Japon

Sanseitō : le trumpisme « made in Japan »

Auteur: Alexis De Lancer Source: Radio Canada
Juillet 27, 2025 at 06:35
Sohei Kamiya, chef du parti d'opposition japonais Sanseito, s'exprime au centre de dépouillement des votes à Tokyo, le 20 juillet 2025. PHOTO : JIJI PRESS/AFP VIA GETTY IMAGES / STR
Sohei Kamiya, chef du parti d'opposition japonais Sanseito, s'exprime au centre de dépouillement des votes à Tokyo, le 20 juillet 2025. PHOTO : JIJI PRESS/AFP VIA GETTY IMAGES / STR

Le parti d’extrême droite Sanseitō a le vent en poupe au Japon. Une poussée née sur les réseaux sociaux dans un scénario qui défie les pronostics officiels.


Dimanche dernier, le parti ultranationaliste Sanseitō a raflé 14 des 248 sièges lors des élections sénatoriales, dont un précieux siège au cœur de la capitale nippone, Tokyo.

Si ça vous semble peu, détrompez-vous, s’empresse de répondre Jeffrey Hall, maître de conférences à l'Université d'études internationales de Kanda. C’est la première fois qu’un parti de droite aussi extrême obtient de tels gains lors d’une élection japonaise, précise–t-il.

Cette percée a confondu les sceptiques et il n’est pas à exclure que ce parti abonné à la pensée conspirationniste puisse remporter l’audacieux pari de s’imposer durablement dans l’arène politique très sclérosée du Japon actuel.

Le secret de son succès? Une utilisation des plateformes web redoutablement efficace, un contexte socio-économique très instable et une élite politique en panne sèche.

L’alignement des astres

Pendant la pandémie de COVID-19, le Japon est un des pays où les autorités ont imposé les mesures les plus strictes. 

Au plus fort de la crise sanitaire, la colère gronde dans une frange de plus en plus audible de cette société tissée serrée.

Sohei Kamiya, un quarantenaire formé en droit et ex-conseiller municipal de la préfecture de Fukui, tire rapidement profit de ce mécontentement.

Sur sa chaîne YouTube, (nouvelle fenêtre) lancée quelques années auparavant, le talentueux tribun tire à boulets rouges sur ses cibles de prédilection : l’imposition des vaccins et des mesures de confinement, mais aussi l’influence étrangère et l’immigration, associées à des menaces existentielles pour la société japonaise.

La trame de fond de son discours est résolument conspirationniste, un discours qui fait mouche dans un Japon profondément secoué par la crise économique et par l’accroissement marqué des inégalités.

La propagation de la désinformation reflète des réalités plus profondes. Pour plusieurs Japonais, ces récits deviennent plus crédibles que les messages émanant des institutions traditionnelles, y compris les médias, constate Daisuke Furuta, rédacteur en chef de Japan Fact Check Center (nouvelle fenêtre), un média spécialisé dans la vérification de faits.

Favorisés par ce courant de fond, Kamiya et une poignée d’influenceurs et de youtubeurs ultraconservateurs fondent alors le parti politique Sanseitō, qu’ils traduisent eux-mêmes en anglais par le parti DIY (Do it yourself -Faites-le vous même).

Capture d'écran de la page hébergeant le canal YouTube du leader d'extrême-droite japonais Sohei Kamiya, chef du parti Sanseito.
Capture d'écran de la page hébergeant la chaîne YouTube du leader d'extrême-droite japonais Sohei Kamiya, chef du parti Sanseito.   PHOTO : RADIO-CANADA
 

 

Cap sur l’ultranationalisme et la xénophobie

Fraîchement lancé, le parti Sanseitō garde le cap sur son discours conspirationniste et extrémiste, constatent les chercheurs Romeo Marcantouni et Robert Fahey, auteurs d’une étude (nouvelle fenêtre) sur l'ascension fulgurante de cette jeune formation politique.

Loin d’une approche du type cheval de Troie où des idées extrémistes sont d’abord camouflées pour ensuite être progressivement dévoilées au grand jour, ils observent que Sohei Kamiya et son parti ont d’emblée agit de façon décomplexée.

