors qu’il étudiait le jeu, ses pairs le déclarèrent le moins susceptible de réussir.

La dépouille de Gene Hackman a été retrouvée aux côtés de celle de sa conjointe Betsy Arakawa, 63 ans, une pianiste de renom, et de leur chien. Déclarant qu’il n’y avait pas de trace d’acte criminel, les autorités ont toutefois annoncé la tenue d’une enquête, les morts étant jugées suspectes.

Figure emblématique du Nouvel Hollywood, Gene Hackman vient au monde en janvier 1930. Dès l’âge de 10 ans, il rêve de devenir acteur. Complexé par son apparence — il ne possède pas un physique de jeune premier —, il se résigne à une carrière militaire : mentant sur son âge, il s’enrôle à 16 ans. En 1951, il reçoit sa décharge, s’installe à New York où il vit de divers boulots, avant de rentrer en Illinois, où il s’inscrit en journalisme.

Or, la passion est plus forte. En 1956, le voici donc en Californie, étudiant en théâtre envers et contre tous. En entrevue à Vanity Fair en 2004, Hackman confie avoir utilisé le « rejet » comme un carburant : « Je n’allais pas laisser ces merdeux me démolir », se souvient-il.

Dans sa biographie de l’acteur, Allan Hunter écrit à propos de cette période charnière : « Au début, il hésitait à s’engager dans une telle voie. En se regardant dans le miroir, il se rendait douloureusement compte que son visage ordinaire et robuste ne correspondait en rien aux traits d’Errol Flynn et qu’il ne pourrait probablement jamais espérer devenir un acteur principal de cette trempe. De plus, il avait déjà perdu beaucoup de temps, temps qu’il ne pourrait jamais récupérer dans un domaine très compétitif qui semblait toujours favoriser jeunesse et beauté. Ses amis proches doutaient peut-être de sa santé mentale, mais sa modeste ambition se limitait à l’espoir de pouvoir vivre d’une profession précaire. »

Las qu’on lui prédise que Hollywood ne voudrait jamais de lui, Hackman regagne New York où il vivote en compagnie de deux amis proches : Dustin Hoffman et Robert Duvall. En 1964, il est enfin remarqué à Broadway (dans la pièce Any Wednesday). Dès lors, Hollywood s’intéresse à lui, mais toujours pour de petits rôles.

 

Photo: Philippe Wojazer Archives Agence France-PressePhoto de l’acteur Gene Hackman prise le 7 janvier 1985 à Paris, pendant le tournage du thriller « Target » réalisé par Arthur Penn.
Photo: Philippe Wojazer Archives Agence France-PressePhoto de l’acteur Gene Hackman prise le 7 janvier 1985 à Paris, pendant le tournage du thriller « Target » réalisé par Arthur Penn.

 

La consécration

En 1967, Hackman tire son épingle du jeu dans un bon second rôle face à Faye Dunaway et Warren Beatty dans Bonnie and Clyde, d’Arthur Penn, film phénomène de 1967. En 1970, il décroche enfin une partition à sa mesure, celle d’un veuf aux prises avec un père dominateur dans I Never Sang for My Father (Mon père n’a jamais écouté mes…), de Gilbert Cates : il est nommé à l’Oscar du meilleur acteur de soutien.

L’année suivante, c’est la consécration avec le drame policier The French Connection, de William Friedkin : un des cinq Oscar reçus va à Hackman, qui compose un personnage d’anthologie avec son détective Popeye Doyle.

Les années 1970 sont fastes mais inégales. On se souviendra du meilleur : Prime Cut, de Michael Ritchie, un thriller campé dans un abattoir ; The Poseidon Adventure (L’aventure du Poseidon), de Ronald Neame, en révérend héroïque dans le paquebot chaviré du titre ; The Conversation, de Francis Ford Coppola, en expert en surveillance paranoïaque ; Night Moves, à nouveau d’Arthur Penn, où Hackman incarne un détective privé futé ; Bite the Bullet (La chevauchée sauvage), western robuste de Richard Brooks…

Et bien sûr Superman, en 1978, où l’acteur crée un Lex Luthor savoureux. La suite de ce succès planétaire, Superman II, ouvre une décennie 1980 à l’image de la précédente, c’est-à-dire que Gene Hackman tourne énormément, souvent de trois à cinq films par année : du bon, du pas très bon, mais aussi de l’excellent, comme Under Fire (Au cœur du feu), de Roger Spottiswood, en journaliste de guerre ; Hoosiers, de Davis Ansbaugh, en coach en quête de rédemption ; No Way Out (L’impasse), de Roger Donaldson, en secrétaire de la Défense cocufié ; Mississippi Burning, d’Alan Parker, en agent du FBI qui a le KKK dans sa mire.

Hackman demeure extrêmement occupé durant les années 1990, à la différence qu’il effectue volontiers de courtes apparitions pour le simple plaisir de tourner avec de grands collègues et cinéastes, par exemple en réalisateur bienveillant auprès de Meryl Streep dans Postcards from the Edge (Bons baisers d’Hollywood), de Mike Nichols, satire autobiographique écrite par Carrie Fisher.

Inspirant et magnifique

En 1992, Clint Eastwood lui offre l’un de ses rôles les plus marquants : celui du shérif corrompu dans Unforgiven, pour lequel il remporte l’Oscar du meilleur acteur de soutien. En 1993, un conflit éclate dans les coulisses du thriller judiciaire The Firm (La firme), de Sidney Pollack. En vertu d’un contrat avec le studio, seul le nom de Tom Cruise peut figurer sur le haut de l’affiche. Sachant combien Hackman s’est battu pour exister en tant qu’acteur, sa décision d’exiger, en représailles, que son propre nom n’apparaisse pas sur l’affiche, point, tombe sous le sens.

Avant de se retirer en 2004, Hackman tourne encore quelques films formidables comme Get Shorty (C’est le petit qu’il nous faut), de Barry Sonnenfeld, en réalisateur de série B ; The Quick and the Dead (Instinct de vengeance), de Sam Raimi, à nouveau en vil shérif ; The Birdcage(La cage de ma tante), de l’ami Mike Nichols, en politicien conservateur ; Twilight, de Robert Benton, en producteur mourant ; The Royal Tenenbaums (La famille Tenenbaum), de Wes Anderson, en père prodigue indigne.

À l’annonce de son décès, nombre de collègues lui ont rendu hommage. Francis Ford Coppola l’a qualifié de « grand acteur, inspirant et magnifique dans son travail et sa complexité ». Clint Eastwood a pour sa part écrit : « Il n’y avait pas de meilleur acteur que Gene. Intense et instinctif. Jamais une fausse note. C’était aussi un ami cher ».

C’est dire qu’en définitive, Gene Hackman aura su donner tort à tous ces gens un peu trop hâtivement prompts à douter de son talent.

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