Japon 6 min de lecture

Chine-Japon : quand l'escalade verbale autour de Taïwan perturbe le commerce et le tourisme

Source: France 24::
Un homme lit les journaux rapportant les récentes déclarations de la Première ministre japonaise Sanae Takaichi sur Taïwan, dans un kiosque à journaux à Pékin, le 17 novembre 2025. © Andy Wong, AP
Un homme lit les journaux rapportant les récentes déclarations de la Première ministre japonaise Sanae Takaichi sur Taïwan, dans un kiosque à journaux à Pékin, le 17 novembre 2025. © Andy Wong, AP

Depuis que la première ministre japonaise Sanae Takaichi a déclaré son soutien à Taïwan, les tensions entre le Japon et la Chine s’accélèrent. Pékin a répliqué en suspendant les importations de produits de la mer japonais et en émettant des avertissements aux voyageurs, tandis que le Japon appelle ses ressortissants en Chine à la prudence. 

Le geste est calculé, la photo soigneusement cadrée : le président taïwanais Lai Ching-te pose, sourire tranquille, une assiette de sushis à la main. "Le déjeuner d’aujourd’hui est sushis et soupe miso", écrit-il sur ses réseaux sociaux. Un clin d’œil gastronomique qui n’a rien d’anodin. Il intervient alors que Pékin vient de suspendre une nouvelle fois les importations de produits de la mer japonais. Et Taipei a décidé d’afficher clairement où va sa sympathie : du côté de Tokyo. 

Pour le président taïwanais, fervent défenseur de la souveraineté de son île, Pékin porte "gravement" atteinte à la paix régionale. "Cela pourrait être un bon moment pour manger de la cuisine japonaise", ajoute-t-il dans une autre publication postée jeudi 20 novembre. 

Le président taïwanais Lai Ching-te pose avec son déjeuner composé de sushis au hamachi et aux coquilles Saint-Jacques provenant du Japon, à Taipei, le 20 novembre 2025
Le président taïwanais Lai Ching-te pose avec son déjeuner composé de sushis au hamachi et aux coquilles Saint-Jacques provenant du Japon, à Taipei, le 20 novembre 2025. © Bureau présidentiel taïwanais via Reuters

Au cœur de cette querelle se trouve une prise de parole inédite de la nouvelle Première ministre japonaise, Sanae Takaichi. Le 7 novembre, lors d’une séance parlementaire, elle a estimé qu'une attaque chinoise contre Taïwan pourrait constituer une "menace pour la survie" du Japon et déclencher une réponse militaire potentielle de la part de Tokyo au titre de la "légitime défense collective". 

Pour la Chine, qui considère Taïwan comme une province sécessionniste devant être "réunifiée" par la force si nécessaire, ces propos "ouvertement provocateurs" constituent une "ingérence flagrante" dans ses affaires intérieures et portent un "coup dur" aux relations bilatérales avec le Japon.  

Une rupture inédite 

Si la position japonaise n’a pas surpris les spécialistes, sa formulation explicite, elle, marque une rupture. "L’ambiguïté stratégique permettait à la Chine de sauver la face, même si Pékin s’attendait probablement déjà à cette position japonaise en cas de conflit autour de Taïwan", souligne Jeffrey J. Hall, maître de conférences à l’université Kanda à Tokyo. 

Sanae Takaichi, raconte l’expert, aurait d’ailleurs réécrit elle-même la réponse officielle aux questions parlementaires, contournant le langage habituellement validé par les ministères. "Résultat : elle s’est écartée de la ligne suivie par son mentor, l’ancien Premier ministre Shinzo Abe, qui évitait soigneusement de dire directement que le Japon pourrait défendre Taïwan", ajoute-t-il. 

La Première ministre japonaise Sanae Takaichi s'exprime lors d'une conférence de presse à Gyeongju, le 1er novembre 2025
La Première ministre japonaise Sanae Takaichi s'exprime lors d'une conférence de presse à Gyeongju, le 1er novembre 2025. © Jung Yeon-Je, AFP

C’est la première fois que Taïwan se retrouve explicitement au cœur d’une crise diplomatique entre Pékin et Tokyo, explique dans une analyse John Lim, chercheur à l’Institut d’études avancées sur l’Asie de l’université de Tokyo. Jusqu'à présent, les tensions se focalisaient sur les contentieux territoriaux ou les questions historiques.  

