ADRÉ, Tchad – Quand on arrive dans le vaste camp de réfugiés d’Adré, dans l’est du Tchad, la première chose qui frappe, ce sont les enfants poussiéreux, pieds nus, aux cheveux roussis par la malnutrition qui courent pour saluer les étrangers, avec des sourires éclatants. Dans ce « site improvisé » – c’est le nom donné au camp –, 237 000 Soudanais qui ont fui la guerre civile dans leur pays s’entassent dans des abris de fortune s'étendant à perte de vue.
Les enfants ont beau manquer cruellement d’eau, de denrées de base, de soins, de salles de classe, ils trouvent le moyen de jouer, de rire, de danser. Et pourtant, plusieurs de ces petits Soudanais vont bientôt mourir. Du choléra, de diarrhée grave, de faim.
La guerre civile au Soudan provoque la plus grande crise humanitaire du monde, selon l’ONU.
Ce pays riche en pétrole est ravagé depuis plus de deux ans par un conflit d’une rare sauvagerie. La moitié des 44 millions de Soudanais sont en état de malnutrition aiguë et des centaines d’enfants ont déjà succombé à la famine.

Si les images de bambins soudanais émaciés ne se rendent pas jusqu'à nous, c’est en partie parce qu’il est extrêmement difficile de se rendre dans les régions en état de siège, comme le Darfour. Mais il est possible d’aller à la rencontre de ceux qui ont réussi à fuir les massacres pour se réfugier dans les pays voisins.
Le Tchad accueille 1,5 million de Soudanais qui vivent maintenant sous les tentes dans une région pauvre, en plein désert.
Cette région frontalière est devenue le principal refuge des Soudanais qui fuient les combats entre les troupes régulières de l’armée et les Forces de soutien rapide (FSR), un groupe de soldats rebelles. Au Darfour, dans l’ouest du Soudan, les FSR et leurs milices, majoritairement arabes, attaquent les populations massalit, zaghawa et fours, qui sont des ethnies noires.
Les survivants de ces massacres racontent des crimes d’une cruauté difficile à raconter.

Dans le camp d'Adré, nous rencontrons Khamis Fadul sous un toit de branches, assise bien droite sur une jolie natte colorée. La femme de 55 ans vivait avec son mari enseignant dans une grande maison confortable à Al-Geneina, la capitale du Darfour-Occidental.
Elle s'est réfugiée au Tchad avec des membres de sa famille en 2023 pour fuir les violences. Al-Geneina est le chef-lieu des Massalit, qui sont pourchassés depuis des décennies par des tribus arabes de la région.
Sa fille Zouhour, qui étudie l’économie à l’université, et une jeune cousine viennent bientôt s'asseoir près de Khamis.

Les trois femmes décrivent péniblement comment cinq membres de leur famille se sont fait massacrer dans la grande maison familiale. Khamis raconte, d’abord d’une voix ferme.
Ils ont tué devant moi quatre nièces et mon neveu, qui tentait de les protéger. Ce sont les enfants de ma belle-sœur qui s’était réfugiée chez nous avec sa famille quand son village a été attaqué. Zouhour ajoute que les miliciens arabes ont menacé de toutes les violer si elles résistaient.
La cousine, Mousdalifa, dit qu’elle a vu son frère de 18 ans se faire tuer. Elle le fait avec peu de mots, entrecoupés de silences douloureux, qui font craquer sa tante. Khamis essuie discrètement quelques larmes.
Ces horreurs rappellent le premier génocide du 21e siècle, perpétré au Darfour il y a 20 ans contre ces mêmes groupes ethniques, exactement au même endroit.
La guerre au Soudan en chiffres :
Source : Organisation des Nations unies, Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire (IPC)
Depuis quelques mois, la ville d’El Fasher, au Darfour du Nord, est le théâtre d’intenses attaques des FSR.
Le flux de réfugiés arrivant dans l’est du Tchad s’amplifie proportionnellement.
La région d’Adré, qui comptait moins de 40 000 habitants avant avril 2023, accueille désormais près de 300 000 personnes. Tous, réfugiés et locaux, manquent cruellement d’eau et de vivres.
Les rations distribuées à Adré par le Programme alimentaire mondial de l’ONU ont été réduites de moitié depuis deux ans.
Les coupes dans l’aide internationale, en particulier la suspension du financement de l'Agence des États-Unis pour le développement international (USAID), qui comptait pour 42 % de cette aide, forcent toutes les organisations humanitaires à réduire leurs interventions.
Contrairement à la situation à Gaza, ici, il n’y a pas de blocus, les camions et les avions-cargos peuvent se rendre dans l’est du Tchad sans obstacle. À part les routes de sable, qui sont parfois inondées durant la saison des pluies. Mais les camions d’aide arrivent ici au compte-gouttes. Cela contribue à étendre la plus grave crise humanitaire du monde au-delà des frontières du Soudan.
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