Ils se sont attaqués de front à des ennemis clairement identifiés : les grandes organisations internationales, les entreprises étrangères, l’establishment médiatique, le régime chinois, les féministes, les militants LGBTQ+, tous considérés partie prenante d’une vaste conspiration ourdie par les élites mondialistes contre les intérêts du Japon.

De plus, à l’instar de l’ONG américaine Anti-Defamation League (nouvelle fenêtre), bien des analystes ont tôt fait de souligner que dans un livre paru en 2022 M. Kamiya attribue sans gêne cette soi-disant cabale internationale au capital juif.

Coûte que coûte, face au succès rencontré en ligne par cette rhétorique incendiaire, Sanseitō priorise le filon ultranationaliste.

C’est dans ce contexte que Japanese First (les Japonais d’abord) devient le slogan officiel du parti.

Bien sûr, cette formule est directement calquée sur le America First d’un certain Donald Trump, dont le parti et son chef s’inspirent ouvertement.

À ce chapitre, Matt Braynard, un ancien organisateur électoral de Donald Trump, a agi en tant que conseiller du parti Sanseitō. Il en a vanté les vertus lors d’une récente entrevue (nouvelle fenêtre) accordée à Matt Gaetz, sur la chaîne de télévision pro-Trump OAN, ainsi qu’à la fin juin, au Japon, lors d’un rassemblement de campagne (nouvelle fenêtre) du parti de Sohei Kamiya.

Ce virage ultranationaliste et nativiste s’est accéléré quand le parti au pouvoir du premier ministre Shigeru Ishiba (Parti libéral-démocrate, droite conservatrice) a ouvert la porte toute grande aux travailleurs temporaires étrangers pour contrer la pénurie de main-d'œuvre et garder l’économie à flots.

En 2024, la proportion d’étrangers établis au Japon a crû de 10 % (nouvelle fenêtre), établissant un record pour une troisième année consécutive.

Même si les 3,8 millions de ressortissants étrangers ne représentent environ que 3 % de la population totale du pays, Sanseitō a construit son message politique autour de la menace que représente à ses yeux l’arrivée de ces travailleurs étrangers, conjuguée à l’inconfort (bien réel) des Japonais face à l’essor du surtourisme.

 

Une femme traverse le célèbre carrefour de Shibuya à Tokyo.
Une femme traverse le carrefour de Shibuya à Tokyo.   PHOTO : RADIO-CANADA / PHILIPPE GRENIER

 

 

Sohei Kamuya et les représentants de son parti ont répandu des faussetés en liant les ressortissants étrangers à des (nouvelle fenêtre)crimes graves ou en prétendant à tort qu’ils sont favorisés par le régime d’assistance sociale (nouvelle fenêtre), en plus d’évoquer constamment la menace qu’ils représentent, selon eux, pour l’identité et les valeurs japonaises.

Au total, tout au long de la campagne électorale, près du quart des vérifications de faits effectuées par le Japan Fact Check Centrer concernent le parti Sanseitō, loin devant les autres formations politiques.

Mais, de toute évidence, le travail de rectifications des faits menés incessamment par les médias bien établis n’a pas freiné la montée en popularité inédite de ce courant d’extrême-droite.

Un succès qui n’a pas pris par surprise l’universitaire Jeffrey Hall, basé au Japon depuis plusieurs années : Les grands médias ont été sidérés et choqués. Ils ne s'attendaient pas à une telle chose. En japonais, cette vague de soutien à Sanseitō est appelée l'œil du typhon. Les médias ont désespérément tenté de démentir plusieurs des affirmations de ce parti, mais les sympathisants de Sanseitō sont déjà dans un état d'esprit où ils ne font pas confiance aux médias et pensent qu'ils sont contrôlés par les mondialistes.

Il ajoute : Alors, en ciblant Sanseitō, les médias n'ont fait que renforcer la conviction de leurs partisans. À leurs yeux, la seule façon de reconquérir le Japon est de voter pour un parti qui les protégera de ce qu’ils perçoivent comme étant une invasion étrangère.

