De notre envoyé spécial à Abidjan – À Abobo, une commune d’Abidjan et bastion historique du président ivoirien, la campagne a des allures de fête. Persuadés de la victoire dès le premier tour d'Alassane Ouattara, leur champion, les militants vantent le "nouveau visage" de leur quartier, au passé meurtri par la crise postélectorale de 2011.
Par : David RICH
Devant la mairie d’Abobo, commune populaire du nord d’Abidjan, une grande place abrite des stands et une scène à l’effigie du président ivoirien. Un jeune enfant en uniforme de collégien nous interpelle : "Je vote ADO [Alassane Dramane Ouattara, NDLR] et toi tu votes pour qui ?". De l’autre côté de la place, une marée humaine orange envahit l’espace, dansant au son sorti des grosses baffles.
Une équipe en rollers fait le spectacle, encerclant le groupe. "Nous sommes les Ado boys and girls" explique l’une des militantes, Leila Dosso. "De jeunes bénévoles qui se mobilisent à travers le pays à chaque campagne pour soutenir notre candidat".
Présidentielle en Côte d'Ivoire : à Abobo, c'est "Alassane ou rien" © France 24
Dans le quartier, la figure d'Alassane Ouattara est présente à tous les coins de rue. Et sur toutes les lèvres. Au marché Siaka Koné, adjacent à la grande place, la simple évocation du scrutin présidentielle du 25 octobre provoque des réactions endiablées. "ADO mon candidat !", "C’est Alassane ou rien !", assènent les commerçants, arborant pagnes, casquettes, et t-shirt à l'effigie de leur "président chéri", à la tête du pays depuis 2011 et actuellement en lice pour un quatrième mandat.
"Nouveau Abobo"
Commune parmi les plus peuplées d’Abidjan, considérée comme défavorisée, Abobo a connu une importante transformation urbaine ces dernières années. "L’Abobo d’hier n’est pas l’Abobo d’aujourd’hui", martèle Lamine Toure, le secrétaire général de l’Union des jeunes RHDP (Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix), le parti au pouvoir.
Dans la rue Kennedy, où il a grandi, le trentenaire brave la circulation pour vanter le travail de son président. "Ici, c’était pratiquement de la boue, c’était impraticable (...) Aujourd’hui, regardez, tout est goudronné, l’ambulance à l'accès facile grâce à la voirie", affirme-t-il fièrement.
Dans son 4x4 japonais, Lamine et une poignée de militants, font le tour des grands projets d’Alassane Ouattara pour la commune d'Abobo : le palais de justice, récemment inauguré, – le plus moderne du pays, selon les autorités – ainsi que sur le site du futur CHU, immense chantier de 18 hectares en périphérie du quartier, amené à devenir l’un des plus grands hôpitaux d’Afrique de l’Ouest.
Selon le militant, ces grands travaux "offrent à la population un meilleur accès aux services publics" et "améliorent l’image d’Abobo. Tous ces chantiers, les routes et l'électrification facilitent l'accès au quartier, améliorent la sécurité et offrent des emplois aux jeunes", se félicite-t-il, tout en reconnaissant que beaucoup de travail reste à faire.
En effet, en Côte d’Ivoire, près de 90 % de la population dépend du secteur informel et une part importante de la jeunesse demeure exclue du monde de l'emploi. Une réalité particulièrement visible dans les quartiers populaires comme Abobo.
Quartier traumatisé
"Les améliorations sont là mais le programme d’Alassane Ouattara est un programme par étape", insiste Lamine. "Nous véhiculons ce message auprès de la jeunesse pour qu’elle comprenne", poursuit-il. "Il ne faut pas oublier que nous partons de loin car nous étions les grands oubliés de la nation".
Fief historique d’Alassane Ouattara, Abobo est un quartier très cosmopolite. Il abrite notamment une importante communauté d'Ivoiriens du nord du pays, dont est également originaire l’actuel président. Lors de la crise post-électorale de 2011, des habitants y avaient pris les armes contre les milices de Laurent Gbagbo lors de ces mois de violences qui avaient fait environ 3 000 morts.
De nombreux Abobolais ont connu des deuils à cette période, à l’image de Lamine dont l’oncle a été tué lors des violences. Dans le quartier, ses nombreux soutiens présentent Alassane Ouattara comme un "homme de paix", qui a permis de tourner cette page sombre de leur histoire.
Campagne en terrain conquis
Si à Abobo, Alassane Ouattara envahit tout l’espace, de rares affiches de ses rivaux rappellent qu’une compétition électorale est bien en cours en Côte d’Ivoire. Outre le président, quatre candidats ont été autorisés à concourir par le Conseil constitutionnel lors du scrutin du 25 octobre : l’ancienne première dame Simone Ehivet, les anciens ministres Ahoua Don Mello et Henriette Lagou, ainsi que l’homme d'affaires Jean-Louis Billon.
Les deux principaux candidats d’opposition, Laurent Gbagbo et Tidjane Thiam ont quant à eux été exclus du scrutin, le premier du fait d’une condamnation en justice, le second pour défaut de nationalité.
"À Abobo, nous autorisons les autres candidats, mais pas ceux qui veulent tout casser", lance Lamine, accusant les exclus et leur soutiens de vouloir perturber le bon déroulement du scrutin.
Leurs partis – le PDCI (Parti démocratique de Côte d'Ivoire) et le PPA-CI (Parti des peuples africains – Côte d'Ivoire) – ont appelé à des marches, bravant l’interdiction de manifester décrétées par le pouvoir lors de la campagne. 32 manifestants ont depuis été condamnés à de la prison ferme pour y avoir participé.
À Abobo, le RHDP est en terrain conquis, persuadé que le président remportera un "coup KO" [expression populaire signifiant une victoire dès le premier tour, NDLR]. Mais ses militants l’assurent, chacun est libre d’exprimer ses opinions politiques. Pourtant lors d’une opération porte-à-porte des soutiens d’ADO dans le quartier Habitat d’Abobo, le malaise est palpable chez les rares opposants interrogés. "Je ne suis pas électeur. J’ai mon choix mais il m’appartient", répond l’un d’eux, abrégeant rapidement la discussion.
"Ici les gens sont très entiers, certains aiment Alassane Ouattara comme si c’était un membre de leur famille et les discussions politiques ne sont pas toujours faciles", explique Karim, un habitant du quartier. "Ceux qui ne partagent pas ce point de vue préfèrent être discrets", poursuit-il. "Personnellement la politique me fait peur, et je préfère ne pas voter. Mais il faut reconnaître à Alassane Ouattara une chose : il a rendu la fierté aux Abobolais. Notre commune était marginalisée et avait mauvaise réputation. Les gens ne voulaient pas habiter ici. Aujourd’hui, Abobo vit une renaissance".