Selon le chercheur, les propos de la Première ministre étaient une "clarification préventive" destinée à marquer les lignes rouges du Japon sans provoquer de confrontation majeure. Le Japon s'appuie d'ailleurs sur une "communication à deux vitesses", ajoute-t-il faisant circuler des messages rassurants sur le maintien du statu quo par l'envoi de hauts responsables de la sécurité à Pékin

La riposte économique de Pékin 

La réponse chinoise ne s’est pas fait attendre. Dans la foulée, Pékin a multiplié les mesures punitives avec notamment une nouvelle suspension des importations de fruits de mer - officiellement justifiée par les eaux usées traitées qui sont rejetées de la centrale nucléaire sinistrée de Fukushima - quelques mois seulement après la levée partielle de l'interdiction. Les restaurateurs japonais installés en Chine, déjà fragilisés par les précédents embargos, peinent à s’approvisionner.  

Les négociations sur la reprise des importations de bœuf en provenance du Japon ont également été suspendues. Des manifestations culturelles ont été annulées, et la sortie d’au moins deux films d’animation japonais reportée. La Chine a aussi exhorté ses étudiants au Japon ou prévoyant d'y étudier à renforcer leur évaluation des risques et à faire preuve de prudence dans leurs préparatifs. 

Le tourisme est lui aussi frappé. Les autorités chinoises déconseillent à leurs ressortissants de se rendre au Japon, et les principales compagnies aériennes ont déjà proposé à leur clientèle un remboursement intégral de leurs vols. Près de 500 000 réservations ont été annulées en quelques jours. La Chine, qui compte 1,4 milliard d'habitants, est la première source de visiteurs étrangers du Japon, qui a accueilli sur les neuf premiers mois de 2025 quelque 7,5 millions de visiteurs chinois, selon des chiffres officiels japonais. 

Face au climat qui se dégrade, le Japon est en alerte. Le pays a recommandé mardi à ses ressortissants de prendre des précautions supplémentaires et d'éviter les lieux bondés en Chine. Il leur est conseillé de ne pas se déplacer seuls et de faire preuve d'une vigilance accrue quand ils se déplacent avec des enfants. 

Selon l’agence de presse Kyodo, le ministre de l’Éducation Yohei Matsumoto a également mis en garde les établissements scolaires japonais en Chine. Il a rappelé le meurtre d’un élève japonais l’année dernière, affirmant que les autorités devaient "éviter à tout prix que cette situation ne se reproduise".   

"Le dialogue finit toujours par reprendre" 

Cette crise réactive un dossier fondamental pour Tokyo. Ancienne colonie japonaise jusqu’en 1945, Taïwan entretient encore aujourd’hui des liens économiques et culturels étroits avec le Japon. Et si Tokyo a officiellement reconnu "une seule Chine" en 1972, il n’a jamais cessé de soutenir Taipei entre les lignes. "L’indépendance de Taïwan est perçue comme un élément clé de la sécurité du Japon", rappelle John Lim, évoquant aussi le traité de sécurité nippo-américain de 1960, qui autorise Washington à intervenir dans l’ensemble de l’Asie de l’Est. 

Si la Chine frappe fort sur les sanctions économiques, elle ne souhaite pas, selon Jeffrey J. Hall, aller jusqu’à la rupture. "Cela durera probablement jusqu’à ce que Pékin estime avoir suffisamment puni Tokyo", avance-t-il, rappelant que la Chine conserve une large marge de manœuvre pour fragiliser davantage l’économie japonaise, déjà sous pression face aux droits de douane américains. 

Alors que les chaînes d’approvisionnement sont en pleine réorganisation et que des pressions économiques internes pèsent sur les deux pays, l'intérêt de Pékin et Tokyo est de contenir les effets de la crise, confirme John Lim. "Le balancier des relations sino-japonaises oscille toujours entre réconciliation et confrontation… mais l’histoire montre que même dans les pires moments, le dialogue finit toujours par reprendre".

Follow
Publicité
Publicité
Vous n'avez pas utilisé le site Web, Cliquer ici pour maintenir votre état de connexion. Temps d'attente: 60 Secondes