De notre envoyé spécial à Damas – Le chef de la coalition qui a pris le pouvoir en Syrie, Ahmed al-Charaa, a exhorté la communauté internationale lundi à la levée des sanctions internationales pour permettre au pays de se reconstruire, lors d'une rencontre avec la presse étrangère, à laquelle France 24 a pu participer. Pendant près d'une heure, ce dernier a répondu à des questions sur l'avenir de l'État, l'armée, les rapports avec les pays voisins ou encore sur ses attentes vis à vis de la communauté internationale.
Abou Mohammed al-Joulani, le chef du groupe islamiste HTC, qui se fait désormais appeler par son vrai nom, Ahmad al-Chareh, lors d'une interview à Damas avec France 24, le 16 décembre 2024. © Wassim Nasr, France 24
Près de dix jours après la chute de Bachar al-Assad, Ahmed al-Charaa [connu sous son nom de guerre, Abou Mohammed al-Joulani], le chef de la coalition rebelle qui a pris le pouvoir en Syrie, veut donner des gages. Alors que des délégations diplomatiques britanniques et françaises se rendent depuis lundi 16 décembre à Damas, le nouveau leader de la Syrie a exhorté la communauté internationale à lever les sanctions imposées au pays, déclarant dans une rencontre avec la presse étrangère "que toutes les contraintes devaient être levées pour que la Syrie puisse se reconstruire." En échange, il s'est engagé à dissoudre les différentes factions combattantes présentes dans le pays et à les intégrer dans l'armée.
Vêtu d'un costume et d'une chemise blanche impeccable, Ahmed al-Charaa, chef du groupe islamiste Hayat Tahrir al-Cham (HTC, aussi connu sous le nom de HTS) et nouvel homme fort de la Syrie a exposé sa vision pour l'avenir du pays après l'éviction de Bachar al-Assad lundi 16 décembre, lors d'un entretien avec un groupe de journalistes étrangers, au siège du gouvernement syrien à Damas, auquel France 24 a pu participé.
Pendant près d'une heure, ce dernier a répondu à des questions sur l'avenir de l'État, l'armée, les rapports avec les pays voisins ou encore sur ses attentes vis-à-vis de la communauté internationale.
#Syrie 1h de discussion et de questions posées par 9 journalistes de la presse internationale, Ahmed al-Chareaa, Abou Mohamed al-Joulani a répondu sur l’avenir de l’État, l’armée, les rapports avec les pays voisins, les attentes vis à vis de la communauté internationale @FRANCE24 pic.twitter.com/aNDgzx5ylk
— Wassim Nasr (@SimNasr) December 16, 2024
France 24 : Que répondez-vous aux inquiétudes de la communauté internationale sur votre arrivée au pouvoir ?
Ahmed al-Charaa : Sous Bachar al-Assad, la persécution des Syriens était immense, les détenus étaient assassinés, broyés, brûlés, gazés avec des armes chimiques, ensevelis avec des barils explosifs ou noyés sur les routes de l'exil. Où était l'inquiétude de la communauté internationale pendant cette période ?
Nous avons libéré le pays en faisant un minimum de dégâts pour les civils. Nous avons libéré Alep, Hama, Homs, sans provoquer le moindre exode des communautés. Voilà ce qui doit rassurer. En onze jours, nous avons mis fin à cinquante-quatre ans de dictature.
Notre projet est pour la Syrie. On récupère un pays en miettes dans tous les secteurs : l'industrie, le commerce, l'armée, l'administration, alors qu'avant Assad, c'était une référence dans tous les domaines. Notre opération n'était pas juste militaire, on a tout de suite investi les zones libérées avec une administration, des services et une police, en nous aidant des institutions que nous avons mises en place à Idleb.
Pour autant, il est prématuré de définir quelle sera la forme exacte du nouveau régime que nous sommes en train de mettre en place. L'écriture d'une nouvelle constitution va prendre du temps. Des élections pourraient se tenir, mais en l'état, on ne sait même pas combien d'électeurs il y a en Syrie. Par exemple, beaucoup de mineurs ont atteint l'âge de voter dans les camps ou à l'étranger et n'ont pas de pièce d'identité. Un immense travail de recensement doit être fait pour recréer un registre.