 

Jeffrey Hall, maître de conférences à l'Université d'études internationales de Kanda, en entrevue avec les Décrypteurs.
Jeffrey Hall, maître de conférences à l'Université d'études internationales de Kanda, en entrevue avec les Décrypteurs.  PHOTO : RADIO-CANADA

 

 

Il est aussi à noter qu’au fil de la campagne et dans les jours qui ont suivi le scrutin, les allégations d’ingérence étrangère se sont multipliées dans les cercles médiatiques et académiques. 

La Russie est vue par certains comme un acteur potentiel dans ce scénario encore hypothétique. Les données sur lesquelles se fondent ces affirmations au Japon restent à prouver à 100 %. Mais s'il y a un parti politique que la Russie soutiendrait, c'est Sanseitō, car ses positions sont très pro-russes, note Jeffrey Hall.

Joint à Tokyo à ce sujet, le professeur adjoint à l'Université Temple, Benoit Hardy-Chartrand, prône la plus grande prudence : ça reste quand même des spéculations et je n'ai pas vu de preuves à cet effet. Même si je serais extrêmement surpris qu'il n'y ait pas eu d'efforts d'ingérence provenant de l’étranger, je ne peux tout simplement pas le confirmer d'une manière ou d'une autre.

Cet article a initialement été publié dans l'édition du 26 juillet de l'infolettre des Décrypteurs. Pour obtenir des contenus exclusifs comme celui-ci ainsi que des analyses sur tout ce qui touche la désinformation web, abonnez-vous en cliquant ici.

L’argent, le nerf de la guerre.

Là où Sanseitō se distingue des autres formations d’extrême-droite au Japon et à bien des endroits dans le monde, c’est à travers son mode de financement.

Son approche, qualifiée d’innovante par les chercheurs Romeo Marcantouni et Robert Fahey, est entre autres inspirée des stratégies de marketing d'influence.

En échange de frais d’adhésion, les membres obtiennent des privilèges proportionnels à l’argent déboursé.

Ainsi, ceux qui versent 4000 yens par mois (450 $ CAN par an) ont entre autres le droit de vote aux primaires internes et sur les propositions de politique interne, en plus d’un accès exclusif à des d'événements partisans et médiatiques.

Certains des forfaits offerts permettent aussi l’accès à des groupes de discussions en ligne, l’envoi d’une infolettre audio quotidienne et la possibilité de se joindre des formations DIY en vue de d’intégrer l’équipe d’organisateurs communautaires, très active auprès des sympathisants du parti.

Par ailleurs, selon l’analyse de MM. Marcantouni et Fahey, l'offre de Sanseitō à ses membres s'inscrit dans sa stratégie médiatique plus large dont l’objectif est de fournir un écosystème médiatique alternatif sur YouTube, TikTok et X, tant à travers les comptes officiels du parti qu’à travers ceux de ses dirigeants.

Une chambre d’écho, ou bulle d’affinités, qui prend de plus en plus d’ampleur, surtout auprès d’un électorat jeune et masculin (nouvelle fenêtre)

Là pour rester?

La parenthèse électorale étant maintenant fermée au Japon, tous les regards se tournent vers l’avenir.

Le premier ministre actuel et son parti sont grandement fragilisés. Au pouvoir pendant la majeure partie des 70 dernières années, pour bien des Japonais, le Parti libéral-démocrate incarne une caste politique en mal de renouvellement.

Toute prédiction est hasardeuse selon Jeffrey Hall, mais il est selon lui légitime de croire que le Japon entre dans une période de très grande incertitude politique.

Ceci dit, dans le contexte socio-économique décrit plus haut, il n’écarte pas l’éventualité que certaines idées plus extrêmes de Sanseitō soient récupérées par la droite conservatrice.

Un dilemme cornélien attend selon lui les partis traditionnels : ils ne peuvent plus ignorer les opinions extrêmes qui circulent sur le web. Soit ils les combattent, soit ils adoptent certaines de ces idées conspirationnistes, comme l'a fait le Parti républicain aux États-Unis.

Mais l’autre facteur déterminant à l’horizon est bien sûr l’économie, ajoute Benoît Hardy-Chartrand : si l’économie se redresse, le discours de Sanseitō deviendra peut-être un peu moins attrayant pour certains Japonais qui ont commencé à flirter avec ces idées-là.

Les paris sont ouverts.

Alexis De Lancer (Consulter le profil)

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