Notre première préoccupation, c'est de faire rentrer les gens chez eux, que ce soit de l'étranger ou les déplacés en Syrie. Il faut donc sécuriser cette période transitoire, tout en s'assurant que l'aide nécessaire sera fournie à tous les Syriens qui reviennent chez eux, avec de la nourriture, des infrastructures, des services et une sécurité.
Quant à notre politique, un congrès national doit avoir lieu et en fonction des conclusions qui en sortiront, nous mettrons en place des mécanismes d'application.
Pourquoi avoir échangé le treillis militaire avec le costume civil ? Quel avenir voyez-vous pour la résolution 2 254 du Conseil de sécurité de l'ONU [adoptée en 2015 et qui établit une feuille de route pour un règlement politique en Syrien] ?
Le militaire c'était pour la guerre. Désormais, nous sommes dans une autre phase. Tout simplement.
Concernant la résolution 2 254, nous avons ramené les déplacés chez eux, nous avons chassé les milices étrangères, nous avons fait une transition pacifique avec les organes de l’État, donc nous avons déjà appliqué des recommandations de cette résolution. Cette résolution vieille de neuf ans doit donc être adaptée à la nouvelle réalité.
Comment éviter les vendettas et les conflits internes après treize ans de guerre ?
Il faut juger Bachar al-Assad, sa famille et ses aides de camp et mettre en place des processus de confiscation de leurs biens mal acquis. Pour le reste, on a donné la priorité à l’amnistie. Tous ceux qui ne respectent pas cette décision, qu’ils soient civils ou issus de nos rangs, seront poursuivis.
Quelles dispositions prendrez-vous vis-à-vis des combattants étrangers qui ont combattu à vos côtés en Syrie ?
Des gens du monde entier sont venus se battre en Syrie par empathie avec les Syriens. Tous ceux qui sont à nos côtés ont accepté de suivre nos directives et d'accepter notre gouvernance. Ils ne constituent pas un danger pour les autres pays et méritent d'être récompensés pour leurs efforts. Leur situation sera donc traitée et régularisée de manière légale à travers une loi.
Quelle est votre réaction face aux dernières incursions et frappes israéliennes en Syrie ?
Les Israéliens avaient l’alibi – ou l’excuse – des milices iraniennes pour frapper en Syrie. Mais ces milices ne sont plus là.
Nous ne voulons pas de conflit, ni avec Israël ni avec d’autres pays. La Syrie ne sera pas utilisée pour cibler d’autres pays : les Syriens sont fatigués et ont juste besoin de vivre en paix.
Alors que des délégations britanniques et françaises arrivent à Damas, que demandez-vous à la communauté internationale ?
Nous avons des contacts, et nous avons créé des liens avec plusieurs pays du monde ces cinq dernières années. La compréhension de notre projet et ce que nous avons accompli à Idleb a permis de diminuer leur méfiance à notre égard.
Nous demandons l'aide de la communauté internationale pour poursuivre les criminels du régime d'Assad et récupérer l'argent volé aux Syriens. Nous demandons aussi de faire pression sur Israël pour mettre un terme à ses opérations en Syrie.
Appelez-vous à ce que le HTC soit sorti de la liste des organisations terroristes des Nations unies ?
Notre inscription sur liste terroriste émane d’une volonté politique. En tant que HTC, nous avons mené des opérations militaires, mais nous n’avons pas ciblé de civils. Or le terrorisme consiste à cibler les civils.
Mais la mise sous sanctions et sur liste terroriste, à la vue de ce qu'il se passe, importe peu. L’important est de lever les sanctions qui pèsent sur la Syrie.
On ne doit même pas négocier cette levée des sanctions : c’est notre droit de nous en libérer, nous les Syriens, les victimes, sommes punis pour les actes de notre bourreau, qui lui n’est plus là.
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